La nature du populisme ou les figures de l'idiot, par Chantal Delsol

Publié le 03 octobre 2008 par Francisrichard @francisrichard
Le populisme est un mot utilisé pour accuser ceux qui ne se reconnaissent pas dans la vérité universelle prônée par les élites, mais qui se reconnaissent dans des personnages charismatiques qui eux les incarnent. Il fallait que, sans passion, et sans invectives, une analyse soit faite de ce courant réel de notre époque. Chantal Delsol y apporte une première contribution.
Dans son livre sur le populisme, publié aux éditions Ovadia, dans la collection Chemins de pensée, elle montre d'abord que si le mot de populisme est d'un usage relativement récent, on en trouve les prémices, et une analogie certaine, dans la Grèce antique, puis elle traite de l'époque moderne et enfin de l'époque contemporaine.

Ainsi la démagogie serait-elle l'ancêtre du populisme. Le démagogue s'adresse à ce que Chantal Delsol appelle les  nombreux, qui s'opposent aux quelques uns. Les premiers s'intéressent au plaisir immédiat et à ce qui est particulier, l'idios; les seconds à la raison, le logos, et à ce qui est universel, le koinos. Le démagogue est celui qui prête attention aux nombreux. L'élite, constituée des quelques uns, le méprisent parce qu'il flatte le peuple et ne se soucie pas du "bien commun" de la cité.

Plus tard, les révolutionnaires se donnent pour mission de faire le bonheur du peuple. Ils vont déchanter. Car ils se font une idée du peuple qui ne lui correspond pas - la raison grecque s'est muée en idéologie. Ils conceptualisent le peuple, alors qu'en réalité celui-ci veut tout autre chose que le bonheur imaginé par eux pour lui.
Ce quiproquo entre le peuple et les révolutionnaires, censés les défendre, est ressenti des deux côtés comme une trahison. D'un côté l'idiotes grec, l'englué dans sa particularité, s'est mué en idiot tout court, qui défend idiotement l'enracinement. D'un autre côté le "bien commun" d'une cité s'est mué en émancipation de tous les hommes, mutation qui serait irréversible et inexorable, ce qui me paraît bien orgueilleux.
Du coup les défenseurs du peuple ne sont plus des révolutionnaires, gratifiés de l'épithète "populaires", mais des conservateurs, "des hommes qui reconnaissent comme leurs les aspirations du peuple", affublés eux de l'épithète "populistes" par les émancipés. Les populaires étaient généreux et solidaires. Les populistes seraient des démagogues hypocrites et vulgaires.
En fait ce qui distingue la protestation populiste des autres protestations, c'est la critique de "l'individualisme moderne", la défense des "valeurs communautaires de la famille, de l'entreprise, de la vie civique","la critique de la puissance d'Etat". Deux mots la résument : identité et moralisme. Cette protestation a en plus le tort dans un monde compassé de s'exprimer de manière crue, directe, voire violente, ce qui est plus que malséant, intolérable.
L'enraciné, qui se retrouve dans le populisme, "s'identifie à des territoires et à une culture. Il honore ceux qui le précèdent et s'estime rattaché à eux par une dette impayable.(...) Il honore l'idéal du héros, consacré par le sacrifice et la grandeur. Il appartient à un groupe. Il connaît cet autrui qu'il sert ou gouverne. Mais il ignore l'autre, l'étranger à sa culture, et parfois le déteste".
"L'émancipation représente le lent processus, initié avec la naissance de la civilisation, par lequel l'homme tente de se détacher de ses racines temporelles et spatiales, de ses obligations communautaires, des hiérarchies qui le tenaient dans un orbite étroit." Il veut "être autonome, ne devoir sa loi qu'à lui seul, faire fi des modèles de vie qui pourraient l'asservir".
Dans la deuxième moitié de son livre Chantal Delsol montre enfin comment l'idiot populiste est traité dans nos démocraties contemporaines, qui n'admettent pas les opinions contraires à l'émancipation dogmatique, c'est-à-dire au fond qui n'admettent pas le pluralisme; Chantal Delsol montre aussi comment le particularisme, de même que l'émancipation, peuvent conduire aux excès monstrueux que sont respectivement le nazisme et le communisme.
Si j'ai beaucoup insisté sur cette première moitié du livre de Chantal Delsol, c'est parce qu'elle me semble avoir touché du doigt un débat éternel, qui se tient entre les hommes, et en eux-mêmes, même s'il y a une indéniable évolution dans ce débat, et, dans le même temps, une crispation des positions. Chantal Delsol a le mérite de clarifier le sujet et de le faire dans une langue classique et donc accessible. Ce qui n'est pas banal de nos jours de la part d'une universitaire.
Thomas Edward Lawrence, Lawrence d'Arabie, dans Les Sept Piliers de la Sagesse, disait que "tout homme est une guerre civile". Je l'interprète ainsi : il veut être à la fois singulier et comme les autres; il voudrait par moments ne pas savoir et à d'autres tout comprendre; des racines le retiennent et il veut être libre. A des degrés divers il est proche de l'une ou l'autre de ces tendances. Il en est ainsi plus particulièrement de l'enracinement et de l'émancipation.  
C'est pourquoi des singularités ne me semblent pas incompatibles avec l'exercice de libertés. Elles y apportent la vie que la liberté absolue peut complètement assécher, comme tous les concepts. Il y a en tout des bienfaits, comme des méfaits. Encore faut-il tâcher de faire de preuve de discernement...et ne pas tomber dans l'excès, ni dans les positions, ni dans leur expression.
A ce dernier propos, "tout ce qui est excessif est insignifiant" disait Talleyrand, qui avait l'art et la manière de concilier les contraires.
Francis Richard