Comme une voleuse, sur la pointe des pieds, j’ai quitté Nkhata Bay. Je n’ai jamais été spécialement douée pour les adieux… Mes amis savent de toutes façons, mieux que moi encore, que les amoureux du Malawi finissent toujours par revenir… On optera donc pour des aux revoirs discrets, laissant pour d’autres les adieux larmoyants.
De Nkhata Bay, je dois entamer ma longue remontée via la Tanzanie vers Nairobi où l’avion m’attend pour Madagascar. Quelques jours avant de partir, j’avais écrit à tout hasard à Fary, rencontré il y a quasi 4 mois lors de mon premier passage à Dar Es Salaam (voir World Trip # 1) pour le prévenir de mon éventuelle étape à la capitale. Quel ne fût pas mon étonnement de voir la vitesse éclair et l’enthousiasme avec lesquels il avait répondu qu’il m’attendrait de pied ferme à la gare de bus, et se ferait un plaisir de jouer mon guide pour toute la durée de mon séjour en ville !! Mon bus part le vendredi soir de Mzuzu, son arrivée est prévue pour samedi soir : pile parfait pour les sorties du weekend et s’offrir une petite halte bien sympathique !
J’arrive à Mzuzu avec le dernier taxi-brousse de 18.30, mon bus pour la Tanzanie est sensé partir à minuit…minuit africain. Il me faudra m’armer de patience. J’en profite pour passer dire au revoir aux amis dans le jardin de qui on avait campé plus de deux semaines, et confirmer mon billet de bus. Je me risque à demander la place derrière le chauffeur où l’on dispose de quelques cm³ de plus bien appréciés, et généralement sauvagement disputés, pour étendre ses jambes. Le type qui vend les billets sur le coin de table d’une petite gargote me répond avec un sourire narquois et sirupeux qu’il n’y a pas de problèmes, et gribouille distraitement un numéro sur mon ticket.
Trop simple, trop facile ; soit j’ai du bol ce soir, soit ça va bientôt sentir l’arnaque à pleines narines !
J’attendrai jusque 2h du matin dans la gare de bus qui se fait de plus en plus glauque et menaçante au fur et à mesure que le soleil disparaît pour laisser place aux étoiles. Prudemment, je vais me coincer sur des marches entre deux femmes submergées de paquets de toutes sortes, un gosse leur tétant un sein, un autre assis sur ce qui leur reste de jambes libres.
Seule mzungu, blonde de surcroît, ça ne m’empêchera malheureusement pas de me faire plusieurs fois aborder de façon obscène et libidineuse par les petits mâles écervelés du coin. Parfois, il vous siffle à travers la gare telle une chienne bien dressée que l’on rappellerait au pied. Malgré leur insistance lourde et horripilante, je les méprise et les ignore, enfonçant davantage ma tête entre les jambes, portant tout le fardeau de honte qui leur reviendrait pourtant d’endosser.
2h du mat donc, après 8 longues heures d’attente parsemées d’humiliation et alourdies de froid et de fatigue, un bruit de moteur agonisant se fait entendre, et le bus pointe enfin le bout de son nez…Il quitte le Malawi chrétien pour la Tanzanie musulmane ; les autocollants et bariolages « In God we trust » ou « Jesus is my Lord » décorant habituellement les véhicules font maintenant place à des « Allah Akbar ». Je ne peux pas me tromper de destination !
Mes craintes et suspicions d’arnaque se confirment ; le bus est déjà plein comme un œuf. Les gens impatients et ayant également flairé l’embrouille se précipitent sur la porte du bus comme les passagers du Titanic sur les chaloupes de secours. Ils se bousculent comme s’il eut s’agit d’un combat de catch !
Devant avant toute chose m’assurer que mon sac à dos est bien embarqué, je dois déclarer forfait au combat pour gagner mon siège… Il n’y a plus de places dans les coffres, on charge tant bien que mal mon sac par la fenêtre. Lorsqu’enfin je peux monter dans le bus, il n’y a plus un seul espace de libre là non plus; je me suis faite avoir dans les grandes largeurs ! Folle de rage, j’attrape la personne qui m’a vendue le billet par la manche et commence à le traiter de voleur en hurlant. Je le somme de m’assurer une place, et pas n’importe laquelle, celle derrière le chauffeur comme promis ! Évidemment tout ce cirque est juste pour la forme et calmer mes nerfs : quand on se fait plumer en Afrique, on n’a personne contre qui se retourner. Mes insultes hystériques glissent sur la carapace de son indifférence : « cours toujours ! ».
Finalement, il me fait signe d’embarquer dans un taxi brousse ; je pourrai d’après lui monter dans le bus une fois qu’on aura débarqué quelques personnes à la frontière. Otage de son traquenard, je me vois contrainte et forcée d’accepter, mais je lui ressaisis le bras et promet de ne pas le lâcher tant que je n’ai pas récupérer mon sac à dos toujours à l’intérieur. : je n’ai pas confiance, on se demande bien pourquoi… Plus par lassitude que par peur (« Elle commence sérieusement à me gonfler la blondasse » pensait-il bien fort…), il me remet mon sac et entasse tous les laissés-pour-compte dans un taxi brousse pourri (un pléonasme !;-)).
