Je vous le dis aujourd'hui, mes amis, bien que nous devions faire face aux difficultés d'aujourd'hui et de demain, j'ai tout de même un rêve. C'est un rêve profondément enraciné dans le monde fluvial.
Je fais le rêve qu'un jour, cette nation se lève et vive sous le véritable sens de son Grenelle de l'Environnement: “Nous considérons ces vérités comme évidentes, que tous les fleuves peuvent être reliés avec intelligence pour porter bateaux.”
Je fais le rêve qu'un jour, sur les collines vertes du Doubs, les fils des mariniers et les fils des éclusiers puissent s'asseoir ensemble sur la berge d'un grand canal, maillon entre la Mer du Nord et la Méditerranée.
Je fais le rêve que tous les bateliers vivront un jour sur un continent où ils ne seront pas limités par leur gabarit, ni pour le contenu de leur cale. Je fais ce rêve aujourd'hui !
Je fais le rêve qu'un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne soit aplanie, que les endroits rudes soient transformées en plaines, que les rivières tortueuses soient redressés, que la puissance de la navigation fluviale soit révélée et que tous les vivants le voient tous ensemble.
Martin Luther King, 1963, revu et corrigé par G. Kiffer (ça a de la gueule, hein?
Ah oui j'ai fait un beau rêve... le réveil a été très brutal. Ce rêve, c'est celui d'une liaison fluviale à grand gabarit entre deux grands fleuves, et le Rhône et le Rhin, qui permettrait aux bateaux de forts tonnages de relier les ports de la Mer du Nord à ceux de la Méditerranée par l'intérieur des terres...
C'était un rêve très avancé, en bonne voie de devenir réalité... Y avait même une Déclaration d'Utilité Publique et une loi d'aménagement du territoire qui en prévoyait la réalisation. Puis le réveil a été brutal, au lendemain des législatives de 1997... C'en était fini de Rhin-Rhône.
Les arguments des pseudo-écologistes pour mettre fin à ce projet ne résistent pas à quelque analyse un peu pointue que nous ne pouvons développer ici. En effet, ils sont juste destinés à masquer la véritable raison de l'abandon de la modernisation de cette liaison : la peur des invasions! Je vous dit que si on l'avait appelé "Rhône-Rhin" ça ferait belle lurette qu'il serait construit...
En fait, ce rêve a commencé à se réaliser. Un petit tronçon de ce rêve. On peut même dire que c'était bien parti, le grand gabarit arrive déjà à Mulhouse (pour être un peu plus précis, à Illzach, port de l'île Napoléon), par un embranchement de 13,067km qui aboutit au kilomètre 11,437 du Grand Canal d'Alsace, à hauteur des villages de Kembs et de Niffer(68).
Pour ce faire, on a construit entre 1960 et 1962 une écluse au gabarit de 1350 tonnes (85m de long et 12m de large). Et c'est le célèbre architecte helvético-français Charles-Edouard Jeanneret-Gris (encore plus célèbre sous son nom de scène : le Corbusier, 1887-1965) qui a dessiné les plans de la cabine de commande de l'écluse et du bâtiment administratif situé juste à côté (avec sa fameuse toiture paraboloïde hyperbolique). Ces constructions font partie des rares commandes publiques de l'architecte en France.
Voici quelques photos de l'écluse :
Le raccordement au Grand Canal d'Alsace et le pont du RD468 (à droite Bâle, à gauche Strasbourg et la Mer du Nord) :
Comme 1350 tonnes (classe IV), ça fait peu pour une liaison entre deux fleuves de classe V et VI, on a construit vers le milieu des années 1990 une nouvelle écluse, de 190m x 12m, soit l'équivalent des écluses du Rhône et du petit sas des écluses du Rhin.
On en a profité aussi pour recalibrer le canal en amont (profondeur portée à 5,70m et largeur du plan d'eau à 55m), avec des préoccupations environnementales qui n'avaient pas cours dans les années 60. Ce bief a bénéficié d'un nouveau concept d'intégration et de valorisation écologiques ; sur l'ensemble du linéaire, on compte 4 étangs (bras secondaires du canal), une vingtaine d'unités écologiques de faibles dimensions jouant le rôle de frayères et de roselières (séparés du chenal navigable par des merlons en enrochements) et plusieurs kilomètres de berges pourvues de fossés-roselières. La végétation terrestre et aquatique abondante a permis une recolonisation du canal, devenu un milieu plus riche que le canal des années 60 (exemple pour l'aménagement complet de la liaison Rhône-Rhin?).
Aménagement écologique du canal
à grand gabarit.
Pour vous présenter la nouvelle écluse, je ne peux faire plus complet que la description donnée dans "Le canal Rhin-Rhône : le dossier", de J. Bernot, J. Rocca Serra et M. Schreiber, parut aux éditions Economica en 1998 :
"La nouvelle écluse a une longueur utile de sas de 190 mètres. La longueur des ouvrages en béton, y compris les ouvrages de guidage, est de près de 400m. De l'amont vers l'aval, on trouve :
- le garage amont qui comprend :
- six dispositifs d'accostage et d'amarrage constitués de ducs d'Albe en caissons de palplanches. Un dispositif sur deux est équipé d'une passerelle d'accès à terre
- un mur-guide de 85m de long dans le prolongement du sas et un mur-glissière incliné à 1/3 de 50m de long, ces deux murs étant destinés à l'entrée des bateaux et convois dans l'écluse
- la tête amont comprenant le dispositif d'alimentation en eau de l'écluse. Ce dispositif consiste en deux aqueducs contournant la porte amont de part et d'autre du sas. Le départ des aqueducs se trouve au pied d'une fosse d'alimentation. Chaque aqueduc est muni d'une vanne d'alimentation encadrée de deux batardeaux permettant l'entretien et/ou la réparation. Ainsi, l'écluse peut continuer à fonctionner même en cas d'indisponibilité d'une des deux vannes.
