Roseaux urbains

Publié le 03 octobre 2008 par Nicole Guichard
Les roseaux urbains
Des grilles de métal aux courbes végétales. Une transition douce entre la rue et l'espace privé.

Elles ont quelque chose du roseau, les grilles de la rue Hélène-Brion, à Paris (1). Des tiges de taille inégale joliment cintrées, une ondulation comme aléatoire, un air sagement échevelé. Et, surtout, rien d'agressif. Voilà qui change de la raideur militaire des grilles classiques aux pointes dorées qui enclosent châteaux et hôtels particuliers. Rien à voir non plus avec les grillages, thuyas et parpaings des jardins de banlieue. En France, la délimitation entre l'espace public - la rue - et l'espace privé - chez moi- se doit d'être clairement marquée. Pour l'avoir oublié, trop d'aménageurs de ces quarante dernières années, qui ont posé au hasard leurs immeubles sur des dalles indéterminées, ont inexorablement voué leurs cités à la déshérence. En dessinant le plan masse du nouveau quartier Masséna, juste à l'est de la Grande Bibliothèque (Paris 13e), l'architecte coordinateur Christian de Portzamparc a heureusement renoué avec ce principe fondateur : la rue, bien délimitée, avec sa chaussée, ses places de stationnement, ses trottoirs à l'alignement des façades. Ou, plus exactement, à l'alignement des parcelles. En effet, rue Hélène-Brion, l'une des plus étroites du quartier, les immeubles, tous différents par leur aspect et leur destination (des bureaux, une crèche, des logements), sont conçus sur le principe de l'îlot ouvert: pas strictement mitoyens, ni de la même hauteur, ils ouvrent un peu en désordre sur la rue et de petits jardins intérieurs.
Pour faire tenir ensemble cette collection hétéroclite, Christian de Portzamparc a donc eu l'excellente idée d'imposer ici le principe de la grille, sous la forme d'un simple dessin qu'il a fourni, comme un rideau clair de roseaux joliment courbes. Ensuite, chaque architecte a pu l'interpréter à sa manière. A l'école maternelle, question de sécurité, les barreaux sont un peu plus serrés ; pour les logements sociaux de l'Opac, leur cime est inégale, avec quelques perches résolument plus hautes ; dans la résidence de chercheurs de l'université Paris-VII, ce végétal de métal se fait sage et régulier. A la fois semblables et différentes, les grilles, comme un pointillé d'une façade à l'autre, en droite ligne, finissent par faire rue. Réussi ! Luc Le Chatelier-Télérama n° 3064-
(1) Sur la plaque de rue : Hélène Brion (1882-1962), enseignante, militante syndicaliste et féministe.