Décidément je suis fan.
Philippe Yolka, professeur de droit public à l'Université de Grenoble, signe dans l' AJDA de cette semaine (n°32/ 2009 29 septembre 2008, p.1744) une somptueuse et succulente analyse sur "le tourisme de montagne entre chien et loup".
Je dois avouer que jusque là mon intérêt pour les " patou" était très limité - même aux temps enfantins et insouciants de Belle et Sébastien.
J'avais bien lu avec distraction "Le chien dans l'espace public municipal" ( Les Petites affiches, 12 et 13 août 1993) par Paul Cassia. Le professeur Jean-Marie Pontier avait adroitement utilisé Demain les chiens de Clifford D. Simak dans un édito à propos de la loi sur les pitbulls banlieusards ( AJDA 2008, p. 217).
MAJ: voir aussi dans l'AJDroitCanin de la semaine suivante "De la protection des personnes contre les chiens dangereux," par Alexis Frank ( AJDA 2008, p.1821).
Il cite d'autres références canines (Y. Luchaire, "Le maire, Félix et Médor", RGCT, 1999, n° 4, p. 12; Y. Jégouzo, "La simplification fait rage", AJDA 2007. 2001)
Mais ma connaissance du droit canin s'arrêtait là - préférant, vous l'aurez compris, le droit des êtres humains. Démonstration est désormais faite que la divagation alpestre des patous est un objet juridique fascinant - en tout cas lorsque le professeur Yolka rédige.
Philippe Yolka avait déjà éveillé notre curiosité sur le "nomade et le hérisson" ( JCP A n° 19, 7 Mai 2007, act. 41) avec cette accroche somptueuse:
"Longtemps la vox populi tint les nomades pour des voleurs de poules et des mangeurs de hérissons. Les choses ont heureusement changé : exit les nomades, place aux " gens du voyage " (qui pérégrinent de moins en moins) ; plus de gallinacés en liberté, ils sont élevés en batterie ; enfin, Erinaceus europaeus se fait rare par les taillis (mais il n'a pas encore disparu).Sur un standard de Duke Ellington (Caravan , bien sûr), l'actualité conduit à s'arrêter devant une question qui hérisse maints élus : celle du stationnement illégal des nomades - persistons à les appeler comme cela - et de la procédure d'expulsion consécutive".
Le membre du Centre du droit de la montagne nous avait aussi aussi éclairé sur "Le statut des pistes de ski : nouveaux développements" ( JCP A n° 46, 13 Novembre 2006, 1264) avec un plan digne d'un présentateur météo:
"brumes d'altitude / opportune éclaircie"
et avec - déjà - une conclusion glissante:
"S'en écarter entraînerait des conséquences embarrassantes (...); autrement dit, à engager ses spatules sur une pente glissante ".
Il nous avait encore régalé avec son "Don Quichotte : une suite judiciaire" ( JCP A n° 29, 16 Juillet 2007, 2188):
"Nul n'ignore que - efficacement mise en scène - l'affaire des tentes dressées dans les espaces publics de grandes agglomérations à l'initiative d'une association (" Les enfants de Don Quichotte ") pendant l'hiver 2006-2007 devait accélérer, voire déclencher, l'adoption de la loi instituant le droit au logement opposable (...)À peine ternipar les débordements (si l'on peut dire) du canal Saint-Martin, cet épisode présente (...) [l'intérêt] d'illustrer certaines difficultés dans la répartition des compétences en matière d'expulsion des occupants irréguliers du domaine public. Car il s'est bien sûr trouvé des édiles ulcérés, saisissant les juridictions (...) pour déloger les gueux. Un dossier vint en appel, voici peu, au Parlement d'Aix (fléau de Provence, avec mistral et Durance, d'après un vieux dicton qu'iceux durent méditer). Il n'est pas impossible, le lecteur se rassure, d'en tirer quelques leçons.Juste avant le décès de l'abbé Pierre, un juge civil des référés - saisi d'une demande d'évacuation visant des campeurs installés sur la place de la Rotonde, dans la ville de Mirabeau - avait rejeté la requête de la municipalité aixoise. Quichotte ne suggérait-il pas à Sancho de laisser plier la verge de la justice sous le poids de la miséricorde (chap. XLII) ?"
