Declarant forfait dans ma tentative d'envoyer des mails face aux imponderables nepalais que sont les coupures de courant, de reseau telephonique, et mauvaise volonte opiniatre des ordinateurs, j'invite David a prendre le the dans la gargote d'a cote.
David est un etre a part entiere, une sorte d'ange, ou peut-etre simplement un gentleman comme on n'en fabrique plus...
Du sang de tous les les coins du monde qui coule dans ses veines et nombreux demenagements a travers le globe, il a herite l'ouverture au monde exterieur; de ses parents catholiques idealistes missionaires, le meilleur; la bonte a l'etat pur; de sa formation d'ingenieur, l'intelligence et le rationnel qui s'entrechoquent et s'amalgament continuellement sous forme d'unions et de desunions avec les principes de son education.
Non encore remis de sa tres recente separation d'avec sa copine, il est en pleine remise en question sur ce que devraient etre ses relations et sa vie en general. Durant nos quasi trois semaines passees ensemble, je ne me serai jamais ennuyee une seule seconde, m'enrichissant de chacune de nos conversations.
Autour de notre the chaud, s'est joint a nous Lekshey, un moine d'un monastere de Kathmandu. Lekshey me connaissait deja de vue; preuve s'il en est besoin que je ne suis pas passee inapercue lors de mon intrusion aux 10 jours de priere!! Il maitrise mal l'anglais, mais avec une bonne volonte de part et d'autre, on arrive tous les 3 a se comprendre.
Lekshey est originaire d'une famille de fermiers de Jomson, et est entre (ou plutot, a ete envoye) dans les ordres a l'age de 8 ans. Autant dire qu'il ne connait que la vie monastique... Apres +/- 20 ans de vie en retrait du stress quotidien inherent a ses congeneres nepalais; il est arrive a un moment de questionnements profonds et interet pour la vie de tout un chacun qu'il a de plus en plus de mal a reprimer... Il sent que le temps est venu pour lui de quitter son cocon confortable pour gouter a l'aventure palpitante que nous, pauvres communs des mortels, n'avons meme pas conscience de vivre; une vie faite d'euphories et de deceptions qui la rendent selon toutes apparences plus interessante que le confort lisse et tranquille de son monastere..
Il pense, tres certainement a raison, que mediter sur la compassion et la souffrance d'autrui est chose aisee si on ne les a pas soi meme experimentees. Vingt annees de theorie a mettre en pratique lui donnent le vertige, mais il semble avoir atteint un point de non retour dans sa reflexion..
On va manger tous les trois dans le seul restaurant encore ouvert a une heure si tardive qu'est 8 heure du soir a Lumbini, lorsque l'armee fait irruption pour s'assurer que personne ne consomme d'alcool. La veille, un groupe de moines s'est envivre au point que leur beuverie ait tourne en bagarre generale aux tessons de bouteille. Plusieurs d'entre eux ont fini la nuit au poste ou a l'hopital. Lekshey est evidement profondement choque par cette attitude, et l'image que cela donne de sa confession... Moi je me rassure en me disant que quelques imbeciles et un pervers parmi 3000 moines reste une proportion acceptable quand on sait a quel point l'humain peut etre faible... (n'est-ce pas Dimi?)
A la fin du repas, Lekshey en ayant sans doute assez du froid glacial de sa tente, demande a David s'il peut dormir avec lui. D'abord surpris, ce dernier accepte volontiers... J'avoue qu'apres mon experience de quasi viol le matin meme, je me suis inquietee pour lui toute la nuit... :)
Le lendemain matin, je retrouve David sain et sauf, et on part avec Lekshey pour une quinzaine de kilometres de marche a travers les temples et monasteres bouddhistes finances par les genereux donateurs etrangers; le japonais, le chinois (tiens?!), l'autrichien, l'allemand.... Sans grand interet (...du moins a mon gout); seul un arret en milieu de parcours ponctue notre journee d'une distraction amusante: deux enormes boas caches dans les buissons! Un groupe de garcons irresponsables est en train de tenter de les capturer.. On repartira neanmoins sans savoir qui des boas ou des garcons sortiront vivants de cette chasse inconsciente...
