J’ai prolonge mon sejour de deux mois supplementaires en Afrique que je ne parviens decidement plus a quitter…
Mon quotidien au Malawi continue son petit bonhomme de chemin. On en est a notre 4ieme prototype de poupee, et je passe mes matinees chez Margareth avec Hadas, l’Israelienne qui est la beaute et la quietude personnifiees. Margareth est la seule femme du village avec lequel on travaille qui parle anglais, et c’est donc chez elle que se deroulent nos « reunions » dont on ne sort jamais sans qu’elle nous invite a partager le repas avec sa famille. Repas qui se composent bien souvent de pommes-de-terre et tomates cuites a l’huile. Une fois celui-ci termine, on reverse le surplus d’huile des assiettes et des casseroles dans un recipient : rien ne se jette, cela servira pour la prochaine cuisson…
Pour arriver chez Margareth, c’est une demi heure de marche sur des sentiers escarpes qui montent a pic, et je me dis que mes 4 etages a Bruxelles n’etaient qu’un semblant d’echauffement. De l’exterieur sa maison a de la gueule compare au standard local ; toute en briques rouges de la couleur de la terre… Mais une fois a l’interieur, c’est le vide total, pas une chaise, pas une table, on s’installe par terre sur une natte, pas d’eau courante ni d’electricte, et on se rend compte en regardant en l’air qu’il n’y a meme pas de toit non plus. Juste 4 murs.
Les conditions sanitaires dans ces villages sont a l’image des infrastructures : negligeables. Un jour qu’on reconduisait un ami dans son village – ¾ heure de chemins accidentes en 4X4 a travers la foret- je m’etais questionnee sur ce que devait etre la vie dans ses villages ; est ce que les gens sont condamnes a vivre en autarcie en saison des pluies lorsque les chemins ne sont plus que de la boue impraticable meme en vehicules tous-terrains ? On m’avait repondu : c’est l’Afrique, les gens trouvent toujours un moyen de se debrouiller. A pieds, a velo, 3h de marche avec un sac de 20kg de riz sur la tete n’effrayent personne…
Pour notre projet on continue nos allers-retours a Mzuzu en taxi-brousse, ce qui implique bien evidemment de subir une fois sur deux leurs pannes. Quand ce sont les freins qui lachent on voudrait croire en Dieu et lui reclamer un miracle au moment ou le chauffeur entame les descentes a toute allure pour prendre son elan…
Lors d’un de nos voyages, nous avons croise un matola (pick-up prive que le proprietaire rentabilise en compressant jusqu'à 40 personnes et leurs bagages), son chauffeur roulant trop vite avait fait tomber les passagers… des dizaines de personnes hurlant en sang, un bebe au visage arrache… Les matolas sont en effet reputes pour leur dangerosite et leurs nombres frequents d’accidents, mais c’est un moyen de locomotion bon marche pour les gens dont c’et la seule possibilite pour se deplacer.
A Nkhata Bay je continue d’aller diner chez la grand-mere de Puncque, Gogo (c’est comme ca qu’on designe les vieilles personnes), et les deux sœurs, Thokozani et Wanangwa qui m’ont totalement adoptee et pour qui j’eprouve une affection sincere et profonde. Gogo repete a qui veut l’entendre a quel point je suis gentille de venir cuisiner pour elle… mais honnetement, tout le plaisir est pour moi… Elle m’a propose de venir s’installer chez elle et monter ma tente dans le « jardin » ; pas qu’elle ne me veuille pas a l’interieur de sa maison, mais comme dans la plupart des familles africaines, les gens s’entassent deja peniblement a plusieurs par matelas… La proposition me touche, mais devoir partager, plusieurs semaines durant, le trou dans le jardin comme toilette me rappelle que je suis encore trop impregnee de mon confort occidental.
Au Malawi la saison chaude a debute, et avec elle, la recrudescence de moustiques. Je me dis qu’il serait grand-temps que j’entame mon traitement preventif anti-pauludisme alors que les cas de malaria se multiplient autour de moi au meme rythme que la grippe en hiver chez nous. Je ne reconnais plus Roy - un Libanais qui travaille au Malawi- apres ses deux semaines d’hopital et ses 12 kilos en moins.
