Il constate avec humour que, lorsqu'un mot est fortement médiatisé, la petite bourgeoisie s'en empare avec délice, puis tentera de démontrer sa suprématie cul-culturelle en s'appuyant sur un concept même - et surtout - s'il n'a plus grand chose à voir avec son origine. Vous avez peut-être pu le remarquer, lorsque j'ai eu l'occasion d'employer le terme : "Ethnie", un de ces cul-culturels doté d'un ego boursouflé d'éléphantiasis a automatiquement bondi sur ce concept persuadé qu'il savait de quoi il était question.
Car, comme le remarque Cyrulnik:
Quand un mot est technique, il se contente de ronronner dans son milieu de spécialistes, mais dès qu'il est accueilli par la culture, il enfle et se boursoufle et se charge d'une signification qui n'est plus celle de son origine. Alors les opposants, irrités par le gonflement de cette baudruche sémantique, tentent de la percer parce qu'elle prend trop d'espace, sans même se préoccuper de ce qui a justifié son fondement.Aussi, ci vous ne savez pas trop comment occuper votre blog pendant les vacances, suivez les conseils de Boris : publiez quelques mots tels que "Ethnie", "Dieu", "Sacré", Autiste", "Islam", "Colonie", "Juif", "Esclavage", "Bush", Nation", "Civilisation", "Psychanalyse", "Gitans", "Intellectuel", et, laissez tomber "Drogue", "Prostitution", "Banlieue", "Irak", "Nucléaire", "Karsher" ou "Pédophilie", ces derniers ne font plus recette. Vous me direz combien vous dénombrez de crétins tombés dans le panneau.
Ces errances conceptuelles ont connu par le passé de glorieuses illustrations. Le mot "inconscient" baignait l'Autriche quand Freud était enfant. Il était utilisé par les zoologues comme Carl Gustav Carus, qui expliquait que les animaux étaient conscients d'une foule de problèmes, mais n'étaient pas conscients qu'ils en étaient conscients. Il a dénommé cette performance "das Unbewusste", terme repris par Freud et adapté à la condition humaine.
Une pensée paresseuse structure les idéologies, mais n'a plus rien à voir avec le concept original. "Tout mot employé dans des contextes différents ramasse un nombre important de significations différentes, qui expliquent son ambiguïté", nous explique Alain Bentolila. Le mot "hôte" désigne celui qui reçoit autant que celui qui est reçu. On peut subir son "destin" autant qu'en devenir le maître.
Le choix du mot est déjà une interprétation du monde. Affirmer qu'un singe est dominant ne déroule pas le même implicite idéologique que dire qu'une femme est dominante. Certaines expressions sont tellement heureuses qu'elles deviennent des gonflettes sémantiques. L'expression "faire son deuil", pourtant clairement élaborée par les psychanalystes, est employée dans tellement de situations différentes qu'elle ne veut plus rien dire aujourd'hui.
Si vous aimez les tests projectifs où, croyant parler des autres, vous dévoilez votre propre monde intime, il vous suffira de prononcer les mots "génétique", ou "forclusion du nom du Père", ou "résilience", puis d'observer les réactions émotionnelles de votre interlocuteur.
La réalité du concept est ailleurs, dans les livres, les laboratoires ou les groupes de praticiens. Là vous pourrez préciser votre idée et la renforcer, comme l'ont fait ceux qui ont élaboré les mots "inconscient", "génétique" ou "résilience". Mais ce travail est un plaisir lent que n'apprécient pas les perroquets de Panurge" ou les cul-culturels de service sur le Web.
Moi, pour le moment j'en tiens un gros, il lui faut même plusieurs pseudos, tellement il est con, le pauvre...
Celui qui se tue pour échapper à sa gloire