De retour a l'hotel, on se fait apporter le the par Bituk, notre petit serveur adorable dont l'age doit sans doute s'ecrire encore en un seul chiffre.
Dans les restaurants des villages ou ceux des villes non frequentes par les masses de touristes, ce sont tres frequemment des enfants qui font le service. Bien souvent, il s'agit de l'enfant de la famille, mais aussi parfois d'"enfant-esclaves". C'est malheureusement tres certainement le cas de Bituk si on en juge a la rudesse avec laquelle il est traite par le gerant...
Bituk n'a sans doute pas eu la chance de naitre le premier dans une famille dont les moyens ne permettent de payer des etudes, ou du moins une vie moins miserable, qu'a l'aine. La famille "loue" alors les services de leur progeniture aux restaurants ou familles plus aisees. Certains ont un destin plus fortune, et la famille d'accueil leur permet d'aller a l'ecole en journee. Mais l'amour parental n'est pas une chose qui se monnaie, et ces enfants n'en recevront probablement jamais....
Bituk travaille sans relache; au lever du soleil, c'est lui que j'entends balayer, et quand on rentre le soir apres la fermeture de l'hotel, c'est encore lui qui nous ouvre la porte sans jamais cesser de sourire ou chanter...
Bituk me touche profondement le coeur, mais quand j'essaye de lui montrer de l'interet, en l'invitant par exemple betement a partager un morceau de chocolat; il l'avale avec gourmandise comme un voleur et repart aussi vite a sa tache. Je n'obtiendrai de lui que son prenom, que je n'oublierai pas - comme je n'ai jamais oublie non plus celui d'Arka en Inde - tant ils sont synonymes de la condition de trop nombreux d'enfants du Nepal et d'ailleurs...
Pour une fois, ma route etait bien tracee; l'Ouest du Nepal et ses contrees non explorees; mais etre en aussi bonne compagnie que David est un cadeau qui ne se refuse pas, et je me laisse tentee par l'idee de le suivre vers le Chitwan National Park. Entre-temps, j'ai eu des nouvelles de Carlos qui est rentre vivant et sans casse de son trek dans l'Himalaya, et qui a besoin de quelques jours confortables a Pokhara pour se remettre, et vivre le farniente pokharadien si seduisant..
Je prends donc le bus avec David. On a droit a l'air conditionne sans emoluments supplementaires; a savoir a cote de la porte du bus restee grande ouverte pour que les Nepalais puissent passer la tete pendant le voyage et fumer leurs cigarettes. On gele litteralement sur nos sieges, et on arrive a Chitwan en plusieurs bus locaux et taxi.
Chitwan est une destination pour touristes.. quand il y en a... ce qui n'est pas le cas de la saison pendant laquelle on s'y trouve, mais ce qui veut dire aussi qu'il y a de quoi nous tenir occupes pour la duree de notre sejour.
On part donc negocier notre randonnee a dos d'elephants pour admirer les rhinoceros et autres crocodiles, ainsi que notre ballade en canoe dans le brouillard matinal et impenetrable du parc.
Dans le premier bureau dans lequel on se rend, on rencontre Nagendra, le manager, un phenomene a lui tout seul qui decrit avec humour la situation economique de son pays qui n'est est pourtant pas vraiment pourvue.
Il deviendra notre quasi pote chez qui on va boire le the plusieurs fois par jour pour ecouter ses complaintes sacarstiques, et en apprendre davantage sur la politique nepalaise paraissant en bonne position pour surpasser le surrealisme gouvernemental belge.
Si en Belgique on est en attente de gouvernement, ici ce sont les elections qui se font desirer depuis de longs mois, faute d'accord sur la constitution qui devra decider entre autres du sort du Roi, et du pouvoir accorde aux Maoistes. Maoistes, dont le leader Brachenda ne cesse de boycotter les negociations par des revendications exagerees et ridicules; et que personne que j'ai rencontre ne semble porter dans son coeur.
