Par lettre du 25 septembre 2008 ( en PDF), le ministre de l'Immigration et de l'identité nationale, Brice Hortefeux, répond directement à la coordination française pour le droit d'asile (CFDA) à propos de l'inquiétude, exprimée dans une lettre ouverte du 17 septembre 2008 pour un certain nombre de ses organisations membres, s'agissant des dispositions du marché pour l'information, en vue de l'exercice de leurs droits, des étrangers maintenus en rétention administrative (NB: le marché concerne bien les irréguliers en instance d'éloignement et non les "réfugiés" comme l'écrivent certains médias, trompés par le communiqué de la CFDA qui ne porte nécessairement - compte tenu de l'objet de ce collectif - que sur l'asile en rétention).
Dans ce courrier le ministre donne un certain nombre de réponses et de clarifications, identiques à celles données à la Cimade lors de rencontres avec ses représentants (Patrick Peugeot et Laurent Giovannoni) les 22 et 24 septembre.
Combats pour les droits de l'homme, qui a consacré le premier billet de sa (jeune) existence à ce marché public dès le 8 septembre 2008, revient sur cette question qui amène les médias à développer de nombreuses incompréhensions et approximations. Il s'agit aussi de mettre en perspective ce qui ressemble de plus en plus, au delà des stipulations contestées du marché, à un marché de dupes.
Marché de dupes auquel participe pleinement Forum réfugiés, seule personne morale qui dans l'immédiat a ouvertement manifesté son intention de répondre à l'appel d'offre en concurrence avec la Cimade sur certains lots et qui l'assume (voir l'interview d'Olivier Brachet au nouvel obs et le communiqué de presse du 26 septembre ).
Cette clarification semble nécessaire au moment où la Cimade va sa réunir en assemblée générale extraordinaire le 4 octobre pour décider "de la façon dont elle poursuivra son action auprès des étrangers retenus et éloignés"(v. le communiqué de presse du 25 septembre 2008).
Les postures possibles de la Cimade
Lors de cette assemblée générale, schématiquement, la Cimade peut décider de 3 attitudes différentes:
1. compte tenu du coup de Jarnac du ministre de l'Immigration, elle estime que les conditions posées ne lui permettent pas de continuer sa mission de solidarité active auprès des étrangers reconduits en toute liberté et indépendance et que par conséquent elle ne répond pas à l'appel d'offre (renoncer).
2. soit, compte tenu des assurances données par le ministère et de la solidarité apportée par la majeure partie des associations du secteur - à l'exception de Forum réfugié - elle décide de répondre à l'appel d'offre pour l'ensemble des 8 lots dans les conditions définies par le ministère. Elle veillera donc à respecter les stipulations en mettant en sourdines certaines de ses actions au soutien des étrangers et en muselant ses critiques dans ses communiqués et rapports (s'incliner)
Le risque pour la Cimade est d'être réduit à une simple fonction de gestionnaire ou de collaborateur des pouvoirs publics, comme le font la plupart des gestionnaires en Centre d'accueil des demandeurs d'asile.
3. soit, faisant fi des chausses trappes posés par le ministère, elle répond à l'appel d'offres pour tous les lots dans le cadre d'un groupement d'associations (par exemple avec le Secours catholique) et en participant à une coordination associative au niveau national (de type Anafé) - y compris avec Forum réfugiés - pour uniformiser la défense des étrangers. Elle continue alors à adopter la même attitude qu'auparavant de solidarité active aux étrangers retenus et de témoignages et dénonciation de leurs conditions de détention dans des rapports et communiqués de presse (résister).
Même si Forum réfugié emporte un ou deux lots, cette dernière attitude semble tenable dans la mesure où avec l'augmentation du nombre de places en rétention, la Cimade peut espérer maintenir un budget à peu près équivalent et limiter le nombre d'emplois perdus. Elle court néanmoins le risque qu'à tout moment, agacé par son attitude, le ministère résilie le marché.
Le ministère assumera-t-il le risque politique d'une telle décision qui aura pour effet de priver d'assistance les étrangers dans la majeure partie des centres de rétention?
