Une semaine à peine en Afrique du Sud et le Malawi me manque déjà; spécialement Thokozani et les pitreries de la petite Wanangwa.
Ne voulant pas abuser de l'hospitalité de la mère de Puncque, et pas réellement charmée par Durban, je déniche des billets d'avion en promo pour Cape Town; ce qui non seulement revient moins cher que le bus, mais nous épargnera par la même occasion les 30h de voyage.
Lorsque j'annonce notre départ à Édith, je lis de la déception mêlée de tristesse sur son visage; elle s'attendait à ce qu'on passe le mois entier chez elle. Je me laisse attendrir et promets de repasser chez elle avant de rentrer au Malawi. A partir de cet instant, un nouveau sujet de conversation supplante Big Brother, qui est de connaître la date de notre retour, la durée de notre séjour à Cape Town, qui, d'après elle, ne vaut pas la peine, un jour devrait largement nous suffire.
On dit donc à dans quelques jours, et on part pour Cape Town.
Puncque, qui effectue son baptême de l'air est aux anges; pour moi c'est l'enfer dans les cieux. Toujours aussi morte de trouille en avion et prise de crises de claustrophobie, j'écoute Puncque m'expliquer sereinement que maintenant que j'ai pris la décision d'être à bord, il faut que j'apprenne à accepter mon sort... J'ai presqu'envie de lui dire qu'une des différences entre nos deux cultures est que la mienne n'accepte jamais son sort, mais tétanisée par la peur, j'abandonne toute idée de lancer un débat philosophique...
Je commencerai seulement à me dérider quand on survolera Cape Town et le Cap de Bonne Espérance dont le nom évoque les grandes expéditions exploratrices. Le lieu où les eaux chaudes de l'océan indien se mêlent aux eaux de l'océan atlantique, elles-mêmes refroidies par celles de l'Arctique... (pour ceux qui suivent toujours... :-))
Cape Town est coincée entre mer et montagne, et on se trouve justement du bon côté de l'avion pour admirer Table Mountain dans la brume, reflétant toute une gamme de couleurs allant du mauve à l'orangé... Vu du ciel, je serais bien tentée d'adhérer à tous les superlatifs qui classent la ville parmi les plus belles du monde. Vu d'en bas, c'est autre chose.
Sans qu'on lui demande, le chauffeur de taxi nous rassure d'emblée; Cape Town est une ville sure. D'après lui, 30% de la criminalité provient de vengeances familiales, 60% de guerres des gangs, les 10% restant sont la criminalité usuelle dont les responsables ne sont pas les gens de Cape Town, mais les méchants venus de Jo'burg... Bref, nous dit-il, si vous n'êtes pas issus d'une famille violente, et si vous n'avez pas de mauvaises fréquentations, vos risques sont limités.... Ca devrait aller!
En ville, tous les hôtels sont pleins pour les 3 semaines à venir. Je trouve finalement de la place dans une guesthouse hors de prix de qualité très très moyenne (entendre par là que cela me fait mal au ventre de payer pour ce taudis).
Un cousin de Puncque est prêt à nous accueillir, mais il habite en dehors de la ville, ce qui nous coûterait de toutes façons plus cher en trajets.
Cape Town recèle d'activités de toutes sortes: parapente en se lançant du haut de Table Mountain, téléphérique et trekking, expéditions en bateau pour admirer les baleines (on est pile à la bonne saison), jardins botaniques, route des vins (hum, hum), safaris (encore), plongée en cage pour nourrir les requins blancs (ce qui attire de plus en plus de requins vers les côtes qui associent nourriture et homme, et accroît sensiblement le nombre d'accidents... l'humain encore et toujours puni pour ses bêtises...), etc. Bref, y en a pour tous les goûts, mais malheureusement pas pour tous les portefeuilles... Tout coûte une fortune, et quand on n'a pas le budget, ben y reste pas grand chose à faire... J'étais prête à faire un effort pour la visite de Robben Island, lieu de détention de Mandela, par un de ses anciens co-détenus, mais encore une fois, tout est complet pour la semaine. On se baladera de long en large dans Cape Town qui se révèle être une ville agréable, dotée d'un petit côté européen cette fois, truffée de restos et bistrots sympas aux menus variés et appétissants. Quant à la beauté des bâtiments en soi, rien qui ne vaille ne serait-ce que le coup d'oeil...
