Magazine Journal intime

World Trip # 13: Malawi (Part VIII & Last)

Par Gaelenicodeme
Au petit Noé qui commence son voyage dans la vie, pendant que le mien en Afrique se termine...

Au Malawi, le bus termine ses 40 h de trajet à Blantyre, au sud du pays. Ce sera l’occasion pour moi de visiter la ville que je ne connaissais pas encore.
A l’hôtel, on croise un ami de Nkhata Bay, Fortune, qui vient de se faire offrir un job de serveur à Cape Town, et qui se trouve à Blantyre pour prendre d’un jour à l’autre le bus vers l’Afrique du Sud. On devine aisément qu’il repousse l’échéance au maximum, je le sens très tracassé de partir vers l’inconnu.
On essaye du mieux qu’on peut de lever ses appréhensions en lui fournissant toutes nos adresses, contacts et points de chute amassés ces dernières semaines, et c’est le cœur beaucoup plus léger qu’il nous fera ses adieux, à Puncque, moi, et sa petite amie qu’il espère revoir au mieux dans 6 mois.
Puncque et moi, on prend le bus de nuit vers Nkhata Bay, et on arrive juste à temps pour le lever de soleil sur le lac. Rien n’a changé durant cette éternité que m’a semblée ce séjour loin d’ici, et malgré le village encore engourdi de sommeil, la nouvelle de notre arrivée se répand comme une traînée de poudre. Captain Che Billy sera le premier à venir nous saluer… Non, décidément rien n’a changé à Nkhata Bay…
Premier arrêt qui s’impose ; Gogo bien évidemment. On pénètre alors dans une maison jonchée de corps endormis qu’on enjambe péniblement. Il y en a partout ; dans le couloir, dans la salle de séjour… Au milieu de ces corps se redresse d’un bond Gogo en chemise de nuit qui, au son de la voix de son petit fils préféré, semble dotée d’une énergie insoupçonnée jusqu’alors. Une véritable résurrection !
Sur l’exemple de Gogo, toute la maisonnée se réveille progressivement. Wanangwa me grimpe déjà dessus pour effectuer ses acrobaties, et me sort toute sa panoplie de grimaces et singeries qui m’avaient tant manqué !
Des cousins et cousines dont je ne soupçonnais pas l’existence sont là, ainsi qu’une orpheline devenue adulte que Gogo avait pris sous son aile à la mort de ses parents.
Il n’y a pas réellement de structures légales au Malawi, et la plupart des enfants ne sont même pas officiellement enregistrés à leur naissance. Si les parents meurent, on compte sur la solidarité familiale au sens large pour éviter aux enfants les orphelinats surpeuplés dont regorgent chaque ville et village important. Le sida fait des ravages en Afrique…
Bref, Gogo ayant été sérieusement malade (avant sa résurrection miracle de ce matin), la famille est venue la veiller au cas où quoi que ce soit devait arriver.
Quand on a fini le déballage de nos cadeaux sud-africains qui ravissent tout le monde, on m’indique une pièce exiguë avec un lit de camp (chambre de tout le monde et personne) pour m’y reposer ; au départ pour quelques heures, qui deviendront finalement plusieurs jours… Mon petit séjour chez Gogo…
Une fois Puncque revenu pour prendre les choses en main, la famille élargie se retire, et on se retrouve « entre nous » : Puncque, Gogo, Thoko, Wanangwa et Dave.
La maison est sans dessus dessous, et Puncque pique une crise contre Thoko qui est sensée être la maîtresse de maison et maintenir l’ordre et la propreté. Malgré mon statut d’étrangère, et bien que cela ne se fasse pas de s’opposer directement, je prends le parti de Thoko ; elle n’a que 13 ans, assume déjà seule toutes les lessives, courses, repas, vaisselle, etc. quand Puncque est absent. Pour moi, l’école doit rester sa priorité. Pas de chance ; ce sont les grandes vacances scolaires au Malawi, et mon argument tombe à l’eau. Puncque souligne que chacun doit assurer sa part de besogne. Depuis la mort de leur mères (pas même un an pour Wanangwa, pas même 6 mois pour Thoko), il trime pour leur payer nourriture et étude, veille sur elles comme s’il s’agissait de ses propres filles ; elles doivent donc collaborer en son absence.
Match nul.
Pour calmer les esprits, je propose une journée nettoyage tous ensemble pour le lendemain…
En Europe, à voir Thoko assurer sans broncher ses tâches quotidiennes de 5-6h du matin jusqu’au coucher, avec une seule pause pour l’école, on crierait au scandale et à l’exploitation infantile. Ici, ce n’est pas une question d’éthique, mais de survie.