Pour soigner la malaria, beaucoup de gens ont encore recours aux sorciers ou a la medecine traditionelle qui consiste a appliquer des plantes sur le visage. Ils ne se rendent a l’hopital que lorsque c’est deja bien souvent trop tard… Une fois a l’hopital, ils n’ont la plupart du temps pas les moyens d’acheter les medicaments necessaires, que ce soit pour la malaria ou autres. Hadas et moi etions stupefaites lorsque l’on s’est retrouvee par hasard au milieu d’une conversation ou un ami expliquait, desempare, que sa mere etait en train de mourir a l’hopital de complications pulmonaires. En questionnant un autre ami on apprit que celle-ci ne pouvait en fait pas payer l’equivalent des 10 euros de traitement qui lui sauverait la vie. Siderees qu’on ne nous ait rien demande plus tot, on a tout de suite offert l’argent en esperant qu’il ne soit pas trop tard…
Personnellement, je croise les doigts : pas de malaria, pas de tourista ou de cholera malgre mon regime « eau du robinet », et pas de maladie du sommeil non plus malgre m’etre faite devoree par les mouches tse-tse en Zambie… juste un orteil casse qui ne m’empeche pas de marcher…
A Nkhata Bay vient de debarquer un couple de Mzungus sud-africains avec le projet d’ouvrir un hotel offrant des sports aquatiques sur le lac, et qui vous expliquent les yeux petillants de dollars, qu’il y aura entre autres ski nautique et jet-ski… De mon cote je souhaite ardemment que leur projet se casse la gueule, ou que le sorcier leur jette un mauvais sort quand je pense a la fin de la vie paisible du lac, au bruit des moteurs, a la pollution, la fuite des poissons, aux pecheurs en pirogue poursuivis par un jet ski…
Nous, pays civilises, sommes-nous si stupides pour exporter pareilles horreurs ??
Je n’ai nullement mauvaises consciences d’abriter des pensees si negatives lorsque j’entends ce meme couple, un joint dans une main, une biere dans l’autre, se plaindre de la paresse des locaux et du fait qu’ils boivent du matin au soir… Rentre chez toi si les gens y sont bien mieux…
Puncque est rentre de son safari pour lequel il s’est encore fait exploite dans les grandes largeurs par Patrick, et moi je commence a avoir serieusement la bougeotte… Je regarde dans mon Lonely Planet la liste des pays accessibles par bus comme on regarderait le tableau d’affichage des departs dans un aeroport en revant de s’evader pour la premiere destination…
Au Malawi tout le monde parle de l’Afrique du Sud et de Cape Town comme du dernier eden, le Lonely Planet decrit la ville come l’une des plus belles du monde, et j’ai de plus en plus envie d’aller y faire un tour…
Puncque reverait de m’accompagner ; depuis 12 ans que sa mere est partie s’installer en Afrique du Sud avec ses 2 demi-sœurs et 2 demi-freres, il n’a jamais pu collecter la somme d’argent suffisante pour les visiter. Je lui propose de lui payer le billet de bus ; sur place, il connaît suffisement de gens pour nous loger…
C’est parti pour 40 heures de bus a travers le Malawi, le Mozambique et le Zimbabwe !
Le Mozambique est paraît-il plus developpe que le Malawi, mais nous ne traversons que des villages de huttes, et des puits devant lesquels femmes et enfants font la file pour remplir leurs seaux. La premiere et unique ville que nous apercevons est Tete au bord du fleuve Zambeze.
A bord du bus, l’atmosphere est comme a chaque fois detendue ; on se croirait en partance pour les colonies de vacances. L’ensemble des passagers converse entre eux bruyamment comme s’ils se connaissaient tous depuis toujours. Chacun alimente la conversation de son point de vue tres certainement tres tres interessant a voir l’opiniatrete avec laquelle il veut le partager… Quand je demande a Puncque de me traduire les sujets en cours ; cela va des chapitres de la bible au nombre d’enfants que toute femme doit avoir, au nombre de femmes que tout homme doit epouser ou au nombre de prostituees en Afrique du Sud par rapport au Malawi.
Tout compte fait, je me dis que je n’ai pas de veritable avis sur la question et prefere continuer a somneler…ce qui s’avere quasiment impossible tellement les gens parlent fort pour couvrir le son des televisions qui diffusent les productions locales, sortes des series tele dans lesquelles les acteurs jouent tellement mal qu’on les confondraient avec des parodies des Inconnus, qui parlent de sorciers, de vengeance, de Dieu (beaucoup), de politique et de corruption (ici, comme en Wallonie, l’un ne va pas sans l’autre).