C'est ce qui me fait ne rien y comprendre; plus complexe que le probleme Bruxelles-Halle-Vilvoorde: comment des maoistes sanguinaires ayant a leur passif le meurtre de centaines de villageois, et qui rackettent continuellement la population auraient sa place dans des negociations? Il est vrai qu'apres la lecture quotidienne de l'actualite belge, plus rien ne m'etonne. Les elections au Nepal sont repoussees au mois d'avril... bien que la date fasse sourire tout le monde..
Qui de la Belgique ou du Nepal aura en premier son gouvernement? Les paris sont lances!
La lecture du "Kathmandu Post" ou autres quotidiens nepalais ne m'eclairera pas davantage; le Nepal remporte la sinistre palme du plus grand muselage de la presse, pays au plus grand nombre de journalistes en prison ou tortures selon "Reporters Sans Frontieres".
Nagendra a deja beaucoup voyage et reve de parcourir le monde. Comme un passeport nepalais ne vaut rien aux frontieres occidentales, il voudrait obtenir les papiers d'identite europeens par un mariage arrange. Je me retrouve a lui promettre en toute illegalite de faire appel aux amatrices autour de moi a mon retour... me gardant toutefois de toute garantie de resultats!!
A Chitwan, aussi incroyable que cela puisse paraitre, je rencontre mon premier Belge depuis cinq mois et demi que je voyage; un Gantois illumine, adepte du Chamanisme, conseiller en fiscalite pour l'Eglise catholique dans la vie courante, et ecrivain a ses heures. Ses livres portent sur le Chamanisme d'une part, et sur la stupidite des lois fiscales belges d'autre part. Si je ne connais rien au premier sujet, j'imagine que le second doit etre source d'inspiration inepuisable... Il nous raconte avec un rire communicatif comment il conseille a ses lecteurs de ne pas respecter le droit fiscal etant donne que tout le monde, a commencer par les legislateurs, s'en fout!
Je ne vais pas m'aventurer dans la description du Chamanisme puisqu'apres une soiree entiere a en discuter avec lui et David, tout ce que j'en ai compris est la veneration de la nature, et la croyance en une force cosmisque qui lie tout etre et toute chose (peut-etre que Ced-Ankou de par ses origines bretonnes pourrait vous en dire plus? :-)), mais ce Chaman semble convaincu que les scientifiques se trompent sur la creation de l'univers, et que, bornes, ils refusent de l'ecouter.. lui qui sait!! A borne, borne et demi!
D'apres lui, 2012 est la date de fin du monde, et donc la naissance d'une ere nouvelle... faite d'amour.. ou de haine... Je ne peux evidemment pas vous dire s'il a raison; tout ce que je peux vous dire avec certitude, c'est qu'il appartient a chacun de nous de choisir...
Notre Gantois a laisse sa femme comprehensive et ses enfants derriere lui pour venir au Nepal apprendre de ses villages recules la pratique de sa religion. Il parcourt des lors le Nepal d'experiences mystiques en transes diverses lui permettant de voir le cosmos de facon plus claire... Evidemment, des pensees aussi profondes ou revelations absolument transcendentales ne viennent pas toutes seules, et notre chaman s'aide pour ce faire de champignons et autres substances hallucinogenes dont il faut taire l'existence a sa femme restee au bercail...
Re-rencontre par hasard a Kathmandu quelques jours plus tard pour partager une biere, il nous deballera fierement ses derniers achats d'herbes illicites, decus neanmoins que nous n'y pretions qu'une attention tres moderee...
Le lendemain s'annonce etre une journee sportive puisque David et moi decidons de louer un velo pour aller admirer le lieu dit des 20,000 lacs, qui est une des attractions de Chitwan. Notre objectif change toutefois en cours de route lorsqu'on croise deux autres cyclistes nous expliquant que les 20,000 lacs ne sont en fait qu'un seul en saison des pluies, et 20,000 malheureuses flaques de boue en saison seche....
