La pêche, un art d'orateur

Publié le 04 octobre 2008 par Francisbf

Je sais pas vous, mais moi, si il y a des types qui m'impressionnent, ce sont bien les pêcheurs. Je ne parle pas de ceux qui risquent leur vie pour choper des poissons prépubères dans l'optique floue de payer le diesel nécessaire à choper ces poissons, mais de ceux qu'on voit le dimanche au bord des lacs et rivières de France.

Tenez, j'ai passé mon samedi après-midi avec un, un breton égaré dans les plaines franciliennes. On est allés au lac de Créteil, une petite étendue d'eau entourée d'immeubles de tous les côtés, avec une frange herbue de quelques mètres par ci par là, ou simplement du béton, et des jets d'eau au milieu. Le novice que je suis se dit en voyant ce truc : des poissons, là dedans ? Pourquoi pas dans la fontaine Saint-Michel ?

C'est là qu'intervient le pêcheur et son art : le baratin. Il n'y a pas plus expert dans le domaine que le pêcheur aguerri, qui a passé des années à perfectionner son speech.

Tout d'abord, le climat. Le pêcheur a toute autorité pour décider qu'aujourd'hui, le soleil associé au vent et à la couleur de l'eau pas trop claire sont des signes favorables à la prise de grosses perches, si elles ont pas déjà mangé.

Il choisira, en fonction de la prise visée, ici un poisson d'eau douce, un leurre en forme de calamar arc-en-ciel, qui fonctionnera " si on arrive à exciter le poisson, s'il réfléchit pas, qu'il fonce, c'est bon ".

Ensuite, choix de là où qu'on va envoyer le leurre titiller les poissons : " alors là, tu vois, dans le coin, y'a un surplomb en béton, elles aiment bien se mettre là à l'affût, on va essayer de les faire sortir, en plus c'est au soleil, elles aiment bien ça ".

Bon, tentatives.

Que dalle.

Re.

Tiens, deux sombres ombres suivent notre calamar. Ha zut, elles attaquent pas.

" Raah, c'est normal, on a croché une feuille. Bon, elles viendront plus, on bouge. Puis je vais enlever le bas de ligne en acier pour requins, ça fait de l'électricité, les poissons aiment pas trop ".

Tentatives plus loin. On change de leurre, pour un autre calamar qui tourne.

Je jette un oeil sur un postérieur qui passe, SCHLACK ! Je me retourne, je vois mon pêcheur à genoux, l'air pétrifié, les mains devant la bouche. Qu'est-ce qui s'est passé ? " T'as pas vu le remous ? C'est un brochet qui vient de me bouffer la ligne pourquoi j'ai enlevé le bas de ligne en métal putain je suis con mais c'est pas possible je suis MAUDIT ! Mais t'as vraiment pas entendu ? ". Non, vraiment, rien.

Bon, il va pas pleurer, là, le pêcheur, hein ? On va reviendre, t'en fais pas. D'abord, manger chez Quick, faut se constiper pour pas risquer de louper une prise en voulant faire caca.

Retour au site, on change pour un gros poisson bleu avec un hameçon dans le dos et un bas de ligne en acier. Rebelote, gros plouf, et " Putain, c'est un gros ! Mais pourquoi j'ai ferré comme un con ? ". Voui, encore loupé. Mais là, des marques de dents sur le leurre. Et donc, analyse poussée que tu te dis, le gars, il devrait être médecin légiste.

" Alors tu vois, là, l'espacement des dents et la profondeur des morsures ? Il devait bien faire au moins 70 cm, il a attaqué par derrière, j'aurais dû attendre avant de ferrer, il a attaqué sur le côté et par derrière, avec le soleil dans le dos comme je t'avais dit, à tous les coups, il était en poste. J'aurais attendu, il aurait gobé le leurre par l'avant, putain, j'aurais dû mettre un hameçon à la queue. Bon, on va tester les autres postes, on reviendra plus tard. "

Plus tard, bien sûr, Philibert (notre brochet de 90 cm) n'était plus là.

D'ailleurs, j'ai jamais vu mon pêcheur préféré remonter quoi que ce soit. Mais ça vaut toujours le déplacement, hein.

Ne serait-ce que pour les politesses échangées avec les autres pêcheurs, qui jamais au grand jamais ne voient le moindre poisson, pas plus que nous, mais qui ont déjà pris des petits silures de quinze kilos (il devait bien en faire huit, me glissera perfidement mon ami un peu plus loin) dans le même lac.

C'est presque plus fourbe que les chasseurs de champignon, les pêcheurs urbains.

En tous cas, passer une journée avec un, ça vaut bien le festival d'Avignon.