Pour
célébrer les 80 ans de Pierre Garnier, Cécile Odartchenko, auteure déjà d’une
monographie consacrée à ce poète, a entrepris l’édition de ses Œuvres poétiques complètes – l’adjectif
n’est pas mentionné –. Saluons cette courageuse initiative qui vient couronner
un poète dont le parcours, commencé dans les années 50 et riche de multiples
étapes, méritait assurément un tel hommage. Pierre Garnier pratique d’abord une
poésie « humaniste » s’inscrivant dans la mouvance de l’école de Rochefort qu’il fréquente
d’ailleurs, tout comme le groupe de
jeunes poètes réuni autour d’Elsa Triolet. Dès le début des années 60, il
commence à se rebeller contre cette poésie qu’il juge trop « enracinée
dans la langue », dénonçant son piétinement depuis le surréalisme, le
lettrisme, l’école de Rochefort… Dans un premier manifeste daté de 1962, il en
appelle à une poésie nouvelle visuelle et
phonique. Il s’agit pour lui de « sortir les mots de la phrase »,
les libérer de leur enfermement, de quitter le rythme par trop lancinant de la
poésie pour redonner toute sa puissance au mot, lui qui « n’existe qu’à
l’état sauvage » et que la phrase veut civiliser. Ce sera l’émergence de
la poésie « spatiale ». On pourrait y associer les adjectifs
« concrète », « objective », « mécanique ». Les
mots se trouvent isolés sur la page, une page, du reste, qui n’est plus leur
support exclusif. C’est le moyen technique
employé qui détermine la forme d’une poésie, affirme Pierre Garnier dans ce
premier manifeste. Le poète va même jusqu’à ne plus faire apparaître, dans
l’espace, que des lettres disposées selon des formes tenant davantage de
l’image que du texte. Le temps des livres
semble passé, annonce-t-il encore. Deux autres manifestes feront suite.
Pierre Garnier y défend une « unité de l’univers » par un
« verbe se créant de lui-même ». Il prône une poésie supranationale
qui aboutirait à une langue universelle. Ainsi, les œuvres ne seraient plus
traduites mais transmises visuellement. On mesure ici l’aspect révolutionnaire
de ces propositions. Pierre Garnier compte parmi les précurseurs, au rang
desquels on pourrait associer Henri Chopin et Bernard Heidsieck. Son héritage
trouve encore des prolongements aujourd’hui dans les expériences formelles des
nouvelles générations. Mais le spatialisme, dans sa raideur matérialiste, ne
suffira pas à combler ses attentes. Pierre Garnier reviendra vers une
« poésie linéaire épurée ». Préfacé par Lucien Wasselin, ce premier
volume couvre la période 1950-1968. Il n’intègre pas, est-il précisé, les
essais, textes théoriques, présentations, préfaces, articles, etc.…
En accompagnement de ce premier volume des Œuvres
poétiques, Cécile Odartchenko publie
encore deux ouvrages récents de Pierre
Garnier, une manière de célébrer comme il se doit « l’année Pierre
Garnier » nourrie, par ailleurs, de manifestations diverses. Je me
contenterai de citer ici les 2 titres en question : Adolescence et La vie est un
songe. Merci aux éditions des Vanneaux pour l’énergie déployée à
sauvegarder de l’oubli des poètes dont l’œuvre s’inscrit sans conteste dans
l’histoire de la poésie française. Notons, avant de conclure, l’originalité de
présentation – très diversifiée – dont bénéficient tous les ouvrages publiés
sous le label de ces éditions.
Contribution d’Alain Helissen
Pierre
Garnier
Œuvres poétiques, 1.
1950-1968 ;
Ed. des vanneaux
voir aussi sur Poezibao la présentation de ce livre