Hôtel France™

Publié le 03 octobre 2008 par Collectifnrv

Henri Krazucki prédisait dans les années 80 que (de mémoire) « la France deviendrait le cul bronzé de l’Europe ». Les chiffres du tourisme en France ne cessent être mis en avant et ils sont éloquents : (année 2006)

Dépenses en France des visiteurs étrangers : 36.9 milliards d’euros.

Consommation touristique en France : 112.2 milliards d’euros.

Poids de la consommation touristique par rapport au PIB : 6.3% (en euros constants).

76 millions de touristes, 566.9 millions de nuitées.

http://www.tourisme.gouv.fr/fr/z2/stat/chiffres/att00009212/ccles_fr.pdf

Plutôt que de courir après son histoire perdue, plutôt que de pleurer son rayonnement éteint, plutôt que de bomber le torse face aux pays émergents hilares, plutôt que de louer son identité tout en battant sa coulpe, ce pays devrait faire ce qu’il sait faire, et rien d’autre ; recevoir.

Le projet de faire de la France un gigantesque hôtel avec ses chambres, sa climatisation, ses services, ses employés, ses aspirateurs, ses grooms, sa moquette s’inspire de la théorie de « l’avantage comparatif » décrite par Ricardo :

http://www.cepii.fr/francgraph/publications/ecomond/lepointsur/2002ch8.pdf

Accueillir, dorloter, distraire, nourrir, faciliter l’oubli de la crise, étourdir, choyer le voyageur seront les missions premières de cet établissement-pays. Il sera du devoir de chacun, dans le cadre de l’unité nationale hôtelière, de veiller à l’optimisation des conditions d’accueil, de proposer un monde à part, un rêve…

Il conviendra dans un premier temps de renoncer à tous les secteurs d’activité, à toutes les industries, à toutes les technologies ne relevant pas, directement ou indirectement, de l’activité hôtelière. Toute l’activité de l’Etablissement devra être tendue vers ce pôle unique et porteur. L’Hôtel France™ doit tirer tous les avantages de cette spécialisation, garante de développement et de prospérité.

La loi littoral devra être abrogée, en d’autres termes la généralisation des dérogations. Il est nécessaire de construire les pourtours de l’Hôtel France™ au plus près des côtes, du relief, des frontières afin d’offrir aux touristes le meilleur point de vue et la meilleure accessibilité aux contrées exotiques. Ce bâtiment-limite hexagonal, exploitant l’acier et le verre, sera la seconde construction humaine visible depuis la lune. L’intérieur de l’établissement-pays deviendra alors un gigantesque patio. Les plaines et les coteaux (redessinés par l’agri-design raisonné) seront autant d’agréments et d’appels à l’aventure. Moquettes vertes et nuancées insalissables, faux arbres en mousse expansée, animaux réalistes en résine de silicone, nuages-antenne relais devront remplacés le vieux modèle de Nature et établir ainsi un développement durable fonctionnel et configurable à souhait. Les villes devront évoluer en pôles d’activité thématiques. Tout entrepreneur de spectacle, toute multinationale culturelle pourra apporter son savoir-faire et son image et obtenir la gérance d’un ou plusieurs pôles. Dreamworks, Sony et Baoji Titanium Industrial Co. Ltd. sont déjà en compétition afin de se voir attribuer la marque « Marseille™ ».

Afin d’offrir aux touristes un éco-système autarcique et dépaysant, il sera sans doute nécessaire de faire de l’Hôtel une île. De gigantesques travaux visant à détacher l’établissement du continent seront menés. Un ensemble de profondes tranchées, détourant l’établissement, seront creusées. Un dispositif électrostatique permettra alors de faire glisser l’établissement et, éventuellement, selon la demande, de laisser dériver l’Hôtel sur le proche Atlantique. Les appels d’offre seront lancés en toute transparence. On voit bien là tout l’intérêt de poursuivre le développement du nucléaire français et de militer pour la fusion Areva-Alsthom.

