Puncque me dit qu’on doit certainement traverser un Parc National parce qu’il y a des chevaux sauvages ; je lui pointe du doigt les clotures en lui expliquant que dans les pays developpes, contrairement au Malawi, les chevaux ont ete domestiques depuis belle lurette. On interprete effectivement toujours ce qu’on observe en fonction de ce qu’on connait...
On s’arrete a une station essence, et je deviens un gosse devant son sapin de noel a la vue des rayons achalandes. Apres plus de deux mois de Malawi, je retrouve l’abondance et la variete de choix auxquelles on est habitue. J’ai une envie boulimique de tout acheter : chips, chocolat, creme glacee qui ne me tenteraient pourtant pas habituellement. Finalement, je me rabats sur une boite de jus de fruit qui couterait les yeux de la tete au Malawi, et un paquet de chips que Puncque goutera pour la premiere fois de sa vie.
On roule encore 7 longues heures et traverse la capitale Pretoria avant d’arriver a Johannesburg, Jo’burg comme on dit ici.
Sur le chemin, a l’ecart des villes propettes a l’americaine, se vautrent des especes de ghettos a l’americaine eux aussi, mais du sud cette fois ; sorte de favellas africaines, faites entierement de toles enchevetrees, noyees dans la gadoue et la crasse quand il pleut.
« South Africa is the country where the first and the third worlds live together ». mais ce genre de 1/3 monde, la derniere fois que je l’ai vu si miserable, c’etait en arivant en train a Bombay, ou les gens vivent au sommet des decharges publiques. Est ce lorsque ce 1/3 monde rencontre le monde economiquement developpe qu’il perd sa dignite ?
Mon premier constat ne fera que se confirmer par la suite ; dans ce pays, les classes economiques ne se melangent pas. Haussmann ou son equivalent ne son pas passe par ici. De maniere simplifiee ; l’elite vit dans des villas spacieuses et confortables entourees de la replique du mur de Berlin avant sa destruction ; des grillages ou des briques surmontees de barbeles et, comme si cela ne suffisait pas, de clotures electriques. Des milices privees patrouillent leur quartier, et chacun affiche de facon bien visible « armed response », ou parfois meme des messages aussi accueillants et chaleureux que « If you go beyond this gate, we’ll shoot you, and if you’re not dead the first time, we’ll shoot you again. » Gloops... La classe moyenne et relativement riche vit dans des cites construites par le gouvernement qui a certainement du s’inspirer des bavures architecturales de l’ere communiste ; sortes de rangees monotones de maisons identiques et impersonnelles. Les plus pauvres vivent dans des maisons ou avoir l’eau et l’electricite fait figure de luxe. Les moins chanceux vivent dans des dortoirs ou dans la rue... Il existe evidemment aussi une correlation assez forte entre la couleur de peau et le type d’habitat, je laisse deviner dans quel sens....
Je ne vais pas dire que je n’ai vu aucun noir rouler dans une grosse bagnole, mais je n’ai vu aucun blanc rouler dans autre chose qu’une grosse bagnole. Par contre, tous les homeless que j’ai croise etaient blancs. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que dans la culture noire africaine, le sens de la solidarite et de la famille est tres forte, et on ne laisse pas un « brother » dans la rue...
Taonga etudie la medecine, Tamala le droit.
Alors que Thokozani, leur soeur au sens africain, porte un tissu traditionel noue autour de la taille, des chaussures rafistolees et un t-shirt recupere pour tout habit ; que Puncque possede en tout 2 jeans et 3 t-shirts achetes d’occasion ; Tamala et Taonga sont deux veritables filles de l’epoque moderne, fashion victims, qui mettent litteralement 2 heures pour s’habiller, se maquiller, se coiffer, et meme se brosser les sourcils... elles possedent un laptop et des GSM high-tech. Je me sens moi-meme clodo avec mes vetements chiffones dans mon sac a dos, mais c’est surtout le contraste avec le Malawi qui me saute aux yeux !
Puncque n’eprouve absolument aucune forme d’envie ou de jalousie, il est juste inquiet du fait qu’elles preferent prendre un taxi plutot que de marcher, ou acheter des plats a emporter plutot que de cuisiner. La paresse les guette, et dans son monde a lui, etre paresseux equivaut a des difficultes pour trouver l’argent necessaire pour survivre. Pourtant l’avenir leur sourit ; je les imagine tres bien riches chirurgienne et avocate avec femme de menage a domicile, mais je prefere me taire, cela ne me regarde nullement.
Quand je discute avec elles, il est tout a fait clair qu’elles n’ont plus rien a faire au Malawi qui leur est devenu etranger.