La rébellion d'un enfant illégitime
Si la Cimade ne répondait à aucun des 8 lots, elle devrait vraisemblablement licencier plus de 80 salariés et perdrait une part substantielle de son budget. Mais dans le même temps aucune autre association - pas même Forum réfugié - n'a actuellement l'envergure pour se substituer dès le 1er janvier 2009 dans l'ensemble des centres de rétention aux intervenants de la Cimade. Forum réfugié est sans doute capable d'assurer la prestation sur le lot n°3 (Lyon-Marseille-Nice), taillé sur mesure. Eventuellement l'association lyonnaise pourrait assurer un ou deux autres lots, mais on la voit mal embaucher au 1er janvier 2009 80 ETP dans toute la France avec une augmentation de budget de 5 à 6 millions d'euros.
Comme le souligne le directeur de Forum réfugiés, Olivier Brachet, lui-même:
"De toute façon, tout le monde sait qu'il n'y a pas beaucoup d'associations capables de répondre à cet appel d'offre" (entretien au Nouvel obs., 25 septembre).
D'ailleurs dans un communiqué du 26 septembre, Forum réfugiés concède que l'association lyonnaise " répond pour une partie des huit lots que comporte l'appel".
Pour se faire, elle a d'ores et déjà constitué "une équipe composée de salariés et d'administrateurs [au sein d'un] comité de pilotage et travaille sur la réponse."
Il est précisé qu' "il s'agit de transposer les valeurs de Forum réfugiés en termes d'accompagnement et d'aide à la personne au sein de la rétention administrative" - autrement dit l'affrontement avec l'administration et le recours contentieux dans la défense individuelle est la dernière possibilité envisagée.
Forum motive sa position par le fait :
"qu'il existait un risque que les retenus ne soient plus accompagnés à partir de cette date par des associations spécialisées dans la défense des droits des étrangers".
Le même argument a été avancé par les représentants de Forum réfugié (Olivier Brachet ne s'était pas déplacé) lors d'une réunion interassociative le 25 septembre 2008 à l'initiative d'Amnesty, de l'Anafé, du Comede ou encore de l'Acat (voir Libération, 24 septembre 2008). C'est une auto-justification a posteriori peu crédible puisque Forum réfugiés avait fait savoir au ministère sa participation à l'appel d'offre bien avant que la Cimade menace de se retirer de rétention. La décision de répondre à l'appel d'offre a été formellement prise par son Conseil d'administration dès le 4 septembre 2008 et le ministère a pris des contacts avec l'association dès... octobre 2007.
D'autant plus que si Forum accueille ou accompagne socialement les étrangers, particulièrement les réfugiés, la défense juridique n'est pas son fort. Du reste, dans son interview Olivier Brachet ne cache pas son arrière-pensée: augmenter les parts de marché de Forum réfugié dans ce domaine ("Et puis, cela n'aura échappé à personne, nous ne sommes plus dans un régime étatiste. Nous sommes désormais passés dans un système de marché").
Est-ce vraiment rassurant pour les étrangers d'être soumis aux lois du marché pour leur défense par des associations qui n'ont pas en principe de but lucratif?
En arrière fond, l'association rhodanienne n'est peut-être pas mécontente de jouer le rôle de "vilain petit canard" en sa qualité d'enfant illégitime de la Cimade (elle est née en 1982 à l'initiative de certains dissidents de la Cimade Lyon). Il apparaît dès lors paradoxal pour Forum refugié d'appeler dans "l'intérêt des retenus" à "une réponse associative coordonnée"...
Brice Hortefeux lâche du lest
Au regard de ses récentes prises de position, dans le contexte d'une polémique qui se développe parallèlement à la mobilisation contre le fichier Edvige, le ministre de l'Immigration semble prendre au sérieux - et même craindre politiquement - la menace du retrait total de la Cimade puisque manifestement il a lâché du lest sur un certain nombre de points.
Dans la mesure où aucune autre association que Forum ne semble prête à se jeter dans la fosse aux lions dans les conditions stipulées dans l'appel d'offre, le ministre semble prêt à lâcher du lest.
