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La grande guerre racontÉe par les combattants – 3

Par Francois155

Suite des parties 1 et 2.

1914 : LA GRANDE RETRAITE.

La guerre a

commencé le 2 aout, dans l’enthousiasme ou au moins la certitude d’une prompte victoire. Peu de questions sur la stratégie et aucun doute, surtout, sur la tactique que devront appliquer les troupes françaises : l’attaque, encore l’attaque, toujours l’attaque… Il faut sans doute revenir un instant sur ce « culte de l’offensive », d’ailleurs partagé par les deux camps, mais qui sera si mal employé côté français. « Attaquons, attaquons… comme la lune ! » aurait lancé un Lanrezac effondré autant par l’ampleur des pertes subies lors des premières batailles que par la teneur des ordres qu’il recevait[i]

Les observateurs étrangers de la guerre de 1870 avaient été frappés par le manque d’initiative des commandants français qui tranchaient fatalement avec celui des Prussiens ainsi qu’avec la légende des généraux, si jeunes et intrépides, de la Révolution et de l’Empire. Les penseurs hexagonaux de la « Revanche », conscients de cette faiblesse, s’appliquèrent à rendre à l’infanterie, reine des batailles, son esprit d’initiative et, plus particulièrement, son esprit offensif. Hélas, alors qu’un Ferdinand Foch savait raisonner de manière équilibrée, en prônant certes l’attaque comme facteur de décision essentiel, mais l’incluant surtout dans un ensemble de principes aujourd’hui encore d’actualité (à travers, notamment, ses deux œuvres maitresses : « Les principes de la guerre » et « La conduite de la guerre », parues en 1903 et 1904), c’est le malheureux culte de « l’offensive à outrance » qui s’installa dans les esprits et devint la tactique unique de l’armée française. Symbolisée par le général de Grandmaison (auteur notamment de « Le dressage de l’infanterie en vue du combat offensif » - 1908), cette posture tactique enseignée de manière trop rigide et couplée à un plan stratégique peu inventif va donner les résultats catastrophiques que l’on sait. Charles de Gaulle, dans « Le fil de l’épée », note : « On connaît les conséquences tactiques qu’entrainèrent, lors des batailles des frontières, ces principes métaphysiques. Transposée dans l’ordre stratégique, cette doctrine avait, on le sait, pesé sur les premières conceptions. Concentration a priori et par suite sans souplesse, offensive immédiate des armées françaises ; opérations entreprises sans que fût tenu un compte suffisant des intentions, du dispositif ennemi, du terrain ».

Sur le terrain, les armées françaises sont bousculées avec des pertes effroyables, le front craque de partout, les armées allemandes poursuivent leur avance, le plan Schlieffen déploie ses traits à travers le pays.

Le 23 aout 1914, Lanrezac informe Joffre qu’il donne l’ordre à sa 5éme Armée, refoulée de la Sambre, de se replier.

Le 24 aout au matin, la BEF (British Expeditionary Force) entame une retraite générale. À 9h45, le même jour, Joffre envoie un message[ii] au ministre de la Guerre :

« Au nord, notre armée opérant entre Sambre et Meuse, l’armée anglaise a dû subir des échecs dont je ne connais pas encore la portée, mais qui l’ont contrainte à reculer…Force est donc de se rendre à l’évidence… Nos corps d’armée n’ont pas montré en rase campagne les qualités offensives que nous avaient fait espérer les succès partiels du début… Nous sommes donc condamnés à une défensive appuyée sur nos places fortes et sur les grands obstacles du terrain, en cédant le moins possible de territoire. Notre but doit être de durer, le plus longtemps possible, en nous efforçant d’user l’ennemi, et de reprendre l’offensive le moment venu ».

C’est le début de la grande retraite qui va durer quatorze jours interminables durant lequel les hommes devront marcher et sa battre sans cesse, sous la pression des Allemands euphoriques, accablés par la fatigue, la soif et le soleil brulant, dans une ambiance de détresse où il faut constamment lutter contre les risques de débandade.

Mais rendons la parole aux combattants.