Et j'en passe - sûrement des meilleures.
Ah si - tout de même - mon préféré (jusqu'ici) qui était vaguement dans le prolongement d'un billet ( d'un autre virtuose de la plume: "La guerre des radars (un épilogue bizarre)" JCP A n° 6, 4 Février 2008, act. 10) évoque:
"La " guerre des radars " (on parle de ces photomatons routiers, qui tendent à se multiplier) a vu dans les derniers temps quelques départements ingrats tenter de ponctionner l'État à raison des équipements installés sur la voirie qu'il leur avait gracieusement offerte (...)Fiat lux (dirait un dévot de l'auto) ! Du Conseil d'État a jailli la lumière, sinon le flash (...) Il faut rendre grâce aux juges du Palais-Royal d'avoir sorti de leur chapeau à cornes, pour découvrir telle opportune issue, un raisonnement aussi simple qu'ingénieux. Si les dispositifs en cause préoccupent les automobilistes et occupent les petits hommes bleus, l'arrêt précise qu'ils n'occupent pas en revanche la voirie ni ne l'utilisent privativement. Pourquoi ? Parce qu'ils y sont intégrés. Les heureux propriétaires routiers ne sauraient dès lors faire passer l'État à la caisse. Il suffisait d'y penser : c'est l'oeuf de Colomb.Las ! L'oeuf est brouillé. (...). Aporie redoutable : les radars sont dans l'impasse !"
Allez je ne résiste à recopier mes passages préférés de cette contribution à la connaissance des patous (en espérant qu'ils sont suffisamment courts pour respecter le droit de propriété intellectuelle de Dalloz):
"Alors que la puissance publique se mêle de protéger l'homme contre son meilleur ami, l'insécurité canine - d'habitude citadine - rebondit loin de l'urbs. (...) Il ya maintenant des patous partout; ce qui fait grincer bien des dents. Certaines excursions laissent, en effet, des souvenirs impérissables. (...)Qu'un touriste ingénu - indien, martien voire (plus exotique) parisien - ait l'idée saugrenue de musarder en certains pâturages avec sa progéniture: sans verser dans la psychose, les rêveries du promeneur tête-en-l'air pourraient rapidement virer au cauchemar. (...)Est-ce la faute à Voltaire ou la faute à Rousseau? la faute à la bergère, ou biens aux "écolos"? On aborde un terrain - à tout le moins - glissant.Pour les uns, tout vient du loup (....). Plus de loup, plus de patous; plus de patous, plus de problèmes! (...) Pour les autres, le grand méchant loup a l'échine vraiment large (...) On se gardera prudemment de trancher entre ces deux points de vue, de peur d'être mordu (par le chien ou le loup).Quant au programme de protection (...), il aboutit à augmenter les risques d'accident en semantl es patous à tout vent.
Le candide s'étonnera aussi d'un discours officiel aux accents de double langage, qui prétend lutter contre les pitbulls banlieusards tout en subventionnant les molosses savoyards. (...)Il y a donc du rififi dans certains alpages (...) la symphonie pastorale tourne à la cacophonie".
Il m'a été donné, à l'occasion d'un colloque à Grenoble sur l'école critique du droit, organisé par Xavier Dupré de Boulois de devoir répondre à une question du Professeur Yolka. J'avoue être resté sans voix...
J'ai ensuite vécu un grand moment d'impressionnisme juridique: entendre le professeur
Ces professeurs donnent à leurs étudiants et leurs collègues, avec leur humour et leurs aphorismes, le goût du droit. Peut-être moins, dorénavant, des promenades alpestres....