Au bout de deux jours, on doit changer de crémerie, notre hôtel est réservé pour d'autres touristes. Plan d'urgence; Puncque téléphone à une de ses connaissance de Nkhata Bay, Manson, qui vit à Cape Town, ancien meilleur ami d'un de ses demi-frères. Manson est un type adorable qui figurera certainement dans ma short list des êtres les plus gentils que j'aurai rencontré en voyage. Puncque ne le connaît pas intimement, mais en tant que ½ frère de son ancien meilleur ami, Manson met un point d'honneur à l'accueillir comme s'il était de sa propre famille. Puncque a à peine raccroché, que Manson est déjà en ville pour venir nous chercher; il veut s'assurer que l'endroit où il compte nous loger nous plaise (on va peut-être pas faire les difficiles non plus ;-)).
En route donc pour Camps Bay, banlieue chic de Cape Town à flanc de montagne, qui n'est que succession de villas gigantesques tournées vers l'océan, méritant toutes de figurer à la une des magazines d'architecture. On arrive enfin chez Manson qui vit dans un minuscule 10-12m², c'est à dire tout juste la place pour un lit, une cuisinière et une douche. On a à peine le temps de s'asseoir qu'il nous débouche une super bouteille de vin alors que lui-même ne boit pas d'alcool, et propose de nous préparer à manger.
Il me raconte qu'il est parti de Nkhata Bay pour Cape Town il y a deux ans où il travaille désormais comme « housekeeper » pour l'équivalent de 300 euros par mois. Au mur de son studio, il y a des dizaines de photos de sa petite fille, 3 ans, restée au Malawi. Visiblement content que je m'y intéresse, il m'explique que c'est pour pouvoir lui envoyer de l'argent qu'il est ici, et qu'elle lui manque énormément. Quand je lui demande s'il la voit souvent; il me dit avec un sourire qu'il n'a pas à se plaindre, la dernière fois remonte à il y a 6 mois...
Arrive le moment où l'on parle de logistique pour les jours à venir; pour moi, pas de problèmes, Puncque et Manson peuvent dormir à l'africaine à deux dans le lit, on trouvera bien de quoi me faire un semblant de matelas à terre. A la guerre comme à ma guerre! Tu parles! En fait Manson nous fait dormir dans la maison de son boss avec qui il s'entend apparemment bien, et qui ne vient dans sa résidence secondaire (ou tertiaire) qu'une fois toutes les lunes. Une villa de 700 m² sur 3-4 étages de baies vitrées donnant sur l'océan, piscine, mini-cinéma privé, 7 ou 8 chambres avec salle de bains privative... Ma propre chambre doit faire 40 m² avec terrasse et vue sur la mer... (Je veux la même! :-))
On repart en ville chercher nos bagages (c'est bon, l'endroit nous satisfait ;-)), et je profite pour faire les courses dans la perspective d'un bon petit dîner à trois.
A côté du supermarché, il y a un marchand de vins. Je vais évidemment jeter un oeil, et le vendeur me voyant intéressée m'invite à une dégustation. Puncque qui a bu son premier verre de vin il y a quelques semaines participe. Le vendeur, très BCBG et fier de ses grands crus, part dans des descriptions grandiloquentes et sans fin des arômes dégagés par ses breuvages. Puncque pour conclure lui demandera s'il «fabrique» ses vins lui-même... Morte de rire mais ne voulant pas l'embarrasser, je laisse répondre le marchand interloqué. Dans les villages au Malawi, on produit son alcool soi-même...
Retour chez Manson avec mes paquets de courses, et là, stupéfaction; il doit y avoir 6 ou 7 personnes chez lui déjà en train de cuisiner poulet et nsima. Ce sera comme ça tous les soirs qui suivront; les immigrés du Malawi se serrent les coudes, cuisinent et mangent entre eux... Ils disent « You should better trust your malawian ennemy rather than you south african friend ». Il y a une solidarité très forte entre eux qui me rappelle la communauté polonaise de Bruxelles.
Puncque retrouve beaucoup de ses amis d'enfance de Nkhata Bay; Edwin, Bright, Christopher, etc., et leur réalité contraste beaucoup avec le fantasme que se font les Malawiens de l'Afrique du Sud. Ils vivent tous dans des conditions précaires dans le but d'épargner quelques dollars à envoyer à leur famille, leur salaires plafonnent à 300 euros par mois, et leurs métiers ne sont pas toujours les plus faciles; ouvriers de chantier sous la canicule, femmes de ménage ou serveuses aux horaires impossibles, marchands de souvenir sur la plage pour touristes dédaigneux...
Puncque m'explique à quel point il est déçu, et je peux sentir son désespoir, son rêve d'une vie meilleure qui s'effrite au fur et à mesure des témoignages de ses amis. De temps à autres, il se ressaisit, rallume la flamme en se disant que contrairement aux autres, il possède un diplôme, ne serait-ce que de mécanique... Je préfère me taire parce que je n'ai malheureusement pas grand-chose de positif à lui dire pour le rassurer... Ce qui lui mettra du baume au coeur, c'est qu'on partira d'Afrique du Sud avec une liste de personnes prêtes à l'accueillir et l'aider quand il reviendra.
