Ils sont curieux ces juges judiciaires - ceux-là mêmes que le président de la République a qualifié de " petits pois". Ils veulent absolument que les enfants en bas âge ne soient pas "accueillis" en centre de rétention pour "accompagner" leurs parents.
Curieuse attitude tout de même. Non?
Ne serait-ce pas pour ce type de décisions que le président de la République avait envisagé le 8 janvier 2008, dans une conférence de presse, la suppression de l'intervention du juge judiciaire protecteur de la liberté individuelle, dans la procédure d'éloignement des irréguliers (voir notre billet)?
En effet, pour la seconde fois, la Cour d'appel de Rennes annule, dans un arrêt du
29 septembre 2008, le maintien en rétention administrative d'une famille avec un très jeune enfant sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne interdisant les traitements inhumains et dégradants.
Le juge des libertés et de la détention (JLD - qu'on appelle toujours le juge du " 35bis" même si l'ordonnance de 1945 a été abrogée depuis le 1er mai 2005 par le CESEDA) de Rennes avait libéré la semaine passée une autre famille avec 2 jeunes enfants.
La décision de la Cour d'appel du 29 septembre 2008 reprend les termes d'une précédente décision du 23 octobre 2007 (voir en PJ carennes-brenaivu.1222946156.pdf).
Voici la décision, empruntée au Dictionnaire permanent-droit des étrangers
ca-renne-sept-2008.1223014833.pdfOn peut lire un extrait de la décision de la Cour d'appel sur Rennes info :
" Considérant que le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, que, selon ce texte, "nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants", que pour tomber sous le coup de cette disposition, un mauvais traitement doit attendre un minimum de gravité, dont l'appréciation dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, et de l'état de santé de la victime[voir, par exemple, l'affaire Selmouni contre France , §91 ou l'affaire Papon];
Considérant que le préfet fait valoir que le fait de placer les époux S. et leurs enfants au centre de rétention de Saint-Jacques de la Lande, qui dispose de locaux spécialement aménagés pour recevoir les familles, ne constitue pas un traitement inhumain et qu'en raison de son jeune âge, l'enfant, qui n'a pas été séparé de sa mère, ne subit pas de traumatisme psychologique dans la mesure où il n'est pas à même de se rendre compte de sa situation ;Mais considérant que même s'il dispose d'un espace réservé à l'accueil des familles, le centre de rétention reste un lieu d'enfermement où sont retenus des étrangers, en vue de leur éloignement du territoire français, pour une durée pouvant atteindre 32 jours ; que, dans le cas particulier de l'espèce, le fait de maintenir, dans un tel lieu, une jeune mère de famille, son mari et leur bébé âgé d'un an, constitue un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'Homme, en raison :- D'une part du fait que l'enfant se trouve soudainement soustrait, dès son plus jeune âge, à un cadre de vie habituel et approprié : le domicile de ses parents - pour se voir imposer, même temporairement, des conditions de vie tout à fait anormales pour un bébé d'un an ;- D'autre part, de la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père; souffrance qui, par sa nature, son importance et sa durée (la prolongation de la rétention sollicitée par le Préfet étant de quinze jours), dépasse le seuil de gravité requis par le texte précitéConsidérant en outre, que la souffrance causée est manifestement disproportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière des époux S., ce d'autant plus que les intéressé disposent d'un logement personnel à Vitré où ils ont été interpellés ".
Les magistrats administratifs qui ne montrent pas autant de scrupules dans leurs jugements feraient bien de s'inspirer de leurs collègues de l'ordre judiciaire.
Selon le rapport annuel de la Cimade sur les centres et locaux de rétention - celui-là même que Brice Hortefeux ne souhaite plus voir paraître grâce aux stipulations du nouveau marché public (v. ici notre dernier billet) -, en 2007 ce sont 242 enfants qui ont eu à subir, avec leurs parents, la rétention administrative:
" Au mois d'octobre 2007, le placement en rétention d'un nourrisson de 3 semaines au centre de rétention de Rennes est venu llustrer à nouveau l'inhumanité de l'enfermement des familles et des mineurs. A cette occasion la cour d'appel de Rennes a pour a première fois affirmée et reconnue qu'une telle décision constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'Homme. Cette décision de justice n'a pourtant pas mis fin à cette pratique. En 2007, 242 enfants de tous âges sont passés derrière les grilles et les barbelés des centres de rétention français. Nous ne pouvons une nouvelle fois que dénoncer la violence qui est ainsi faite à ces enfants et à leur famille interpellés le plus souvent chez eux au petit matin avant d'être conduits au côté de leurs parents menottés et
enfermés dans les CRA désormais "habilités à les recevoir". Letraumatisme infligé à ces enfants, parfois déjà marqués par une histoire difficile dans leur pays d'origine, est injustifiable. Aucun objectif politique ne peut expliquer que l'on place ainsi des mineurs derrière des barreaux."