Il ressort en effet de la lettre du 25 septembre 2008 adressée à la CFDA et du communiqué de la Cimade que le ministre a indiqué:
- que le code des marchés publics ( article 51) permet "à deux ou plusieurs personnes morales candidates de présenter une offre sous forme de groupement" - dès lors que la prestation est assurée par une seule personne morale par centre conformément aux dispositions de l'article R.553-14 du CESEDA.
Or, depuis plusieurs mois, la Cimade a constamment indiqué qu'elle était disposée à assurer la mission de défense des étrangers en rétention au plan national dans la cadre d'un groupement d'associations. Elle avait d'ailleurs d'ores et déjà mis en oeuvre, par le biais de détachements, une collaboration avec le secours catholique.
Fin juillet, le ministère écartait cette possibilité de groupement.
Il faut néanmoins, selon l'article 51, que l'offre du groupement permette le "respect des règles relatives à la concurrence". Autrement dit, on ne peut constituer un groupement avec l'ensemble des soumissionnaires. La Cimade peut donc soumissionner dans le cadre d'un groupement conjoint avec, par exemple, le Secours catholique.
Mais elle ne peut dans la cadre d'un marché public obtenir du ministre la mise en oeuvre d'un groupement commun à l'ensemble des candidats potentiels.
Même l'Ordre de Malte et Forum réfugiés ont participé à la réunion interassociative du 25 septembre et l'association lyonnaise annonce :
qu'elle prendra "part à toute initiative de coordination nationale des associations qui seront présentes dans les centres, et ce afin de faire sentir les effets de la diversité qui renforcera l'analyse de la situation dans les CRA".
On soulignera que pour les associations habilitées à visiter les zones d'attente, il existe une réunion annuelle organisée par l'Anafé et une recontre annuelle au ministère avec l'ensemble des représentants des associations et administrations intervenantes.
Comme le souligne Patrick Delouvin d'Amnesty international, "l'émiettement de la mission rende impossible toute analyse et vision d'ensemble sur la rétention". Le risque est de passer " d'une mission nationale cohérente" à "une mise en concurrence de prestataires".
- sur la clause de neutralité et de confidentialité, le ministre de l'Immigration estime, non sans ambiguité, dans sa lettre à la CFDA, que :
- la première n'empêche pas la personne morale "si elle le souhaite" d'exprimer "une opinion, des critiques et des propositions dans ses publications et ses communications";
- et, s'agissant de la seconde, qu'il est "également possible de rendre publiques des informations sur la situation individuelle d'un étranger retenu, sous réserve bien entendu d'avoir recueilli l'accord de l'intéressé à cette fin".
Dans son communiqué la Cimade relève que le ministre doit apporter ces clarifications "par écrit". Il l'a d'ailleurs d'ores et déjà fait auprès de la Cfda dans la lettre du 25.
Pourtant, même écrit noir sur blanc par le ministre, un tel engagement reste un marché de dupe. Il faudrait en effet être naïf de se fier à cette lettre. Même si elle constitue un engagement politique, elle ne peut en aucun cas tenir lieu d'engagement contractuel.
Or, il résulte sans aucune ambiguité possible du cahier des clauses techniques particulières que les informations concernant la prestation d'information "ne peuvent-il être communiqués, en tout ou artie, dans le cadre des rapports et communications propres à la personne morale" et que le soumissionnaire s'engae "à faire preuve de discrétion et à ne pas divulguer en sa qualité de prestataire del'Etat, des faits ou des informations sur les situations individuelles qu'il aura à connaître".
En cas de non-respect de cette clause de confidentialité, le ministère pourra rompre le marché aux torts du titulaire, c'est-à-dire sans indemnité.
"S oumis à une stricte neutralité, certains intervenants hésitent à parler, de peur de perdre leur marché", comme le souligne Patrick Delouvin à Libé.
Si Brice Hortefeux entend réellement donner à la Cimade et aux autres personnes morales soumissionnaires des gages quant à la possibilité de publier librement des rapports et de témoigner des situations individuelles des personnes maintenues, la seule solution juridiquement viable est d'annuler le premier appel d'offres et de publier un nouvel appel d'offres avec un nouveau cahier des clauses techniques particulières.
