Pokhara n’a évidemment pas changee en l’espace de quelques jours – toujours autant de touristes- m’ais s’avere une halte bien appreciee pour prendre soin de mes courbatures, mes pieds meutris, et mes levres craquelees par le froid et le vent. J’aurais pu l’eviter en buvant plus de butter tea (the au beurre qui donne litteralement l’impression de beurre fondu dans lequel auraient patauge quelques feuilles de the), dont les Tibetains raffolent, et qui rend la bouche grasse, evitant ainsi les gercures.
A Pokhara, je me laisse facilement et docilement prendre au jeu du farniente total et de la dolce vita, profitant sans me restreindre des petits restos au cadre sympa, et des concerts live le soir au coin du feu.
Je m’y offrirai meme une séance de parapente au dessus de l’Annapurna; se prendre pour un oiseau l’espace d’un trop court moment, et voler en compagnie des aigles… Quelles sensations!!
Pokhara est aussi le lieu de predilection pour rencontrer d’autres voyageurs, et j’en rencontrerai, par dizaines, de tout age, tout pays, tout horizon… mais ils ont tous un point commun; la recherche longue et difficile de soi, la quete d’un but dans la vie.
Parmi eux, il y a Martin, l’Anglais de Sheffield, ingenieur ecologiste a la quarantaine bien amorcee. En instance de divorce après 25 ans de vie commune, il est parti voyager 8 mois, et ne sait ni dans quel pays il vivra, ni quel boulot il fera a la fin de son pelerinage aux confins de son moi profond. Martin cache mal sa tristesse et sa solitude, mais on passera 2-3 soirees agreables grace a son sens de l’humour et sa culture generale sans faille.
Il y a aussi Sean et Tracy, un couple d’Australiens venus enseigne gratuitement au Nepal pour “enfin donner aux autres”. Sarah, l’etudiante irlandaise a l’enthousiasme communicatif, qui apres avoir voyage en Chine, Nepal et Inde, pense ne jamais commence sa vie en Irlande, mais partir s’installer chez son petit ami Mongolien rencontre en chemin. John, l’Americain qui revient pour la seconde fois au Nepal ; la premiere l’avait tellement marquee qu’il avait quitte son boulot de trader a New-York pour devenir cameraman a Hollywood. Jibe, le jeune parigo qui fait des bandes son pour la tele que j’avais rencontre tot le matin au petit dejeuner, et avec qui la conversation s’etait prolongee jusque dans l’apres midi. N’ayant jamais pris de vacances, il n’en pouvait plus du stress de Paris et des emmerdes a son boulot, il a pris un billet pour 3 mois de retraite nepalaise, et revenait d’un trek de 3 semaines seul dans l’Himalaya. Il se demande desormais comment il va gere son retour dans la jungle parisienne. Changer de lieu de vie et de collegues lui parait la solution.
Je passe tous les bonnards baba-cools perdus a tout jamais au Nepal, mais qui vivent confortablement du chomage de leur pays d’origine, pour arriver a Bill, l’Americain du Colorado.
Bill est potier, doit avoir 60-70 ans, et rayonne de sa bonne humeur et de sa serenite… Un vrai petit Dalai-Lama en herbe ! Par le plus grand des hasards, je n’arretais pas de tomber sur lui a des heures et des endroits completement differents, ce qui nous faisait rire tous les deux. Il effectuait son premier grand voyage « in the Third World » comme il disait, et revenait d’une retraite de 3 semaines dans le monastere du Dalai-Lama a Dharasalam pour y apprendre la meditation.
Chaque fois que je le croisais, il etait en compagnie de jeunes d’une vingtaine d’annees, desesperes, jeunes brebis egarees qui lui confiaient leur premiere grande deception amoureuse (ou leur premiere grande deception tout court)… et qui semblaient avoir enfin trouve une oreille compatissante et attentive.
