Le plan Paulson n’est pas encore pleinement adopté. Adopté il ne sera pas suffisant. Il pare au plus pressé qui est de casser l’engrenage dépressif des coupures de crédits entre banques, faute de confiance. Et plus le temps passe, plus l’économie “réelle” s’englue : chute du crédit = chute des ventes à crédit (auto, immobilier, électroménager, mobilier, etc.) = ralentissement économique pouvant aller jusqu’à la récession (le bâtiment et l’automobile fournissant les gros bataillons de l’emploi).
L’engrenage noir semble donc en place : chômage, réduction de voilure des entreprises, délocalisations, aides sociales qui aggravent les déficits, baisse de la monnaie, fuite des investisseurs vers la “qualité” (aujourd’hui les bons du Trésor des Etats solides et l’or)… L’Europe, vivant moins sur le crédit, est moins touchée mais elle est aussi moins réactive, trop bureaucratisée et vieillissante, empêtrée dans les dépenses “incompressibles”. Elle ira plus lentement à la crise, elle en sortira moins vite.
Mais les plans gouvernementaux en cours permettront probablement de faire face à la crise conjoncturelle de confiance, empêchant l’engrenage noir de 1929 qui a vu les épargnants retirer leur argent des banques, les acculant à la faillite en chaîne. Encore faut-il que cette conjoncture ne dégénère pas… Donc que le plan Paulson, amendé, serve de support. Sinon ? C’est le gouffre qui hante les esprits marqués par l’histoire et par les réactions psychologiques : la fermeture, l’effondrement, la grande dépression. Cette fois mondiale, tant la Chine et les émergents dépendent encore des pays développés pour leur propre développement, via les exportations et les réserves en devises. Si le plan Paulson, accepté aujourd’hui par le Sénat américain, devait être rejeté une nouvelle fois par les Représentants jeudi, nous aurions un vendredi noir - un krach.
Ce n’est pas l’hypothèse que je privilégie ce matin. Le rejet initial était venu de la tactique politicienne, qui croyait McCain à même de mieux rassurer que son adversaire en cas d’aggravation de la crise. Les sondages multiples dans les Etats américains montrent que ce n’est manifestement pas le cas. Cette fois les Républicains même les plus bornés peuvent sans doute le comprendre. Donc arrêter de jouer avec le feu.
Pour la suite, la re-réglementation paraît indispensable. Reste à savoir où et jusqu’où. Ce qui fera l’objet d’âpres négociations et prendra du temps. Comme d’habitude, l’Europe, en éternelle mineure lasse d’agir dans l’histoire, attendra que se dégage une tendance aux Etats-Unis pour faire pareil, tout en appelant aux incantations habituelles : négociation “internationale”, régulation “du FMI”, accords “de l’OMC” et autres palinodies de son impuissance à légiférer elle-même pour sa zone - pourtant la première puissance économique mondiale… sur le papier.
Selon le scénario probable, le nouveau paradigme économique qui va émerger sera très peu différent de l’ancien :
- Les actionnaires seront peut-être un peu moins favorisés - mais pas trop car ce sont eux qui financent les retraites aux Etats-Unis.
- Les patrons seront peut-être un peu plus encadrés pour leurs avantages financiers - mais pas trop car l’économie convalescente en aura besoin.
- Les salariés seront peut-être un peu plus protégés par des fonds mutuels et des portages inter-entreprise pour la retraite et la formation - mais pas tellement plus qu’aujourd’hui.
- L’Etat sera peut-être un peu plus vigilant via les institutions de régulation (Fed, SEC, principes comptables, agences de notation) - mais pas trop pour laisser l’initiative revigorer rapidement le système.
- Les pays émergents iront peut-être moins sur le dollar et diversifieront plus leurs avoirs, notamment par des prises de participations directes via les fonds souverains - mais pas tellement plus qu’aujourd’hui, tant le dollar reste la monnaie de référence internationale (en l’absence politique de l’UE) et tant la situation de crise pousse au protectionnisme national envers les fleurons de l’économie.
Reste que l’espérance de jours meilleurs peut s’alimenter aux points suivants :
- La société américaine reste incomparable pour se sortir des situations les plus tordues, on l’a constaté maintes fois depuis 1929; la résilience de son économie est bien plus forte qu’en Europe.
- La réflexion économique pour un système meilleur retrouve des couleurs et commence à alimenter un fonds de pensées tout à fait sympathique, duquel surgira probablement de nettes améliorations du compromis social, du rôle des politiques et de l’efficacité économique.
- La croissance mondiale subsiste grâce aux besoins de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique du sud; même si elle ralentit faute d’exporter autant, elle demeurera - car tout investissement dans un pays jeune fournit le retour sur capitaux employés le plus fort à long terme
- Les sociétés non-financières sont à des niveaux de cotation raisonnables, ce dont témoigne des investisseurs avisés comme Warren Buffet qui commence ses emplettes; reste qu’il a une vision long terme, il ne fait pas de coups de bourse pour revendre quelques mois plus tard. Les suiveurs doivent donc savoir à quoi s’attendre : on est “proche” du prix “raisonnable” compte-tenu des perspectives économiques long terme, mais une chute supplémentaire des cours ou une stagnation prolongée des perspectives reste possible.
Au total, moins de liquidité pour la bourse, moins de crédit pour l’économie, plus de règles pour les acteurs, un coup durable sur la tête des épargnants - rien de cela ne milite pour un rebond rapide ! La crise actuelle sera longue et difficile, le retour à meilleure fortune devrait prendre des années - et plus en Europe qu’aux Etats-Unis.
Gageons aussi que John Mc Cain ne sera pas le prochain Président des Etats-Unis et que cela pourrait être bénéfique à l’Amérique, même si Obama ne réalise pas tous les miracles qu’on attend de lui.
Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière ” et rédac chef du Blog Boursier écrit régulièrement sur Fugues.