Werner Beumelburg nous offre, dans son livre « La guerre de 14-18 racontée par un Allemand », un aperçu des épreuves qu’endurent les soldats en feldgrau et de leur enthousiasme pendant ces journées de poursuite où l’avance semble ne devoir s’arrêter qu’à Paris :

« Les troupes allemandes (…), ne font rien d’autre, depuis trois semaines, que combattre et marcher, marcher et combattre.

Le soleil déverse impitoyablement sur elles ses rayons brûlants, comme jadis en Belgique. Des éclopés s’arrêtent sur les bords des routes ; ils gisent là accroupis, le visage boursouflé, congestionné, ruisselant de sueur, un mouchoir sur la tête.

Depuis longtemps déjà il n’y a plus de pain. Les boulangeries de campagne ne peuvent suivre. Toutes les routes sont couvertes d’artillerie et de trains de combat. Les obus sont plus importants que le pain. (…)

Chaque soldat traîne deux cents cartouches. Elles le tirent vers le sol comme du plomb. Quand une partie d’entre elles a été tirée, les trains de combat les remplacent. Des cartouches, il y en a encore suffisamment.

Les routes sont comme tracées au cordeau et bordées de peupliers géants. On chemine muet, de colline en colline, par un soleil de feu et une chaleur étouffante. Les villages succèdent aux villages. Ensuite c’est la plaine, rien que la plaine.

Pas de fin. Pas de jour de repos. Pas de courrier. Depuis longtemps les chaussettes sont en lambeaux. Avec des mouchoirs, des pans de chemise, des morceaux de toile on se fait des chaussettes russes. Les bottes ont été durcies par la sécheresse et la poussière. Elles font mal et écorchent les articulations. On ne quitte plus ses vêtements couverts de sueur.

Cette marche cessera-t-elle jamais ?

Depuis les batailles des frontières, c’est à peine si on voit encore l’ennemi. On met la hausse à 1100 mètres ; parfois aussi on la descend à 400 mètres. Couchez-vous ! Debout, au pas de course ! On ne sait vraiment pas d’où vient ce piaulement chantant qui zèbre l’air en tous sens. Il faut faire un calcul compliqué pour savoir où chercher l’ennemi. (…)

Les champs et les bois sont parsemés de bidons, de musettes, de sacs, d’ustensiles de campement. Ils ont tout laissé ! Pourquoi fuient-ils aussi éperdument ? On dirait une course vers l’intérieur de la France. Ils n’ont pourtant pas de meilleures jambes que nous. Il arrivera bien un moment où ils seront à bout.

Ils se sont embusqués aux lisières des villages, dans les forêts, sur les croupes, dans les fossés des routes. Les balles sifflent, les mitrailleuses crépitent. La tête d’avant-garde se déploie. Le gros de l’avant-garde et le gros de la colonne se portent derriére quelques maisons ou dans un bois et forment les faisceaux. (…)

Puis ceux d’en face disparaissent tout à coup. On s’en aperçoit au fait que les balles ne miaulent plus. On peut voir, ça et là, à l’horizon, des fractions bleu et rouge disparaître. Leur artillerie tirant par-dessus les hommes qui se replient arrose la route où se rassemble le gros de l’avant-garde.

Maintenant on peut aussi les voir de prés. Les prairies sont parsemées de leurs morts et de leurs blessés. Peu de prisonniers. Les blessés demandent grâce avec des regards brulants de fièvre. Ils pensent qu’on va les abattre comme des chiens sauvages. Leur premier mot est « de l’eau » ! (…) Ils ne savent pas eux-mêmes pourquoi ils doivent toujours fuir. Cela ne peut plus continuer longtemps ainsi. Une fois pansés, ils montrent les photographies de leurs femmes et de leurs enfants.