Les conversations se terminaient toujours par des accolades joyeuses, signe que Bill etait parvenu a faire jaillir une lueur d’espoir dans leurs ames en peine, ou au contraire, par des pleurs sans fin sur l’epaule de notre psychologue en herbe, signe que Bill allait certainement devoir encore leur offrir une de ses seances miracle…
Pour sa derniere soiree avant de partir en trek, Martin et moi decidons de trinquer a nos longs mois de vacances/questionnements dans un chouette resto du coin. Notre soiree bien arrosee se terminera dans un bar perdu dans les meandres de l’arriere Pokhara. Comme cela semblait ouvert, on pousse la porte avant de se rendre compte qu’on reveillait les deux tenanciers deja au lit… mais ils semblaient ravis d’accueillir leurs – sans doute- deux premiers clients de la journee ! Le serveur, qui se recoiffe nerveusement en baillant et peine a ouvrir l’œil, vient prendre la commande, mais, maitrisant mal l’anglais, me propose finalement de venir dans la cuisine choisir par moi-meme dans son stock aux tresors. Il ouvre un frigo tout a fait vide a l’exception de 3 bouteilles de biere « Everest »… Une biere, une biere, ou une biere ? Bon, ben une biere ! ;-)
Comme nos deux hotes semblent etre partis se recoucher, Martin et moi prenons possession de la chaine stereo, et faisons nous meme DJ pour egayer l’endroit : Janis Joplin, Led Zep, Radiohead… J’ose a peine et avec honte repenser au bordel qu’on aura foutu dans leurs CD’s ! On refermera quand meme la porte doucement en partant…
Au bout d’une semaine d’oisivete a Pokhara, je me dis qu’il est grand temps que je change de cremerie avant de n’avoir plus d’autre choix que de rejoindre la communaute de babas cools, et etre perdus a tout jamais au Nepal moi aussi. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Carlos que j’ai laisse dans l’Annapurna. Je ne sais pas si je dois prevenir les secours ou sa mere. J’abandonne tres vite la deuxieme option, et me dis que la premiere alternative n’est pas encore tout a fait raisonnable a l’heure qu’il est… Je decide donc de prendre le bus seule vers les « road less travelled » cities… La veille j’ai rencontre Krishna, un Nepalais ayant etudie la geographie, et qui m’a raconte le Terai au nord-ouest du pays. Les villages dont il m’a parle ne sont mentionnes nulle part dans les guides mais font drolement envie !
Dans le bus qui m’emmene vers Tansen je fais figure de curiosite locale. A chaque arret, tout le monde veut savoir d’où je viens, quel age j’ai, et s’apitoye sur mon sort quand je leur dit que je n’ai pas encore d’enfants a un age si avance…
Comme m’avait Addis, un Nepalais ; ici, ne pas avoir d’enfants a 31 ans, c’est soit que tu es sterile, auquel cas inutile, soit tres laide et aucun mari potentiel ne veut de toi. Je ne me suis jamais sentie aussi vieille, moche et inutile qu’au Nepal ! ;-) Addis me rassure en me disant que je suis tres « ramro » (ou quelque chose comme ca qui veut dire pretty), et que j’en parais 25… merci Addis ! , et continue en me proposant tres serieusement de me marier a un Nepalais (lui, par exemple), comme ca on pourrait ouvrir un business a Pokhara dont il serait le manager, et qu’on financerait par mon salaire gagne en Belgique… Sacre Addis !
J’arrive a Tansen en fin de journee. Tansen est une ville assez inhospitaliere au premier abord. Chargee comme une mule de l’Himalaya, je me rends dans la premiere guesthouse que je trouve. La chambre est puante, le lit douteux, le WC ne fonctionne plus depuis bien longtemps, il n’y a pas d’eau chaude, pas de douche non plus, on se lave a l’evier… la salle-d’eau est tellement sale que je n’oserais meme pas y entrer sans chaussures. Tant pis, je suis trop fatiguee ce soir pour chercher plus loin.
N’ayant rien avale de la journee, je m’aventure dans la petite ville a la recherche d’un endroit accueillant pour manger un bout. Vers 7h, panne d’electricite ; tout Tansen est plonge dans le noir total. Je me dirige dans l’obscurite grace a la lueur des bougies qui s’allument ca et la a l’interieur des maisons, et je trouve une gargote qui donne sur la rue ou prendre un the chaud et de quoi me sustenter. Heureusement, le manque de lumiere m’empeche de voir plus en details l’hygiene de la cuisine, mais je dois constamment chasser les mouches qui viennent par dizaines envahir ma table. N’ayons peur de rien, on verra bien de quoi aura l’air mon estomac demain matin !
Une petite mademoiselle de 6-7 ans toute mignonne fait le service. Son pere lui fait des remontrances lorsqu’elle ne debarasse pas les tables assez vite… Ca ne me donne pas envie de m’attarder, et je file dans ma chambre d’hotel toujours aussi puante apres des heures d’aeration. Ma chambre donne directement sur la rue dont le boucan est insupportable. J’ecouterai mon ipod jusqu'à ce que Morphee vienne me chercher.
Il devait etre tard quand je me suis endormie, car je me reveille tard aussi. J’erre dans la ville toute la fin de matinee a la recherche d’une guesthouse plus acceptable, me demandant sans cesse si je reste une nuit supplementaire a Tansen ou pas. Finalement je tombe sur un Nepalais qui me dit que le bus pour Butwal part tout de suite ; il y a des signes du destin qu’il faut pouvoir saisir… je boucle mon sac en 5 minutes et cours acheter mon ticket !
