Je me demandais la semaine dernière quels autres trésors pouvaient bien être cachés derrière la porte qui enferme les bouteilles d'alcool. D'ordinaire, seule la première rangée me suffit, comportant ce délicieux whisky douze ans d'âge, ainsi que le Kaluha, acheté à moindre prix il y a quelques mois, au Luxembourg. Je sais que le Martini derrière la liqueur de café, et que la bouteille de vodka se trouve tout au fond à droite. Cependant, le dépôt du premier m'empêche d'en boire. Quant au second biberon, il ne contient plus que de l'eau plate. Il fallait bien dissimuler la chute démesurée du liquide. Le côté gauche du compartiment m'est totalement inconnu. Explorons.
J'enlève une liqueur de prunes pour en découvrir une de fraises, déjà bien entamée. Voilà qui est beaucoup trop sucré, comme du sirop pur, et seul un certain arrière-goût sous-entend le faible degré d'éthanol. Pour être certain de mon jugement, j'en reprends une gorgée. Confirmation faite. Le sucre de canne ne m'intéresse évidemment pas et c'est à ce moment que j'aperçois la crème de cacao, que j'avais déjà eu l'occasion de goûter il y a quelques mois. J'en profite pour m'en servir un verre, pour plus tard. Et là, ce fut comme une révélation.
Voilà donc où se planquait le rhum artisanal dont j'avais bu quelques gorgées il y a des années. A l'époque, j'avais prétexté m'être intéressé aux livres de cuisines, en guise d'excuse pour avoir ouvert l'antre de la mort. Après tout, ce n'était qu'une expérience d'adolescent en quête de lui-même. J'enlève le capuchon en plastique, renifle. Bordel de dieu, voilà qui promet. Vaillant, j'en avale une lampée. Voilà, ça y est, enfin. C'est du feu que j'avale là, l'alcool, le vrai, celui qui vous brûle d'abord l'oesophage avant que vous ne le sentiez parcourir toute votre tuyauterie. Cela pique maintenant la langue et les lèvres et une sensation de chaleur immense envahit ma poitrine, remonte dans les épaules. Ce n'est certes pas assez pour que j'en secoue la tête, comme un chien qui s'ébroue après la pluie, mais tout de même.
C'était il y a une demie-heure. Je n'avais rien à perdre, après une séance masturbatoire qui m'avait plutôt laissé amer que soulagé. Au pire, l'on serait me signifier le lendemain matin que"ça pue l'alcool dans ta chambre", et je n'en avais strictement rien à foutre. J'oscille entre explosions d'énergie et manque de motivation criminel; je manque d'argent et mes efforts pour vaincre l'ennui et les angoisses se révèlent encore en de rares occasions totalement vains. Dans mon combat contre moi-même, il semble que je perde du terrain. Alors autant se noircir vaillamment. Au bout de quelques lampées, je me décide à ranger les bouteilles à leur place. Auparavant, j'avale un peu de gentiane, pour son amertume.
Je pourrais dire encore beaucoup, à l'heure qu'il est. Mes idées deviennent brouillons et je grille clopes sur clopes depuis tout à l'heure. Je n'ai plus qu'une envie: terminer mon verre de crème de cacao et aller m'enfoncer dans mon lit. La tête me tournera un peu, et j'aurai encore une fois l'envie de graver mille souhaits sur les murs de ma chambre. Des plaines bleues et infinies, saccades à la fois émerveillées et péremptoires. Je tente de ne pas penser au rhum qui aimerait bien sortir par là où il est entré. Rien ne changera tant que je ne parviendrai pas à faire certaines choses par moi-même. Je vous l'accorde, ça n'a plus aucun sens. Mais dîtes-moi ce qui en a, je vous répondrai que vous vous trompez certainement. Même le plaisir solitaire est absurde. Ca ne me retiendra cependant pas. Et merde, allons bon, il paraît que demain existe encore.