Et maintenant, en avant encore une fois ! (…)

Et cependant, malgré ses fatigues, cette troupe ne parle que de marche et de victoire. Les décisions rapides qui ont été obtenues partout jusqu’à ce jour ont créé chez elle un sentiment de supériorité absolue. Tous se hâtent vers l’ultime grande décision que l’on attend maintenant chaque jour. »

Côté français, bien sûr, le moral est bas. Déjà, il faut quitter les quelques territoires « libérés » par l’entrée des troupes dans les anciens départements occupés après 1870. La population est consternée par le reflux. La honte saisit les soldats, et la peur, aussi, quant au sort que les Allemands réserveront aux civils qui ont pavoisé de tricolores leurs maisons, voire à ceux qui tenteraient de faire le coup de feu contre les occupants qui reviennent. Pierre Miquel rapporte cette anecdote, vécue par le caporal Delabeye :

« Le caporal, qui a marché quarante kilomètres dans la journée, est recueilli, soigné par un vieil homme qui lui met de l’avoine grillée dans ses souliers pour les sécher et lui donne des tranches de lard pour graisser son fusil souillé. Il lui montre son Chassepot de 1870 :

- Si les Prussiens viennent par ici, dit-il, je les descends comme des loups !

Pour qu’il ne soit pas fusillé, le caporal profite d’un moment d’inattention pour jeter le vieux fusil dans une mare. »

De fait, la retraite – ou la poursuite – se fait dans une ambiance partagée de paranoïa : côté français, on suspecte des espions partout tandis que les Allemands, craignant les francs-tireurs, procèdent à des exactions dans certains villages. Des civils, y compris des femmes et des vieillards, sont fusillés sommairement.

Pour les Français, il faut vaincre la fatigue, la peur, le sentiment amer de l’abandon des positions brièvement conquises, la certitude de la victoire rapide qui s’éloigne peu à peu. La discipline est féroce pour empêcher que la retraite ne se transforme en débâcle…

Le livre « Vie et mort des français, 1914-1918 » propose cette évocation de la retraite grâce aux témoignages du sergent Ducasse et du colonel Champagne :

« 1er septembre : On marche, on marche, le ventre creux. On arrache des raves et des pommes de terre qu’on s’efforce de manger crues. Les hommes dorment debout ; après chaque pause, impossible de les faire se relever.

2 et 3 septembre : Le 3éme bataillon occupe la butte de Souain. Les bidons sont vides : « Pas la moindre goutte sur ses plateaux crayeux ». Lâché par un régiment voisin, tourné par des patrouilles de uhlans, le capitaine Campagne reste en flèche. Il réussit à décrocher, de nuit, se faufile à travers les maigres bois de pins, aux formes géométriques, qui parsèment les mornes ondulations de la Champagne pouilleuse. Il atteint la Suippes, le 3, vers 11 heures du matin. Ses hommes se ruent à la rivière, se jettent à plat ventre et se mettent à laper, « comme de pauvres bêtes ». (…)

Le 1er bataillon cependant s’est battu devant Souain : « On fait une barricade avec des charrettes. Au petit jour, le combat s’engage. Les nôtres sont bien retranchés et tiennent ; mais toujours l’ordre de se replier !...

Au sud du village, nous soutenons la retraite… On se met à l’abri derrière une immense meule de paille, car les obus pleuvent. Sur la route, un blessé traîne dans une brouette un camarade plus gravement atteint… Un obus, un cri, quelques convulsions sur le sol… C’est fini pour tous deux…

Traqué par les marmites et la chaleur, on traverse Suippes… On passe à travers champs, on trébuche ; tout le monde se perd. Chacun part de son côté, direction Châlons. » (…)

Prés de la Cheppe, une fois de plus, l’artillerie allemande se déploie, à 3 kilomètres. « Avec une promptitude extraordinaire, le capitaine de Lagarrigue se met en batterie, ouvre le feu, culbute chevaux, caissons et personnel ».

Les fantassins, cette fois, pourront respirer un peu… Ils marchent toute la nuit, à la lueur de la lune, des étoiles, et surtout des incendies « allumés par ces sauvages ».

4 septembre : Saint-Jean-Sur-Moivre… Aulnay-l’Aître… Sur les routes brulées de soleil, les hommes sont si éreintés que la 12éme compagnie (décimée, privée de ses officiers) refuse d’aller plus loin. Campagne, qui fait fonctions de chef de bataillon, la rassemble en carré :

- Dugaleix, je vous donne ce troupeau. Vous en referez une compagnie digne de ses chefs qui sont tombés. Je vous rappelle votre droit : vous forcerez leur obéissance.