Pour retourner sur Durban, plus de billets d'avion bon marché, on se coltine les 30 h de bus.
Rien de neuf sous le soleil, si ce n'est quelques candidats éliminés de Big Brother... On est toujours accueillis comme à la maison, mais les meilleures choses ont une fin, et le Malawi nous attend (youpie!)...
A la gare de bus de Jo'burg, je ne peux pas me tromper de destination; les Malawiens qui font la queue se précipitent pour m'aider à porter mes sacs, et leur visages s'illuminent quand je leur dis que je suis contente de retourner au Malawi. Leur chaleur tranche fortement avec la froideur sud-africaine...
Cependant, l'ambiance dans le bus est beaucoup plus sérieuse qu'à l'aller, et les gens moins bavards. A l'aller, les gens avaient peur de l'inconnu et trompaient leur anxiété en conversant avec leurs voisins tout aussi angoissés. Cette fois, les gens reviennent avec de l'argent et des cadeaux pour leur famille, et surtout des kyrielles de choses qu'ils espèrent revendre, et c'est en silence qu'ils font déjà leurs comptes...
Quelques heures après notre départ, un des passagers demandent au chauffeur de s'arrêter pour lui pouvoir uriner. Le chauffeur refuse et lui dit qu'il n'a qu'à pisser dans le bus... Ce qu'il fera immédiatement dans l'allée centrale... et cela n'ébranlera pas grand monde...
On retraverse les Zimbabwe; les dernières nouvelles sont une pénurie de blé, et donc la fin de l'approvisionnement en pain. Il me reste 110 000 dollars zimbabwéens de mon passage précédent, et je demande au caissier du magasin où l'on s'arrête ce que je peux acheter avec cette apparente grosse somme d'argent; une sucette! Avant la dernière dévaluation de la monnaie il y a à peine quelques mois, cette sucette m'aurait coûté 110 millions. La prochaine dévaluation prévue pour la fin de l'année divisera à nouveau par mille la monnaie. L'inflation attendrait désormais 6000%.
Le bus repart d'Harare quand on se rend compte que 4 personnes manquent à bord. Finalement 2 d'entre elles remontent dans le bus en titubant et s'écroulant tous les mètres. Je me dis que c'est pas forcément malin de se mettre dans un état pareil pour un si long trajet en bus. Les passagers crient au chauffeur d'aller chercher du sel; apparemment; on peut éliminer les effets de l'alcool en se frottant énergiquement la plante des pieds avec.... Et dire que je suis passée à côté de cette recette miracle africaine toutes ces années de guindaille! (Si l'un d'entre vous essaye, n'hésitez pas à m'envoyer vos résultats par mail ;-))
Finalement, la réalité prêtera beaucoup moins à sourire; les deux personnes qui manquent toujours ont en fait drogué les deux autres, et ont disparu dans la nature après avoir dérobé leurs victimes. 700 euros de volé pour l'un, l'autre ne recouvrera pas ses esprits de tout le trajet.
Apparemment c'est un grand classique; le voleur gagne la confiance de sa victime, parfois même plusieurs jours avant le départ, profitant de l'isolement des immigrés en Afrique du Sud. Une fois dans le bus, il partage généreusement boissons et nourriture dans lesquelles il aura pris soin de dissimuler de la drogue. Quand on connaît les sacrifices qu'impliquent cet argent durement gagné, il n'y a pas d'adjectifs assez forts pour qualifier cet acte de vol...
A la frontière du Mozambique, je me fais bassiner par le douanier qui chipote et tergiverse pour me délivrer mon visa... Il me fait remplir des papiers, puis m'oblige à refaire les 30 minutes de queue, me délivre un cachet, puis me remet dans la file... sans doute un petit débutant en mal de démonstration d'autorité... Pendant ce temps, plusieurs passagers du bus se sont fait voler leur GSM par les petits gosses, vendeurs de boisson à la sauvette.... Les hommes du bus se réunissent et partent à la chasse aux voleurs... mais c'est peine perdue, ces derniers sont sur leur territoire, et connaissent toutes les cachettes possibles par coeur...
Une fois la frontière passé, on retraverse une partie du Mozambique, qui comme cela m'avait choqué en Zambie, possède un nombre impressionnant de villages au milieu desquels se dressent les tentes du World Food Program, preuve de la présence soutenue des Nations-unies, et toujours ces puits devant lesquels femmes et enfants font patiemment la queue...