D'ailleurs c'est Guillaume Larrivé, membre du cabinet d'Hortefeux, qui exprime le mieux la duplicité du discours du ministère. Questionné par Florence Aubenas pour le Nouvel Obs ( 25 septembre, "sans papiers et sans témoins"), il estime que "si une association veut publier un rapport, elle pourra le faire". Mais à la question de savoir s'il s'agira d'une raison susceptible de rompre le contrat, il répond:
"Cela dépend de ce que dira le rapport."...Voilà la Cimade et les autres organisations averties...
Avec ou contre l'Etat sarkozyenEn réalité, ce qu'entendait briser le ministre de l'Immigration par ces stipulations léonines, c'est l'alliance quotidienne entre les intervenants de la Cimade et les militants du Réseau éducation sans frontière. Depuis la naissance et le développement de ce réseau, la Cimade informe systématiquement RESF de la présence d'enfants ou de parents d'enfants scolarisés en rétention. Cela provoque immanquablement des mobilisations locales devant les centres de rétention, les préfectures, les commissariats ou au sein des aéroports et des milliers de mails envoyés directement sur les membres des cabinet du ministre ou des préfets.
L'intégration de ces clauses - qui ont "stupéfié" la Cimade - n'est donc pas due au hasard et relève d'une stratégie réfléchie du ministère de l'Immigration, conforme à l'esprit de l'Etat sarkozyen, pour briser la résistance de la société civile et les soutiens civiques aux sans-papiers.
Comme l'écrit la Cimade dans son communiqué:
"le nouveau dispositif constitue la négation du rôle de la société civile et de sa fonction essentielle"
Pierre Henry, directeur de FTDA, souligne aussi dans un entretien à Florence Aubenas du Nouvel Obs que :
l'éviction de la Cimade, cette "association-symbole, sérieuse et reconnue, est une tentative de mise au pas du secteur associatif ".
De même, un policier explique à la même journaliste, dans cet article remarquable:
"Dans l'imaginaire des politiques, s'en prendre à la Cimade fait clairement partie des représailles contre les protestataires. Les gouvernants ne sont plus dans la logique classique où cohabitent pouvoirs et contre-pouvoirs. Aujourd'hui, l'Etat dit : avec moi ou contre moi."En résumé, comme l'a écrit le Gisti dans un communiqué:
"Silence, on enferme".
Une libre concurrence faussée
C'est également un marché de dupes dans la mesure où les dés sont pipés. Il est fort à craindre que la décision qui sera prise par la commission d'appel d'offre ne relèvera pas de critères purement techniques mais sera influencée par des considérations politiques.
Depuis octobre 2007, le ministère de l'Immigration a pris des contacts avec Forum réfugiés, l'Ordre de Malte, la Croix rouge française ou plus récemment avec des organismes parapublic comme l'Adoma (ex-Sonacotra) ou des gestionnaires de foyer comme l'Aftam ou France Terre d'asile ou encore des cabinets d'avocats.
Forum réfugiés a une âme de Brutus et y va la fleur au fusil...
L'Ordre de Malte, l' Aftam et l' Assfam hésitent mais elles ont pris part à la réunion interassociative du 25 septembre et devraient être signataires d'un communiqué commun avec les autres associations présentes.mais ne signeront pas le communiqué commun. [MAJ l'Ordre de Malte estime avoir eu directement auprès du ministère suffisamment de précisions et éclaircissement et renonce à participer à une démarche collective d'interrogation du Ministère. Est-ce à dire qu'elle a l'intention de répondre à l'appel d'offre?]
Paradoxalement, les deux rencontres entre la Cimade et le ministère, les engagements pris par ce dernier par écrit envers l'association oecuménique et la rencontre organisée entre l'ensemble des soumissionnaires potentiels sont autant d'élements faussant le jeu de la libre concurrence sur ce marché - à supposer qu'on puisse considérer que la défense des étrangers en rétention puisse réellement constituer un marché soumis aux règles libérales et ce dans le respect de la défense des droits de l'homme.
D'autant plus qu'il serait étonnant que la commission d'appel d'offre n'attribue pas au moins un lot à Forum réfugié - ou à un autre soumissionnaire.