Le lendemain, dès le lever, je pars acheter les produits de nettoyage ; un exemplaire de tout ce que je trouve, ce qui se réduit à du Vim, du Dettol, et de la crème à récurer. Je ferai tous les magasins et toutes les gargotes de Nkhata Bay pour trouver une éponge ou son équivalent, mais je devrai me résoudre au fait que cela n’existe pas. On se débrouillera avec de vieux tissus.
Une des tantes de Puncque venue donner un coup de main regarde mes produits de nettoyage avec suspicion, et me demande à quoi peut donc bien servir la crème à récurer… On n’est pas sorti de l’auberge !
Je m’attaque à l’armoire à vaisselle en passant le plus clair de mon temps à dégager les tiroirs de leurs cafards, et je terminerai par l’évier qui se demande encore ce qui lui est arrivé…
Pendant ce temps, Puncque a détecté un insecte mortel dans la douche. On détruit carrément tout le mur pour tenter de le retrouver, sans résultats. Après la casse, on va dehors chercher de la terre qu’on mélange à de l’eau, et on répare le mur façon locale… C’est si simple…
A Nkhata Bay est de visite Jeffrey, un cousin de Puncque. Il s’est marié il y a 9 mois à une Allemande, et vit aujourd’hui à Hambourg. Puncque et lui sont évidemment super heureux de se revoir, et Jeffrey veut absolument rencontrer la mzungu qui cuisine pour sa grand-mère… Comme toujours, les nouvelles vont vite à Nkhata Bay !
Jeffrey est beau garçon, très calme et gentil. Pour ses copains, il mène une vie heureuse et paisible en Europe… Il a gagné à la loterie ! Quand je lui demande en aparté si l’adaptation n’est pas trop difficile, il me répond que le Malawi lui manque énormément, et qu’il a beaucoup de mal avec la froideur et l’égoïsme occidental qui n’ont rien de comparable à la culture africaine… « Tu dois bien comprendre, toi » me dit-il… Et oui, je crois que je vois bien ce qu’il veut dire…

Dans une petite ville comme Nkhata Bay, tout le monde se connaît. Dans la conception africaine de la famille, on est quasi tous cousins et cousines, et la notion de frères et sœurs ne se limitent pas aux enfants de même père et mère. La solidarité est très forte car les gens ne comptent sur aucune structure légale (inexistante), mais directement les uns sur les autres. Le concept de propriété semble être un concept importé qui a du mal à s’implanter. On partage tout. Lorsque je donne quelque chose à Thoko ou Puncque, je suis certaine de retrouver quelques jours plus tard un cousin ou copain en sa possession. Et je me sens terriblement égoïste à présent de leur suggérer de garder ce que je leur donne pour eux seuls. Dans la rue, tout le monde se salue, et c’est mal vu de ne pas prendre le temps d’échanger quelques mots (« No hurry in Africa ! » vous dira t-on ;-)) et demander des nouvelles de la famille. Pas besoin de radio, journal ou télévision, l’information se transmet de bouches à oreilles à la vitesse de l’éclair, ce qui a aussi comme effet une certaine « auto- surveillance » sociale, i.e. : comme tout le monde connaît tout le monde et que tout se sait, on n’a pas intérêt à mal agir… En ce qui me concerne, il m’est arrivé plusieurs fois des situations embarrassantes, lorsque, ayant oublié ma lampe de poche, et devant rentrer à ma guesthouse dans l’obscurité totale des nuits sans lune, les gens m’abordent ou viennent me saluer. Ne voulant pas les froisser, j’embraye sur la conversation, mais visage noir dans le noir, je ne vois absolument rien. Le lendemain, c’est le jeu des devinettes pour connaître l’identité des personnes à qui j’ai parlé…
Au Malawi, c’est maintenant la saison chaude et sèche ; la chaleur est devenue insoutenable, accablante, paralysante. Partout on brûle les terres pour les fertiliser en préparation de la saison des pluies prévue pour décembre.
Ceci a comme conséquences non seulement de faire fuir les serpents qui se retrouvent alors sur les sentiers empruntés par les piétons, mais aussi de faire éclater les canalisations d’eau en plastique (les autorités locales n’ayant pas le budget pour quelque chose de plus solide)… On se retrouve alors plusieurs jours sans eau ; dans les hôtels aux toilettes communes comme le mien, c’est la joie… , et on se voit contraints de se laver dans le lac… « Go local ! »… On s’adapte !
Hadas, l’Israélienne est rentrée au pays. Margaret et les autres villageoises ont terminé leur première grosse commande de coussins pour un hôtel local. Pour payer les matières premières, Hadas et moi avions avancé l’argent. A présent, elles devraient avoir engrangé le bénéfice nécessaire pour constituer le fonds de roulement suffisant pour toute nouvelle commande. Elles peuvent voler de leurs propres ailes à présent…
Après Hadas, j’ai fait aussi mes adieux à Philip, le barman de la guesthouse où j’ai séjourné la plupart du temps.
On s’appréciait énormément, et on avait tissé des liens particuliers depuis que, l’ayant entendu par hasard chanter du gospel avec ses amis dans son village, je l’avais encouragé à se produire en public pour les résidents de la guesthouse. Ils avaient eu un succès fou, et Phil, grand timide, semblait m’en être éternellement reconnaissant. Il s’arrête maintenant de travailler pendant un mois pour aider à la construction de maisons pour les plus démunis. Je lui tire ma révérence…