Les dispositifs d'alimentation et de vidange ont été arrêtés d'après une étude sur modèle réduit hydraulique au laboratoire d'essais de la Compagnie Nationale du Rhône. Cette étude avait comme autres objectifs :
- la détermination de la durée du cycle
- les vitesses de manoeuvre des vannes
- les vitesses de montée et de descente du plan d'eau dans le sas
- la détermination des efforts dans les amarres des convois lors des opérations de remplissage et de vidange
- la vérification de la non-cavitation sous les vannes et la non-formation de vortex
La porte amont est constituée de deux vantaux en ossature métallique manoeuvrés par des vérins hydrauliques en partie haute, alimentés par deux centrales hydrauliques.
A l'amont de la tête amont, un dispositif de batardement permet la coupure rapide, en charge, du débit qui s'établirait en cas d'avarie sur la porte amont, évitant ainsi la vidange de la totalité du bief (événement inacceptable).
- le sas est constitué de 11 plots de 16m de longueur. La section transversale est celle d'un U en béton armé. Le radier (fond de l'écluse) présente une épaisseur uniforme de deux mètres et les bajoyers une épaisseur de 2m à la base pour 1m au sommet.
Les plots impairs du sas sont munis d'échelles et de bollards flottants (charge de rupture 45 tonnes).
- la tête aval comprend le dispositif de vidange, constitué comme pour la tête amont d'aqueducs contournant la porte aval de part et d'autre du sas. Chaque aqueduc est muni d'une vanne de vidange encadrée par deux batardeaux.
La porte aval est constituée de deux vantaux en ossature métallique manoeuvrés par des vérins hydrauliques en partie haute, alimentés par deux centrales hydrauliques.
A l'amont de la porte aval, et pour la protéger des chocs des bateaux et convois, un dispositif pare-chocs est disposé en travers du sas. Il est capable d'absorber une énergie de 3,75 MégaJoules et est relevé en fin de vidange, avant l'ouverture de la porte, afin de dégager le tirant d'air.
- le garage aval comprend les mêmes dispositions et dispositifs que le garage amont.
- à l'aval de l'écluse et en rive droite se situe le bâtiment de commande et d'exploitation. La conception de ce bâtiment, en forme de navire, est due au cabinet d'architectes Bouquot-Doyelle Paysagement, lauréat du concours d'architecte organisé par la CNR, et dont le jury était composé en partie d'élus locaux et de personnalités de l'architecture.
Les ouvrages sont fondés dans les alluvions graveleuses de la vallée du Rhin. Le substratum constitué de marnes compactées se situe entre 4 et 5m sous le niveau de fondation général.
Les plans d'eau à l'amont, dans le sas et à l'aval sont supérieurs au niveau de la nappe phréatique, ce qui conduit à la réalisation d'une étanchéité des canaux ainsi qu'à une étanchéité entre plots par des joints de caoutchouc.
On notera, pour finir, que la particularité des ouvrages de Niffer est leur implantation dans une zone sismique IIb, ce qui constitue le maximum pour la France métropolitaine. Bien que, pour l'écluse, le cas de charge exceptionnelle "séisme" ne conduise pas aux sollicitations maximales, l'application des dispositions constructives du nouveau règlement parasismique a conduit à une augmentation sensible de la densité du ferraillage."
Désolé si ce passage est un peu laborieux à lire, mais pour moi qui ai fait des études de génie civil, c'est de la poésie.
Enfin, voici les photos :
Pour terminer, voici une présentation du site sur une vue aérienne : (cliquez pour agrandir, ça vaut le coup
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Pour des infos sur le fonctionnement de l'écluse, rendez-vous sur le site du journal "l'Alsace" : http://www.lepays.net/jdj/00/08/30/MU/1/article_1.html ; pour plus de photos, et des renseignements sur la liaison Rhin-Rhône, rendez vous sur le blog Niffer et l'Alsace : http://blog.doctissimo.fr/Niffer/index.php///rub/27122 ; vous pouvez aussi consulter un rapport sur l'aménagement écologique du bief de Niffer, que j'ai repris en partie pour un passage de cet article : http://www.cetmef.equipement.gouv.fr/publications/jt/jt2001_a8.pdf .
Découvrez une autre réalisation de le Corbusier dans le monde fluvial : la péniche de l'armée du Salut à Paris, à travers un article de notre ami Mati : http://bordabord.org/news/l-ex-peniche-de-l-armee-du-salut
Prochaine étape de notre descente du Grand Canal d'Alsace : Ottmarsheim.
Retrouvez les précédents chapitres sur Kembs : http://bordabord.org/news/navigation-rhenane-ch-1-ecluses-de-kembs et http://bordabord.org/news/navigation-rhenane-ch-1-suite-ecluses-de-kembs .