Les roseaux urbains
Des grilles de métal aux courbes végétales. Une transition douce entre la rue et l'espace privé.
Elles ont quelque chose du roseau, les
grilles de la rue Hélène-Brion, à Paris (1). Des tiges de taille
inégale joliment cintrées, une ondulation comme aléatoire, un air
sagement échevelé. Et, surtout, rien d'agressif. Voilà qui change de la
raideur militaire des grilles classiques aux pointes dorées qui
enclosent châteaux et hôtels particuliers. Rien à voir non plus avec
les grillages, thuyas et parpaings des jardins de banlieue. En France,
la délimitation entre l'espace public - la rue - et l'espace privé - chez moi- se doit d'être clairement marquée. Pour l'avoir oublié,
trop d'aménageurs de ces quarante dernières années, qui ont posé au
hasard leurs immeubles sur des dalles indéterminées, ont inexorablement
voué leurs cités à la déshérence. En dessinant le plan masse du nouveau
quartier Masséna, juste à l'est de la Grande Bibliothèque (Paris 13e),
l'architecte coordinateur Christian de Portzamparc a heureusement
renoué avec ce principe fondateur : la rue, bien délimitée, avec sa
chaussée, ses places de stationnement, ses trottoirs à l'alignement des
façades. Ou, plus exactement, à l'alignement des parcelles. En effet,
rue Hélène-Brion, l'une des plus étroites du quartier, les immeubles,
tous différents par leur aspect et leur destination (des bureaux, une
crèche, des logements), sont conçus sur le principe de l'îlot ouvert: pas strictement mitoyens, ni de la même hauteur, ils ouvrent un peu
en désordre sur la rue et de petits jardins intérieurs.
Pour faire tenir ensemble cette collection hétéroclite, Christian de
Portzamparc a donc eu l'excellente idée d'imposer ici le principe de la
grille, sous la forme d'un simple dessin qu'il a fourni, comme un
rideau clair de roseaux joliment courbes. Ensuite, chaque architecte a
pu l'interpréter à sa manière. A l'école maternelle, question de
sécurité, les barreaux sont un peu plus serrés ; pour les logements
sociaux de l'Opac, leur cime est inégale, avec quelques perches
résolument plus hautes ; dans la résidence de chercheurs de
l'université Paris-VII, ce végétal de métal se fait sage et régulier. A
la fois semblables et différentes, les grilles, comme un pointillé
d'une façade à l'autre, en droite ligne, finissent par faire rue.
Réussi ! Luc Le Chatelier-Télérama n° 3064-
(1) Sur la plaque de rue : Hélène Brion (1882-1962), enseignante, militante syndicaliste et féministe.