Compte tenu des pressions du ministre, on imagine mal que cela puisse aboutir à un statut quo et que la Cimade soit maintenue comme seule association présente dans l'ensemble des centres de rétention en emportant les 8 lots et que recommence donc le "face à face" entre la Cimade et le ministère sur les conditions de rétention.
A-t-on déjà vu un ministre démarcher pendant plusieurs mois d'autres prestataires et déclarer à propos de l'un des candidats à un appel d'offre ?
"Chaque année, cette association reçoit près de 4 millions d'euros, financés sur le budget du ministère (....) Je sais que la Cimade fait tout pour utiliser au mieux les moyens mis à sa disposition (...) mais je le dis tout aussi clairement : je crois qu'elle a aujourd'hui du mal à faire face à l'ampleur de sa tâche. (...)'".
Cela confirme que le marché public n'est vraiment pas la forme appropriée pour assurer la défense des étrangers en rétention.
Comme le note le directeur de France Terre d'Asile: "La position du ministre disant qu'il n'aime pas les monopoles me paraît, appliquée au secteur associatif, inappropriée".
Il s'agit d'autant plus d'un marché de dupes que, contrairement à ce que tous les acteurs du dossier semblent avoir accepté - y compris la Cimade -, il n'y avait aucune obligation pour l'Etat de recourir à un marché public en 2005 pour assurer cette mission. Nous en ferons la démonstration dans un billet à venir.
Un affaiblissement de la défense des étrangers
Pour assurer une défense effective des étrangers reconduits, dans le cadre de l'exercice libéral de la profession d'avocat, il faudrait dissocier entre :
- d'une part l'assistance juridique qui devrait être assurée par l'ensemble des avocats du barreau dans lequel se situe le centre de rétention. Mais pour cela il faudrait que les barreaux se donnent les moyens d'assurer réellement des permanences dans le centres de rétention, ainsi que dans les zones d'attente, 7 jours sur 7.- d'autre part la reconnaissance d'un "droit de regard", comme celui de l'Anafé et des autres associations habilitées. Beaucoup plus d'associations que la Cimade doivent pouvoir intervenir en rétention afin d'assurer une permanence à côté du regard ponctuel assuré par les parlementaires, les procureurs, le contrôleur général des lieux de privation de liberté ou encore le comité de prévention de la torture.
Seule cette solution permettrait réellement d'assurer d'une part l'exercice "effectif" de leurs droits par les étrangers retenus, comme l'exige l'article R.553-14 du CESEDA, et d'autre part d'effectuer "le choix du pluralisme et de la transparence", comme prétend le ministère de l'Immigration dans sa lettre à la CFDA.
Ce droit de regard, au sens foucauldien (c'est-à-dire qu'aucun lieu ne doit échapper au contrôle citoyen, même si on désapprouve leur existence), sur l'ensemble des lieux d'enfermement des étrangers devrait d'ailleurs être assuré au niveau européen, surtout dans la perspective de la mise en oeuvre de la directive "retour".
Mais dans l'immédiat, il me paraît surtout urgent et important d'apporter un soutien aux salariés de la Cimade. Nombre d'entre eux sont d'anciens étudiants formés dans les master juridiques de droit de l'homme et/ou des militants associatifs. La Cimade devra, si elle ne répond pas à l'appel d'offre, licencier 80 salariés et si elle y répond perdre plusieurs lots et donc des dizaines d'emplois. Certes, il n'est pas impossible qu'une partie d'entre eux s'ils le souhaitent -ou parce qu'ils n'auront pas le choix pour vivre -soient "repris" par les nouveaux prestataires ayant emporté les lots.
D'ailleurs il ne faudrait pas oublier que lors de la fermeture du hangar de Sangatte, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait promis aux salariés de la Croix rouge qu'ils seraient réembauchés. C'est à ce moment là qu'il a conclu une convention avec la Croix rouge pour qu'elle soit en zone d'attente et qu'elle accompagne les étrangers et les escortes policières dans certains vols.
Mais pourront-ils exercer leur action avec la même marge de manoeuvre et surtout dans la même perspective de soutien et de défense inconditionnelle des étrangers retenus?