Depuis que je suis arrivée au Malawi, s’il y a bien un sujet qui enthousiasme tout le monde, c’est le festival « lake of stars » (http://www.lakeofstars.co.uk/). L’événement de l’année à ne manquer sous aucun prétexte ! Un festival de musique international réunissant les plus grands DJ’s mondiaux… Bon, habituée à ce que les locaux qui ont le rythme dans la peau s’emballent pour n’importe quel concert, je mets en doute le côté hautement international de la chose, mais les descriptions des pistes de danse à même la plage et l’engouement déclenché par la simple allusion au festival suffisent à me convaincre de prolonger mon séjour au moins jusqu’à la fin de celui-ci.
Le festival dure 3 jours, mais problèmes d’estomac qui m’affaiblissent obligent, je décide de n’y passer qu’une seule journée. Arrivée sur place, c’est bien ce que je craignais ; le festival organisé par des Anglais n’a pas adapté ses tarifs aux standards locaux, mais s’est aligné sur les droits d’entrée européens. 30 euros l’entrée. Les locaux épargnent 6 mois pour pouvoir y participer… L’idée d’un tarif spécial pour les Malawiens n’a pas eu l’air de leur avoir effleuré l’esprit…
Après avoir payé ma place, et offert comme promis à Puncque la sienne, il me reste juste de quoi reprendre le bus. Même pas de quoi boire ou manger. De toutes façons, les bières coûtent plus de 5 fois le prix normal. Scandaleux, mais qu’y faire ?
A l’intérieur, conséquence directe de ce qui précède, 95% de mzungus, 5% de locaux.
Parmi les 5% de locaux, beaucoup des amis rencontrés au cours de ces 3 derniers mois, venus des 4 coins du Malawi ; Mzuzu, Blantyre, Lilongwé, … J’aurais pas pu rêver mieux pour mes adieux au Malawi. On se croirait à la dernière scène du film « Big Fish », lorsque tous les protagonistes se retrouvent à l’enterrement du père.
Les groupes sont bons, notamment l’excellent Lucius Banda. Néanmoins, vers minuit, mon estomac a raison de moi, et je n’ai plus qu’une seule envie, c’est de rentrer dormir. Pas de chances, les derniers bus étaient à 18h, me voilà bel et bien coincée !
Ricardo, que j’apprécie très très moyennement à cause de ses mensonges répétés pour se faire offrir à boire ou prêter de l’argent qu’il ne rembourse jamais, me propose de dormir dans sa tente. Il a apparemment repéré un groupe de filles dans la tente de qui il espère se faire inviter. A 3h du matin, son plan a certainement échoué, et il se rapplique avec une bande de potes bourrés qui me jettent dehors pour s’installer… Merci Ricardo, j’en attendais pas moins de ta part !!
Malade, frigorifiée, fatiguée, sans pull ni couverture, je me retrouve à devoir dormir sur le sable humide de la plage. Par chance, Windstone passe par là, et me voyant claquer des dents, me propose une tente qu’il a en trop. Je la monte dans l’obscurité. Impossible de me réchauffer. A 8h du matin, le festival reprend de plus belle, mais ce sera sans moi. Ricardo, honteux, fait semblant de ne pas me voir. Kelvin, toujours le sourire aux lèvres, tente de me convaincre de rester, mais j’ai eu ma dose, je suis écoeurée. Tout ça pour ça !
Deux jours plus tard, je fais mes adieux à Puncque qui part pour son dernier safari d’un mois en Zambie. Si tout se passe bien, ça devrait lui permettre de payer son billet de bus aller pour l’Afrique du Sud et la nouvelle vie qui l’attend là-bas.
Gogo est évidemment très préoccupée de le voir partir, mais il a beau tourner le problème dans tous les sens, cela semble le seul moyen pour lui de pouvoir continuer à entretenir sa famille. Résignée mais inquiète, elle lui demande de ne pas l’oublier et de lui envoyer de l’argent… Ce qu’il fera, bien évidemment, c’est surtout pour eux qu’il part….
De mon côté, je continuerai d’aller cuisiner chez Gogo jusqu’à mon dernier jour, et profiter de mes derniers moments avec Thoko et Wanangwa.
Elles me demandent sans cesse si je reviendrai, dans un mois ? dans deux mois ?
Je ne sais vraiment pas quoi leur répondre, mais je ne les oublierai pas, c’est la seule chose que je pourrai leur promettre avec certitude…


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