Mais le gouvernement assume sans vergogne ces pratiques. Ainsi, à l'époque où il était encore Place Beauvau, Nicolas Sarkozy indiquait, dans une réponse à un parlementaire, que la législation
" ne s'oppose naturellement [sic] pas à ce que des mineurs accompagnés suivent leurs parents lorsque ces derniers font l'objet d'une mesure d'éloignement ".
Dans cette perspective, il s'agit de préserver :" l'unité familiale durant toute la phase précédant l'éloignement effectif des étrangers en cause accompagnés de leurs enfants, notamment durant le placement en rétention administrative " (réponse à la question parlementaire n° 58712, au JO : 17/05/2005).
Saisi de la légalité d'un décret du 30 mai 2005 organisant cet " accueil ", le Conseil d'Etat a abondé dans le sens du gouvernement en établissant une distinction sibylline.
Les dispositions du décret attaqué
" n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir légalement pour effet de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre des familles des personnes placées en rétention ".Elles " visent seulement [sic] à organiser l'accueil [sic] des familles des étrangers placés en rétention "
( CE 12 juin 2006, Gisti, Cimade, LDH, Amnesty et le communiqué de presse).
9 centres de rétention administrative sont désormais habilités à recevoir des familles avec leurs enfants mineurs, y compris en bas âge.
Dans certains centres, des aires de jeux ont été aménagées. Elles répondent à toutes les normes de sécurité des parcs et jardins - y compris l'écriteau indiquant que les enfants doivent rester " sous le regard et la responsabilité de leurs parents".
http://www.anafe.org/doc/photos/photo2004.html© Aubert http://www.aubertolivier.org/
Le ministère de l'Immigration ne publie aucune statistique sur cette présence d'enfants en rétention ni sur les conditions de cet " accueil ".
On ignore les moyens développés pour empêcher qu'ils soient témoins des violences et contraintes faites à leurs parents ou aux autres adultes présents dans le centre (coercition physique, menottes, humiliations, tentatives de suicide, etc.) ou comment est assurée l'instruction obligatoire.
Ainsi, à Toulouse, une petite fille de 4 ans a-t-elle passé 32 jours avec ses grands-parents, bien loin des bancs de l'école laïque, gratuite et... obligatoire [MAJ: - il est vrai à partir de 6 ans].
A Lyon-Satolas, une militante du RESF s'est vue interdite de centre et confisquer un livre pour enfant intitulé " Au panier " car il a été jugé " subversif " (voir Rue 89).
Il est vrai qu'il citait la disposition de Déclaration universelle des droits de l'homme garantissant la liberté de circulation...
En zone d'attente, où le régime juridique pariculier permet d'enfermer des enfants et de les éloigner, 989 enfants ont été refoulés à la frontière en 2006 en Métropole. 102 avaient moins de 13 ans.
Selon l'Anafé, à Roissy, sur 604 personnes s'étant déclarées mineures, 515 l'ont été reconnus. Seuls 480 ont bénéficié d'un administrateur ad'hoc pour les représenter (c'est pourtant une obligation légale).
A tel point que Forum réfugiés, qui a obtenu d'être désigné administrateur ad'hoc aux côtés de la Croix rouge pour représenter les mineurs isolés dans leurs démarches juridiques en zone d'attente, a tergiversé avant d'y aller afin d'obtenir des garanties et une meilleure rémunération.
Aucune mention de cette présence d'enfants n'est faite dans le 4ème Rapport sur l'orientation de la politique de l'immigration.
On trouve néanmoins, dans les dernières pages du rapport, les observations du président de l'éphémère commission nationale de contrôle des centres de rétention et des zones d'attente. Il y souligne qu'il s'agit là d'un:
" problème très préoccupant et ne satisfait pas aux engagements contractés par notre pays en ratifiant la convention internationale des droits de l'enfant comme vient de la rappeler avec vigueur le 5 octobre 2007 le comité des Droits de l'Enfant de l'Unicef lors de sa 46ème session "...
Enfin à Mayotte, île dans laquelle il y a autant de reconduites à la frontière qu'à
partir toute la France métropolitaine, sur les 16 246 étrangers comoriens reconduits, plus de 2 933 étaient mineurs (v. la saisine de la Halde par Migrants Outre mer et le Gisti).
Il est à craindre que l'île d'outre-mer constitue une nouvelle fois un laboratoire préfectoral et policier en la matière.
v. aussi Bon vent! de Maître Eolas.