Le ministre de l'Immigration affirme dans son courrier à la CFDA que les "dispositions [sic: stipulations] du cahier des clauses techniques particulières n'empêche nullement le titulaire du marché d'avoir des communications avec les proches d'un étranger retenu afin de d'assurer sa mission" et qu'il "loisible à la personne morale d'aider un étranger retenu à former un recours contentieux". Mais pourtant l'appel d'offre n'impose nullement aux futurs prestataires d'assurer ces prestations.
Certes, l'article R.553-14 du CESEDA prévoit que la prestation de la personne morale intervenante vise à assurer l'effectivité des droits des personnes retenues. Mais les exigences du cahier des clauses techniques particulières sont bien en deça. Il ne prévoit qu'une prestation "d'information" consistant en la tenue d'une "permanence" et la "diffusion" d'une documentation.
Dans ce cadre contractuel, un prestataire qui se contenterait de "distribuer un A4" réalisé par le ministère et de tenir une simple permanence d'information sur leurs droits sans développer aucune action gracieuse ou contentieuse respecterait parfaitement ses obligations. Ainsi, pour emporter des lots à un coût moindre que celui de la Cimade, un soumissionnaire pourrait faire des économies substantielles en se contentant de cette prestation a minima.
Et ce d'autant plus que dans les critères d'attribution des lots, c'est l'offre économiquement la plus avantageuse qui sera retenue. La qualité technique de l'équipe dans le domaine juridique ne représente que 15% des critères de pondération!
Sans papiers et sans voix
Il suffit d'ailleurs de voir ce que les candidats sollicités par le ministre sont prêts à faire pour se rendre compte de cet affaiblissement: Toujours selon l'article "Sans-papiers et sans témoins" de Florence Aubenas:
Pour l'Aftam: "Nous n'avons pas l'habitude de contester ce que dit le gouvernement : nous sommes des gestionnaires purs et durs. On met les textes en musique, point à la ligne. Nous proposerons sans doute l'ouverture d'une permanence d'information sur les sites où sera distribuée la documentation fournie par le ministère.", explique Jocelyn Baillez, de l'Aftam, spécialisée dans l'hébergement social.
Pour l'Ordre de Malte: "Nous avons de bonnes relations avec les pouvoirs publics, quelle que soit leur couleur politique, souligne Alain de Tonquedec. Si nous postulons, nous ne pensons pas mettre le juridique en avant, plutôt l'humanitaire pour que les gens rentrent chez eux dans des conditions décentes et avec dignité.",.
Depuis 1999, l'ordre travaille avec des déboutés du droit d'asile préparant leur... retour au pays.
D'ailleurs tout le monde semble avoir oublié que l'Anaem tient déjà ce genre de permanence du même acabit en rétention.
Et on voit mal comment une organisation qui se glorifie sur son site d'avoir répondu à "l'appel" du pape pour organiser sa venue en France pourrait assurer une mission en rétention en toute "neutralité".
A moins que ça soit cela la laïcité "positive" (sic) prônée à longueur de discours homélie par le président de la République?
Pour Olivier Brachet de Forum Réfugiés
" Je ne soutiens pas le gouvernement actuel mais je ne pense pas non plus qu'il s'agisse d'un régime nazi. Nous ne postulons pas avec l'état d'esprit de dire : les expulsions et la rétention sont anormales. Notre position serait plutôt comment faire des expulsions respectueuses"
On est loin de la défense des étrangers reconduits de la Cimade...
Comme le fait remarquer Me Marc-Antoine Lévy, avocat du barreau de l'Essonne spécialisé en droit des étrangers, dans le même entretien au Nouvel obs:
"faire barrage [à la Cimade] est une manière de tarir les audiences devant les magistrats. Je serais curieux de voir quel sera désormais le taux de recours quand la Cimade ne s'en occupera plus. En tout cas, c'est le noyau dur des droits de l'homme qui est attaqué".
Autrement dit, il n'est pas certain que le marché public de la rétention soit conforme aux exigences de l'article R.553-14 du CESEDA visant à rendre "effectifs" les droits des étrangers retenus dès lors que la prestation d'information se limitera à cela.