En milieu d’apres-midi un remue menage me sort de ma torpeur ; une jeune fille voyageant seule est sur le point d’accoucher ! Je me dis qu’on va faire demi-tour vers la ville de Tete pour la deposer a l’hopital… mais non ! Il y a suffisement de meres de famille me dit-on pour l’assister… On fait asseoir tous les hommes a l’avant pour ne pas qu’ils voient la jeune fille a moitie denudee, et toutes les femmes a l’arriere qui se relayent pour la reconforter. Un peu plus tard, une femme crie de s’arreter ; ce qu’on fait au 1er village… qui se composent de 7 huttes ( !), et on va chercher la « sage-femme » locale. Je n’en crois pas mes yeux quand monte dans le bus (dont on a cette fois debarque tous les hommes) une vieille femme dont les rides et le manque de dents la feraient dater de plus d’un siecle, vetue d’un pagne, les seins tombants a l’air… Je me demande au depart s’il s’agit d’un cauchemard, mais je me rappelle tres vite qu’on est en Afrique et que plus rien n’est sense m’etonner…
A l’arriere du bus ou se trouve la future mere, pas un bruit a part le murmure des femmes entre elles, des larmes coulent sur leurs joue, et je m’attends a des complications, mais ½ heure plus tard retentit le cri d’un petit garcon qu’on emballe directement dans des couvertures… Connaissant la facon dont on attribue les prenoms, je me dis que ce pauvre petit bonhomme s’appellera Translux du nom de la compagnie qui nous transporte ; et je me demande s’il a finalement reellement echapper au pire… J
Je regarde avec degout passer les sachets plastiques remplit de sang, du cordon ombilical et autres… et 10 minutes plus tard, pas de temps a perdre, on repart ! Dans le bus un homme prend la parole pour remercier non pas les femmes qui ont accouche la pauvre mere, mais Dieu tout puissant, et tout le monde entame une priere a l’unisson… Ensuite, tout revient a la normale comme si rien ne s’etait passe, et les discussions reprennent sur la facon de cuisiner le nsima, ou sur le nombre de poulets que devraient posseder toute famille…
La mere, elle, semble decidee a continuer jusqu’au bout les dernieres 30 heures de voyage en bus avec son nouveau passager. De mon cote, je pense a mon propre inconfort, a mon reve d’une douche, et a mes jambes qui me font mal, et en comparaison je me sens scandaleusement trop gatee de meme y songer !
Une fois arrives a la frontiere du Zimbabwe, les choses se compliquent ; le bus est retenu pendant 3 heures, les autorites reclament un passeport pour le nouveau-ne. Pas de negociations possibles ; les passagers se cotisent pour payer une chambre d’hotel pour la mere et son enfant qui reprendront les bus pour le Malawi le lendemain matin. Je pense a cette jeune fille obligee de passer sa premiere nuit de mere seule au milieu de nulle part…
On traversera la Zimbabwe sans eux, ce pays depuis plusieurs annees au bord de la guerre civile, dont l’equilibre ne tient plus que par la severite des reponses de l’armee a toutes formes de protestations. Le site de la diplomatie belge attribue un 5/6 dans le degre d’insecurite, ce qui veut dire « interdiction de s’y rendre sauf obligations incontournables »… ben oui, le Zimbabwe se trouve sur la route de l’Afrique du Sud, et nous ne ferons qu’y transiter…
Tout semble calme, presque trop calme ; le soir les maisons s’eclairent a la bougie malgre les pylones electriques qui longent la route… Arrives a la capitale Harare, quelques voitures roulent a l’essence achetee au marche noir. Le centre commercial ou on s’arrete pour se restaurer ressemble a l’Europe de l’Est au temps de la guerre froide : rayons vides et une seule sorte de nourriture a acheter… Autour du bus nous attendent des dizaines de mendiants esperant grapiller les restes eventuels de nos repas…
On repart d’Harare, je m’endors pour me faire reveiller vers 4heures du matin a la frontiere sud-africaine.
Ce qui me choque d’emblee, ce sont les kilometres de barbeles, les regiments de policiers armes, et la multitude de controles a endurer : 6 heures de queue au total, de 4h du matin a 10h, debout dans le froid glacial de la nuit, dans la chaleur etouffante de la matinee… pour moi un simple cachet supplementaire sur mon passeport, mais pour la majorite des passagers du bus, un aller simple vers l’eldorado !