Une gestion optimisée du réchauffement climatique devra permettre de climatiser l’établissement et de proposer aux touristes des ambiances variées. Un partenariat avec les pays les plus pollueurs permettra de maîtriser la basse atmosphère et de permettre une planification optimale du climat. La possibilité d’installer une centrale thermique à charbon, très grosse productrice de gaz à effet de serre, près du pôle «tourisme sexuel virtuel » d’Issoudun™ est à l’étude. Cette source de dérèglement climatique d’appoint permettra une meilleure réactivité face à la demande des clients nomades. De plus, afin de parfaire le dispositif, la forêt des Landes sera rasée et remplacée par une dalle en béton peinte en vert. Le catastrophisme écologique connaîtra ainsi un débouché fructueux et, du fait de la privatisation du réchauffement, l’aboutissement d’une stratégie de perpétuation du modèle marchand.

Il va de soi que la gamme des prestations offertes devra être la plus large possible. De la formule « la sensation barre HLM », destinée aux CSP+ ayant conservé l’esprit d’aventure et voulant décompresser en s’initiant au paint-flashball, à la suite « Brégançon – Mickey Mouse » pour les plus fortunés voulant s’imprégner ludiquement de la grandeur passée de la République, l’offre saura décliner le patrimoine français tout en le modernisant. Pour les moins fortunés, la réhabilitation des bassins miniers de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais visant à creuser des cases-chambres dans la roche sera engagée. Ainsi, pour la clientèle bas de gamme, cette offre sera-t-elle considérée comme un retour aux sources. Sensations garanties…

Les infrastructures et accès de service du complexe nécessiteront des aménagements. Les métros urbains seront réhabilités en autant de passe-plats et autres monte-charges. Les LGV (laveries à grande vitesse), CGV (cuisines à grande vitesse), SEGV (services d’étages à grande vitesse) sillonneront le complexe via le réseau de la SNCF (Service iNtégré des Chambres et Frigidaires). Toutes les voies routières, fluviales, aériennes seront dévolues au service et aux ex/incursions des touristes. Le personnel, du fait de sa mission exclusive de service continu, ne pourra emprunter ces voies que dans le cadre du service. Tous les déplacements personnels, limités par l’absence de temps libre, ne pourront s’effectuer que dans un réseau de tuyaux décoratifs ou fonctionnels (tel le vrai/faux oléoduc de Vesoul™, morceau de bravoure du parc thématique « Géorgie, mon amour » financé par BP).

La satisfaction du touriste passe avant tout par un management du personnel de qualité. Le service rendu étant la manifestation d’un nouveau patriotisme, aucun manquement ne saura être toléré. Pour garantir la pérennité de cette efficacité, un état de « crise permanente » sera insufflé. Cette crise, exploitation des idées de « concurrence exacerbée et mortelle », « imminence de la fin du modèle hôtelier optimal », « possibilité du chaos », sera la vérité de l’article premier du texte fondamental de l’Etablissement : « Le lapin-chasseur ou la mort » (notre intelligence : vos rêves).

Il faut cependant préciser que tous les individus pouvant porter atteinte à l’image du complexe hôtelier France seront immédiatement expulsés. Les grooms-vigiles auront toute latitude d’ouvrir et de fermer les portes. Le modèle français de l’univers carcéral, à savoir insalubrité, suicide et surpopulation, sera reconduit. Cette certaine idée du « séjour carcéral » sera mise en œuvre par Andorre Fun Jails™, leader mondial de la rétention discount.

Pour finir, les notions d’Etat, de République et de Démocratie finiront d’être liquidées. Un établissement transversal et performant comme l’Hôtel France™ se doit d’être managé selon les normes modernes en vigueur. C’est la qualité des prestations, la productivité des agents, l’indice U.V. et le PHB (Produit Hôtelier Brut) qui déterminent l’action. Un conseil d’administration, établi selon les règles en vigueur, présidé par l’homo claydor alpha, se réunira chaque jour dit « grande plonge purificatrice » (ex jour férié), et examinera les nouvelles tendances, les dernières modélisations du bonheur à options, les partenariats envisageables avec Vatican-Roc’Eclerc™ et la NRA (Nouvelle Russie Administrée), les débouchés de la neuro-thalasso et du brunch « anthropophagique »...

Hotel France™

Je TM à la folie.

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