Ce moyen pourrait être utilement soulevé, avec d'autres moyens formels relatifs à l'avis public d'appel à la concurrence publié le 2 septembre, dans le cadre d'un référé précontractuel. En revanche, le décret du 22 août 2008 (qui a modifié l'article 553-14) ne semble pas en lui-même contestable et les associations se trompent de cible lorsqu'elles revendiquent le retrait de ce texte.
En soi la possibilité pour plusieurs personnes morales d'intervenir en rétention n'est pas critiquable. Face à cet argument, le ministre de l'immigration a beau jeu de déclarer que :
"demain, la mission [d'accueil, d'information et de soutien, ndlr] ne changera pas mais sera confiée, en toute transparence, à plusieurs associations" (entretien au nouvel obs le 25 septembre 2008). "Il ne s'agit pas de rogner les droits des étrangers au sein des CRA. Bien au contraire, la réforme engagée leur permettra, plus facilement qu'aujourd'hui, de bénéficier d'informations et de conseils juridiques".En revanche, comme nous venons d'en faire la démonstration, il est mensonger de déclarer que :
Cela est faux car tout est fait pour abaisser la qualité de la défense des étrangers en rétention .
Et surtout pour que cela se fasse en silence... derrière les murs.
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Voir l'ensemble des articles de presse réunis sur le site de FTDA.
L'association exprime "sa solidarité" avec la Cimade même si Pierre Henry n'était pas présent à la réunion interassociative.
Voir:
Au total, 81 organisations, syndicats et partis (y compris le PS!) ont d'ores et déjà signé l'appel lancé par le Gisti le 11 septembre "Etrangers: Silence on enferme " (qui n'est pas une pétition contrairement à ce qu'écrit de nombreux médias).
Plusieurs associations membres de la CFDA ont adressé une lettre au ministre de l'Immigration sur la situation spécifique des demandeurs d'asile en rétention.
Voir aussi "Sans papiers et sans témoins" de Florence Aubenas.
Voir l'entretien à Réforme de Brice Hortefeux publié sur le site du Ministère de l'Immigration :
"Je ne sais pas quelles seront les associations candidates et ne veux évidemment pas préjuger du choix qui sera fait dans le cadre de la procédure de marchés publics. Mais je pose une question : si demain, par exemple, le Secours catholique, Amnesty International, Forum Réfugiés, l'ordre de Malte, France Terre d'Asile, le Gisti ou la Croix-Rouge entrent dans les CRA aux côtés de la Cimade, à qui fera-ton croire que les droits des étrangers ne seront pas respectés ?"
"J'ajoute que, contrairement à ce que j'ai pu lire, les associations qui seront présentes dans les CRA ne seront évidemment pas mises au secret ! La clause de confidentialité et de neutralité qui figure dans l'appel d'offres est une clause générale prévue par le droit des marchés publics. Concrètement, lorsqu'une association aura connaissance de la situation individuelle d'un étranger retenu en CRA, elle pourra, naturellement, communiquer avec ses proches, l'aider à préparer un recours contentieux et rendre publique toute information - à condition, bien sûr, que l'intéressé ait donné son accord. De même, il est bien évident que les associations présentes dans les CRA pourront toujours, si telle est leur intention, diffuser des rapports publics. J'ajoute que rien n'interdit aux différentes associations, si elles le souhaitent, d'écrire un rapport commun rendant compte de leur mission à l'opinion publique."
Voir l'entretien de Laurent Giovannoni de la Cimade au Contrejournal :
"Alors que les associations ont cette capacité de maîtriser l'ensemble du dispositif, par la connaissance des pratiques préfectorales, policières ou judiciaires, le décret du 23 août et l'appel d'offres nous font craindre la disparition de l'expertise, par l'introduction d'une concurrence absurde en cette matière entre les acteurs (les" personnes morales "). Le rôle de contrepoids qui nous était dévolu sera singulièrement affaibli. Quelle capacité de discussion avec les administrations locales ou centrales peut-on avoir si chacun ne voit qu'un morceau du dispositif ? Ces nouvelles dispositions vont affecter la capacité de témoigner ou de contester des décisions émanant de pouvoirs locaux."