Il est maintenant 3h du mat et j’en ai sacrément ma claque ! Le dossier de mon siège est cassé, je n’ai aucun appui. Mes sacs sont empilés à la place des mes jambes, ce qui m’oblige par manque d’espace à adopter la position fœtale. On est comme à l’habitude compressés à 4 par banquette, mais cette fois les fenêtres sont bloquées ; la chaleur devient vite insupportable et étouffante. On suffoque dans les odeurs de transpiration, mêlées à celles plus rances encore des sardines séchées qui suintent des caisses empilées à l’arrière. Je tombe à la renverse à chaque fois que mes paupières se ferment de leur propre volonté et que mes muscles se relâchent La torture durera plus de quatre heures. Voyager en taxi brousse n’a jamais été commode ni plaisant, mais c’est la première fois que cela s’apparente autant à du transport de bétail.
A Karonga, dernière ville avant la frontière tanzanienne, on retrouve le bus duquel on débarque les caisses de marchandises coincées sous les sièges des passagers ; il semble en régurgiter par toutes ses fenêtres. Il est quasiment impossible de concevoir que ce bus ait pu avancer quand on voit s’amonceler au sol les lourds cartons de toutes espèces. On nous fait maintenant monter à bord ; le combat de catch reprend ; tout le monde joue des coudes pour être le premier dans le véhicule. Partie perdue une fois encore pour moi ; je devrai rester debout dans l’allée centrale.
En entrant dans le bus, je découvre le chauffeur complètement anesthésié et mollement avachi sur son tableau de bord. Il a dû s’endormir si profondément et si soudainement qu’on croirait qu’on l’a descendu d’une balle dans la tête… C’est vraiment pas bon signe !
Après deux heures de trajet transbahutée et debout, des gens quittent le bus, un groupe de jeunes types me fait signe qu’il y a maintenant une place de libre près d’eux sur la banquette du fond. Ouf !
Première question qui pue : ai-je un petit ami ? Je réponds d’emblée que je suis mariée, et que je rejoins d’ailleurs mon mari à Dar Es Salaam (Fary fera très bien le mari !). Le type à côté de moi est coriace et ne se décourage pas pour autant : maintenant qu’il a une petite blonde à portée de mains, il ne va pas abandonner sa proie si facilement ! Il me saoulera tout le voyage pour avoir mon numéro de téléphone, m’inviter à sortir avec lui à Dar… Il se collera sans cesse à moi par une inadvertance bien calculée… La vétusté du bus joue en plus à son avantage : les amortisseurs sont morts, à chacun des très nombreux trous sur la route, on fait des bonds gigantesques sur son siège pour retomber les uns sur les autres… lui bien souvent sur moi…Au secours !
Je devrai feindre de dormir tout le long du trajet, mais au moindre mouvement de mes paupières, il réattaque !
Il y a encore des tas de gens forcés à voyager debout ; j’ai beau être assise à côté d’un harceleur collant sur un siège dont la barre de fer me broie le dos, je dois m’estimer chanceuse ! Je n’oserai d’ailleurs pas quitter une seule seconde ma place de peur qu’on me la prenne d’assaut…
Le samedi soir vers 21h, on approche Dar Es Salaam lorsque le bus est soudainement stoppé par la police.
On ne connaîtra jamais les raisons exactes, sans doute un bakchich jugé insuffisant, mais le bus restera immobilisé en pleine brousse pendant plus de douze heures ! Fary pourra m’attendre ; on n’arrivera à Dar que le lendemain midi…
En attendant, ayant défendu avec férocité ma place assise, je suis restée un jour et deux nuits sans aller à la toilette, sans rien manger ni boire… juste faire semblant de dormir… L’épreuve était d’autant plus difficile que mon harceleur collant me ramenait à chaque halte de la nourriture ou des boissons espérant ainsi m’amadouer. Malgré les odeurs alléchantes et mon estomac suppliant, je refuserai chacune de ses offres afin de ne pas l’encourager dans sa vaine entreprise de m’attendrir…
Une fois arrivée, je propose finalement à Fary de ne se voir qu’en fin de journée ; je suis tellement lasse et fatiguée que je préfère ne faire supporter ma compagnie qu’à moi-même… J’ai une dalle d’enfer, mais toujours pas de veine : c’est un jour férié musulman, et trouver quelque chose d’ouvert dans Dar Es Salaam est on ne peut plus hasardeux ! Je traverserai toute la ville à pied pour ne finalement dénicher que le snack bar d’un hôtel 5 étoiles où les cartes de crédit sont toujours les bienvenues quelque soit le jour de l’année…
Sur le chemin, petite blonde marchant seule, je me fais sans cesse siffler et suivre par les gros porcs du coin. Quelque soit l’endroit du monde où j’ai voyagé, c’est une constante : le plus conservateur vis-à-vis de la femme le pays et/ou la culture est ; les plus salaces, lubriques et irrespectueux les hommes sont vis-à-vis des Occidentales.
Un vendeur de cartes postales vient me coller pour me faire acheter sa camelote. Je lui explique poliment mais fermement qu’il a vraiment mal choisi son jour. Il insiste. Je lui demande de me respecter et me laisser seule comme je l’implore d’ailleurs depuis déjà un bon moment. Il me rétorque que je ne veux rien lui acheter parce qu’il est noir, et me traite de raciste en hurlant pour bien s’assurer que tous les gens autour de nous l’entendent…
Le Malawi me manque vraiment de plus en plus !