Je propose d’aller prendre un verre en ville, histoire de voir Jo’burg by night, et on me regarde comme si j’etais atteinte d’une crise de folie passagere. L’Afrique du Sud, et Jo’bug en particulier sont reputes dangereux ; a tort ou a raison, le pays entier semble souffrir de paranoia surinfectee. Sortir le soir equivaudrait a se faire d’office attaque et vole, viole peut-etre, tue sans doute. La vie quotidienne des deux soeurs se resume a l’universite, l’etude, la tele, dormir. On ne sort pas avec ses amis le soir, on leur parle par telephone, c’est plus sur.
Bon, bon...de toutes facons, la fatigue s’empare de moi et je m’endors devant la tele dans le canape.
Le lendemain matin, apres une bonne nuit de sommeil, je suis prete a arpenter la ville de long en large... Tamala, qui est en conge, se propose de nous accompagner mais elle n’a aucune idee d’ou nous emmener puisqu’elle ne sort jamais de chez elle a part pour se rendre a l’unif ; ce serait du suicide. Bon... Je propose le centre-ville puisque je ne connais rien non plus. Ah non ! plus personne ne se ballade dans le centre ville, meme les societes demenagent leurs bureaux en dehors de Jo’burg pour proteger la vie de leurs employes ! Ok... je propose de partir de chez elle et se ballader au hasard... Ah non ! Elles habitent certes un quartier residentiel, mais a quelques rues de la se trouve Hillbrow, un des quartiers les plus dangereux, car peuple (dixit Tamala) d’etrangers, principalement nigeriens. Je me retiens de constater tout haut que parmi nous, aucun n’est natif sud-africain non plus, mais je prefere garder ca pour moi...
Il est vrai que le Lonely Planet lui-meme conseille de ne pas consulter la rubrique des faits divers sous peine de crises de panique immediates, mais je commence serieusement a souffrir de claustrophobie, et m’agacer de cette vague de psychose. Je ne suis certainement pas venue jusqu’ici pour m’enfermer dans un appartement ; si tous les touristes se faisaient egorger, ca se saurait ! Puncque decide alors d’appeler Chimwemwe, un de ses demi-freres qui vit aussi a Jo’burg pour lui demander conseil. Reponse immediate : une blanche qui se ballade avec deux noirs dans ce pays ? Quasi improbable, vous allez tout de suite etre reperes comme des touristes et vous faire aggresser !
Je pensais avoir vu a la une de tous les journaux il y environ 13 ans que c’etait la fin de l’apartheid... me serais-je trompee ? Force sera pour moi de constater que le chemin vers l’egalite et la mixite est encore bien long...
Mon dernier espoir pour pouvoir sortir de cet appartement vient donc de s’evanouir. J’ai du mal a croire la description qu’on me donne des ballades dans Jo’burg, aussi dangereuses que de sortir de la zone verte a Bagdad... Tant pis, seule ou pas, je prends un taxi ! Finalement Chimwemwe se propose de jouer notre garde du corps pour l’apres-midi.
On prend les mini-bus prives qui sont les versions modernes des taxi-brousse, dans lesquels on ne s’entasse plus a 27, mais on voyage a 15. Dans la gare de bus, je suis la seule blanche, et les conducteurs m’interpellent en me criant des choses en zulu que je n’ai pas trop envie de comprendre. Chimwemwe me rapelle sans arret a l’ordre des que je fais mine de m’eloigner trop loin. On s’arrete a Hillbrow pour changer de bus, et sincerement, je ne sens aucune menace. On se ballade dans le centre ville qui est, il est vrai, un no-man’s land traverse d’autoroutes, et sans interet. Je serais presque tentee de dire que l’entierete de Jo’burg n’a aucun interet, et fait penser a une ville du fin fonds des Etats-Unis avec des immeubles aussi insipides que les chaines de restaurant qu’ils abritent, les memes grosses bagnoles, la meme proportion de gens obeses... la salete en plus...
La seule chose qui rapelle qu’on est en Afrique du Sud, et non pas au pays de W est le nombre impressionant d’hommages rendus a Mandela : la rue Mandela, le pont Mandela, le mall Mandela, le parc Mandela, la bibilotheque Mandela, etc. Comme si le nombre de monuments publiques portant son nom devait egaler le nombre de jours que comptaient ses 27 annees d’emprisonnement... Ce ne sera de toutes facons jamais suffisant pour reparer cette injustice..