Mais les changements de programme sont ce que je prefere; cela laisse toujours la place a plein de surprises, qui, lorsqu'elles sont belles vous offrent de divins souvenirs... Au diable donc les 20,000 lacs! Laissons maintenant les chemins de campagne nous guider!
On se trouve etre en plein "logan", ou periode de chance selon les calendriers astrologiques nepalais -dont la population est friande et tres croyante...c'est a dire aussi une periode propice aux mariages se celebrant sous les meilleures augures des etoiles. Partout dans Chitwan et ses alentours resonnent les tams tams pour accueillir les futurs maries.
En rase campagne avec pour toile de fonds les montagnes enneigees de l'Himalaya, j'assouvis mon desir d'en savoir davantage sur cette tradition en stoppant mon velo devant un groupe de femmes joviales dansant au rythme des percussions. On a a peine le temps de poser notre velo, que les gens viennent a notre rencontre pour qu'on se joigne a leur fete. La ceremonie se deroule devant la maison du futur epoux. Sa soeur danse au beau milieu d'une dizaine de femmes de tous ages improvisant des chants d'amour. L'assemblee etant exclusivement feminine, on s'assure que David peut s'y joindre, mais cela semble ne poser aucun problemes.
Comme invites surprises aussi inhabituels et exotiques que Costa Ricain et Belge, David et moi nous faisons inviter a danser a tour de role (et manifestement, il est hors de question de refuser l'invitation!) au centre d'un public hilare. David enchaine en jouant du djembe entoure d'enfants en extase... Au loin, un groupe de jeunes garcons nous fait signe de les suivre vers la maison d'a cote ou les hommes se restaurent. On vient de dejeuner, mais les gens insistent pour nous offrir a manger. On se retrouve donc, malgre nous, une assiette debordante de riz et portion de viande au gout et texture non identifiables a la main. Comme toujours les questions fusent de partout, et personne, a part David et moi, ne semble en etre jamais rassasie. On pose a leur demande pressante pour une photo de groupe, puis avec chacune des personnes individuellement.. sans doute volera t-on la tete d'affiche de l'album de mariage?!!
Apres avoir ingurgite 2 platees de riz et endure une bonne dizaine de poses photo, les garcons qui nous avaient au prealable invite a partager le repas, nous proposent maintenant de gouter a l'alcool local. N'etant pas encore l'heure de s'enivrer, on part comme de jeunes ados gouter leur breuvage alcoolise en cachette dans la maison en terre de l'un d'eux. David et moi sommes les seuls a boire; les autres etant encore a une annee de leur majorite, ne veulent en aucun cas manquer de respect a leurs parents en buvant de l'alcool! (A t-on manquer quelque chose dans notre education occidentale?? ;-))
De retour a la ceremonie en catimini, on arrive pile pour l'arrivee des jeunes maries.
La mariee vient de la ville de Pokhara; certainement elevee de facon plus liberale, ou tout au moins dans une ville ouverte vers l'exterieur de par le tourisme, elle se retrouve maintenant, par un mariage arrange, a 9 heures de bus de chez elle, dans un village perdu pres de la frontiere indienne, avec pour mari un parfait etranger qu'elle n'avait sans doute jamais rencontre auparavant!
Les mariages arranges sont chose courante au Nepal, et encore bien ancres dans les moeurs, meme celles des jeunes generations. La mariee s'effondre en larmes alors que tout le monde danse autour d'elle en jetant de l'eau et du riz teintes de rouge, couleur porte bonheur.
Dans quelques minutes, elle sera accueillie par sa belle-famille dans ce qui sera sa nouvelle maison... et sa nouvelle vie.
Il est l'heure pour nous de reporter notre velo de location; dommage, je serais bien restee avec eux jusqu'aux petites heures... bien que le chagrin et le tourment de cette jeune fille me laisse comme un arriere-gout amer dans la bouche...