Un homme laisse échapper : « Ah ! Le salaud ! » D’un revers de la main, j’envoie rouler le délinquant. Son voisin empoigne son Lebel et menace.

- Vous, vous avez dix secondes pour achever votre pensée ! Après, vous êtes un homme mort.

Mais il laisse retomber son arme, et mon revolver n’est pas sorti de son étui…

« Ramassez votre fusil ! » et à l’autre : « Relevez-vous ! »

Je me remets moi-même d’aplomb : tous les deux pleurent. »

Maurice Genevoix évoque aussi la retraite dans son célèbre « Ceux de 14 » :

« Jeudi 3 septembre.

Plusieurs régiments, toute la division, je crois, doivent se rassembler dans un ravin, à quelques centaines de mètres du village. Le rassemblement traîne : on attend toujours des troupes qui n’arrivent pas. Ma compagnie, d’arrière-garde, s’est arrêtée sur le bord de la route. Il fait grand jour. Jusqu’à quand allons-nous rester là ? C’était pourtant hier qu’on nous bombardait à Cuisy !

Une détonation lointaine, que je reconnais : artillerie lourde allemande. Au sifflement, je me rends compte tout de suite que l’obus vient droit vers nous. Je regarde Montfaucon, et je vois, prés de l’église, une gerbe de flammes et de fumée qui jaillit ; deux secondes, et la détonation nous arrive, brutale et lourde.

C’est le signal : sifflements, éclatements, fracas de toits qui s’effondrent, de murs qui s’écroulent. Je sens trembler le sol sous mes pieds et passer sur ma peau le souffle des explosions. Je ne sais plus où je suis, et je regarde avec une tristesse hébétée, ces panaches de fumée noire, de fumée rouge, de fumée jaune, qui surgissent partout, se rapprochent, se mêlent, jusqu’à former un nuage immense, funèbre et sanglant, qui plane sur le village mort.

Des voitures de blessés passent ; il y en a qui agonisent. Des blessés à pied maintenant, qui se trainent, à moitié couchés sur leurs béquilles, ou s’appuyant de tout leur poids sur deux bâtons. Un aumônier les accompagne ; il plaisante, il rit, pour essayer de leur donner confiance et courage.

Un couple de vieux, pitoyables ; l’homme a sur le dos une hotte énorme, pleine à crever ; la femme porte au bout de chaque bras une grande corbeille d’osier que recouvre une serviette ; ils vont vite, les yeux pleins de détresse et d’épouvante, et se retournent, se retournent encore, vers leur maison qu’ils n’auraient pas voulu quitter, et qui n’est plus maintenant, peut-être, qu’un tas de décombres fumants. (…)

La colonne est maintenant assez loin pour que nous puissions partir à notre tour. (…) Derrière nous, toujours, les obus tonnent sur Montfaucon.

Nous marchons, chassés en avant pas une poussée inouïe dont j’éprouve seulement alors la sensation nette. Nous sommes courageux et nous voulons bien faire ; mais où sont nos canons qui feraient taire ceux-là ? Nous sommes bousculés, nous cédons. Et tout doucement une impression nait en moi, s’affirmant jusqu’à m’accabler : je me sens petits en face de cette force.

Hier, de nos tranchées de Cuisy, je voyais les automobiles allemandes rouler sur les routes par la vallée où l’on venait de se battre. Leurs brancardiers ramassaient leurs blessés (…). Leurs aéros planaient sur nos positions, repérant les points où allaient tomber les obus. Des cavaliers en vedette observaient, inlassables, et les patrouilles montées se hasardaient à travers les avoines et les seigles.

Ce matin je pense à toutes ces choses, et je comprends quelle organisation met en œuvre cette force.