En attendant que le bus demarre, Visna, un Nepalais, vient me faire la conversation. Il me dit a quel point j’ai de la chance de pouvoir voyager, ce a quoi quasi aucun Nepalais ne s’autoriserait meme a rever… Je lui dit avec tristesse a quel point j’en suis consciente, et que ce n’est malheureusement pas le cas de tous les Europeens. « Tu dois leur dire alors quand tu rentreras, tu dois leur dire comment et de quoi on vit. », me repond t-il.
C’est promis, Visna, je leur dirai !
Une fois dans le bus, je commence seulement a me demander ou je vais reellement m’arreter ; Butwal, Bhairawa, Lumbini ? Lumbini est la ville la plus eloignee, on verra bien combien de temps le bus mettra… Finalement le terminus est a Butwal, un autre bus pour Lumbini attend ses derniers passagers pour faire le plein avant de partir… bon ben on y va !
Il n’y a plus de places a l’interieur, on me fait monter sur le toit. J’ai du mal avec tous mes sacs, mais je parviens peniblement a rejoindre les 14 autres Nepalais pour un voyage pour le moins... decoiffant !
Des gens qui voyagent sur le toit d’un bus, c’est d’une banalite affligeante au Nepal, mais une petite blonde s’accrochant pour ne pas s’envoler au porte bagage, un peu moins ! Partout ou on s’arrete, les Nepalais me montrent du doigt en s’esclaffant… ca a le merite de faire rire tout le monde !!
Apres une heure de windsurfing a pleins tubes, on arrive enfin a Lumbini. Je fais tous les quelques hotels que comptent le petite ville : archi-complet ! J’ai du mal a y croire… apparemment, il y a un grand rassemblement religieux, et je ne peux pas esperer trouver une chambre ce soir.
Il fait deja noir, et les echoppes commencent a fermer boutique ; il faut absolument que je trouve vite une solution ; reprendre le bus vers la ville la plus proche ? Je ne sais pas s’il y a encore des bus a cette heure-ci ; Negocier un sofa dans un hotel ? Ma derniere experience de Kathmandu me decourage…
Je m’assied pour reflechir (on reflechit toujours mieux assis, c’est bien connu ! J) quand un vieux monsieur ayant observe mes allers-retours me propose de m’heberger dans sa famille. Sans meme demander plus de details, j’accepte sur le champ ! Il m’emmene dans sa petite maison ou sa fille a le sens des affaires ; elle me reclame 150 rupees pour la nuit (€ 1,6 ) ; une fortune comparee a mon hotel avec salle de douche (et eau chaude aleatoire) a € 3 a Pokhara, mais je ne suis pas vraiment en position de faire la fine bouche.
On me fait faire le tour du proprietaire (ce sera rapide…), et me montre la salle de bain pour le moins … sommaire… J’attendrai demain pour me laver…
Apres avoir etale deux couvertures dans le salon pour faire croire a un lit, la maitresse de maison me demande si je vois un inconvenient a ce que sa vieille mere vienne regarder la television. Je dis bien evidemment que non… meme si je ne pense pas avoir vraiment le choix ! ;-) Je me retrouve donc coincee dans le divan avec la grand-mere pour une tres loooonnngue soiree a regarder des soaps indiens, ou la « nouvelle star » version nepalaise. Je n’y comprends evidemment que dalle, mais il ne faut pas comprendre grand-chose d’hindi ou nepali pour se rendre compte de la grande mediocrite des programmes. Il y est question de vengeance, d’amour, de trahison, de pouvoir, et d’argent… des themes universels !
L’apparente tres honorable vieille dame a mes cotes ne cesse de peter bruyamment en rigolant ! Ne sachant pas trop comment reagir, j’esquisse quelques sourires forces en me disant qu’heureusement que je suis seule… a plusieurs nous aurions certainement ete pris de fous rires irrecuperables….
Le lendemain matin, je suis pressee de trouver un endroit ou pouvoir prendre une douche apres 3 jours d’hygiene douteuse. Ne voulant pas partir comme une voleuse et faire preuve de gratitude envers mes hotes, je vais m’installer a la table de la cuisine familiale pour partager le the en signe de convivialite. J’essaye peniblement de communiquer avec le grand-pere a la tete sympathique… sans grand success, mais on fait des efforts tous les deux ! La fille, qui n’a toujours pas perdu le sens des affaires, me charge 10 rupees pour la tasse de the.
Il est sans doute temps pour moi de plier bagages…