A la fin de la journee, Chimwemwe nous invite a boire une biere ; on se rend au dernier etage de ce qui ressemble a un centre commercial desaffecte, et entrons dans un bar-discotheque desuet ou je suis a nouveau la seule blanche. Puncque et son demi-frere discutent avec John, leur cousin qui se trouvait justement la, Tamala passe son temps a envoyer des sms, et reve de rentrer parce qu’elle se sent mal a l’aise, moi je discute de Jo’burg avec le proprietaire des lieux qui m’explique qu’il n’y a aucune de ses proches connaissances qui n’ait jamais ete au moins aggresse une fois pistolet sur la tempe ou couteau sous la gorge...
Ce qui m’aura finalement plu a Jo’burg, est la visite du genial musee de l’apartheid, hommage a la memoire mais aussi a la reconcialiation. J’y apprendrai que les camps de concentration sont une invention britannique a l’epoque de leur guerre contre les Boers vers 1900, qu’une proportion non negligeable de blancs ont aussi lutte contre l’apartheid au peril de leur vie (ouf ;-)), j’y visionnerai des interview de Botha, dernier president avant De Klerk (qui libera Mandela ; plus du a la pression interne des emeutes issues de Soweto, et a la pression internationale, que par veritable compassion). Ce dernier declarait, sans honte aucune, qu’il exercait une mission difficile qui etait celle de tuteur de cette population noire, incivilisee, comparable a des animaux, incapable de penser pour elle-meme. Sans les blancs, les noirs seraient d’apres lui voues a leur propre destruction car incapables de s’assumer seuls... (Je m’attendais a ce qu’il propose qu’on le canonise a la fin de l’interview, mais il n’a pas ete jusque la... meme s’il en etait proche...), et j’en deduirai une ebauche d’explication sur la violence actuelle...
Quelqu’un me disait d’imaginer un chien enrage qu’on aurait tenu en laisse trop longtemps et qu’on lache dans la foule... je me refuse toutefois d’imaginer que cela soit lie a la pure vengeance...
Je suppose que tout le monde aujourd’hui connait les atrocites de l’apartheid ; l’emprisonnement et la torture des opposants au regime ou de tous ceux qui osaient avoir des relations inter-raciales trop proches ou intimes, les couvres-feu des 6h du soir pour les noirs, les services publics separes et reduits pour les noirs, l’interdiction d’acces a la politique et a une longue liste de professions, l’absence d’hopitaux decents pour les noirs, la redistribution de 87% du territoire aux 25% de blancs, ainsi qu’un systeme d’education mediocre pour les noirs, decision du gouvernement blanc pour se proteger contre toute forme d’opposition intellectuelle, et leur enlever tout espoir d’occuper des postes a responsabilites.
Le resultat aujourd’hui, c’est un manque cruel de main d’oeuvre qualifiee, un chomage galopant de 40%, et une majorite de sud-africains qui n’a pas eu access a une education decente, et qui ne parvient pas a concurrencer les Africains affluant par vagues de tout le continent, et prets a accepter n’importe quel job, a n’importe quel prix, et vivre dans des conditions deplorables. Vous ajoutez a cela une culture de ghettos, une apartheid terminee en theorie, sous-jacente en pratique, et surtout la vente et location d’armes libres (vous pouvez louer un flingue pour une heure, le temps d’un car-jacking !) ; et cela donne une violence et une criminalite incontrolable. Il faudra sans doute plusieurs generations pour resorber le probleme...
Ce qui m’amusera a Jo’burg comme pendant tout notre sejour en Afrique du Sud (et qui s’averera egalement didactique) est de voir Puncque decouvrir certaines choses comme si on l’avait parachute dans « retour vers le futur », un bon de quasi 50 ans en avant... L’observer prendre un escalateur pour la premiere fois de sa vie, s’angoisser de prendre l’ascenseur pour la seconde fois de sa vie, le voir regarder la machine a laver pendant 10 minutes pour comprendre comment ca fonctionne, l’accompagner pour son premier film au cinema (il n’existe absolument aucune chose qui s’apparenterait a un cinema dans tout le Malawi), lui montrer les modeles de voitures qui arriveront dans 10 ou 20 ans en piteux etat dans son pays, ou les Porsches et BMW qui n’y arriveront jamais.... Quand on mange a l’exterieur, je me vois chaque fois obligee de commander pour lui en fonction de ce que je connais des gouts au Malawi ; pour lui, des pates au pesto ou une salade au saumon fume sont sans doute plus exotiques qu’auraient pu etre les mouches du lac en sauce pour moi... Tamala, de son cote, ne comprend pas comment on peut encore vouloir manger du nsima... Le frere et la soeur vivant pourtant sur le meme continent...
On quittera finalement Jo’burg apres seulement trois jours et sans grands regrets pour Durban...