Je me rappelle aussi que j’ai vu, hier encore, un bataillon allemand rassemblé entre deux bois, à trois kilomètres à peine de nos lignes. Les hommes avaient mis bas leurs capotes et tranquillement creusaient des tranchées, pendant que fumaient les feux des cuisines en plein air. Et je me demandais avec un étonnement grandissant pourquoi nos 75 tant vantés ne lançaient pas une bordée d’obus au milieu de ce tas d’ennemis. »

Pierre Miquel, rassemblant des témoignages, décrit une retraite qui semble fort ne pouvoir s’arrêter qu’à Paris, dans l’amertume de la défaite :

« (…) Il n’y a pas de discipline sur les routes ; après Charleroi, c’est la cohue, les gendarmes sont débordés. Lanoux, citant Dorgelès, parle de la retraite du 39éme de Rouen : « Une grande course à pied, sous le soleil qui incendiait les chaumes, une course ponctuée par le franchissement de l’Oise à Guise, de l’Aisne, entre Berry-au-Bac et Soissons, de la Vesles, à l’ouest de Reims… Un travail de saute-ruisseau. » c’est « une marche forcée, de Charleroi à Montmirail, sans halte, sans soupe, sans but, les régiments mêlés, zouaves et biffins, chasseurs et génie, les blessés effarés et trébuchants, les traînards hâves que les gendarmes abattaient. Les sacs, les équipements jetés dans les fossés… Le sommeil de pierre pris sur le talus ou sur la route, malgré les caissons qui passaient, broyant les pieds, les épiceries pillées, les basse-cours dévastées, le pain moisi qu’on se disputait, mitrailleurs sans mulets, dragons sans chevaux, Sénégalais sans chefs, les chemins encombrés de tapissières et chars à bœufs où s’entassaient des gosses et des femmes en larmes, les arbis traînant des chèvres, les villages en flammes… »

Même témoignage de Victor Bourdon qui raconte la reculade du régiment de Péguy, lequel fait partie de la 55éme division de réserve. (…) Il débarque le 28 à Tricot, dans l’Oise. Les soldats croient les Allemands à hauteur de Lille. Ils font 30 kilomètres dans la direction de Roye et se heurtent à la file ininterrompue des civils « la plupart en habits du dimanche », qui croisent leur colonne. « Les Boches arrivent, crient-ils, ils sont à 40 kilomètres ! » Péguy marche « avec une tristesse mêlée de rage », sans savoir où il va ; « le pays est inconnu des officiers qui n’ont pas encore de cartes ». Ils savent qu’ils font partie de la nouvelle armée de Maunoury (…). La route est interminable ; Le « capitaine Guérin fait des efforts surhumains pour tenir, s’accrochant, pour marcher quand même, à la queue de son cheval ». Péguy, le ventre creux, fait le serre-file. Des « traînards, les pieds en sang, se suspendent aux voitures des réfugiés ». (…) Comme Dorgelès, Péguy affirme : « Ce qui est terrible, c’est le manque de nouvelles ». Il doit remonter le moral des siens en parlant du « plan arrêté » de l’état-major. Mais il en ignore tout. Aucun des hommes qui se traînent sous la canicule ne sait si cette retraite prendra fin un jour. »

Comment imaginer, en ces heures de confusion et de détresse, autrement que par la puissance inébranlable de la volonté qui étreignait chaque soldat et chaque chef, que cet amas de troupes allait sous peu réaliser l’exploit de se retourner et de refouler à son tour un ennemi certain de sa victoire. La gloire du soldat français, à ce moment, fut de conserver intacte sa force morale malgré les pertes et la fatigue. Von Kluck, du reste, ne s’y trompera pas en écrivant :

« Que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes couchés par terre et à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerre ».

Ce à quoi Louis Hourticq rajoute[iii] :

« Celui qui aura vu de prés une grande bataille, non pas sur la table où se rédigent les ordres, mais sur le terrain où se heurtent la chair et le métal, parlera moins de stratégie et de tactique. C’est la souffrance du soldat et son abnégation qui obtiennent la victoire et la paient de leur sang ».



[i] Lanrezac sera d’ailleurs limogé par Joffre le 3 septembre 1914 et en conservera une grande amertume. Il sera « réhabilité » en 1917, époque à laquelle fut enfin reconnu officiellement son rôle déterminant dans les prémices de ce qui allait devenir la victoire de la Marne.

[ii] Cité dans « La Première Guerre mondiale », John Keegan.

[iii] In « Vie et mort des Français ».


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