Beaucoup de bonnes choses dans le dernier numéro de Raids, en particulier sur l’Afghanistan : deux reportages « terrains » bien ficelés par Arnaud Beinat, au côté d’une OMLT française et à bord des Caracal ; un point pertinent de Jean-Marc Tanguy sur les matériels qui manquent à l’armée française et une description des opérations de la 24th MEU dans la province de Helmand, bien résumé par Emanuel Derville. Sans oublier un hommage pertinent aux soldats tombés à Uzbeen. On ressent d’ailleurs une vive émotion à contempler les visages de ces guerriers morts pour la France…
Mais il ressort à la lecture de tout cela, et au visionnage des divers reportages qu’on peut voir à la télévision sur le sujet, quelques questions sans réponse qui viennent parfois contrarier nos certitudes quant à la nécessité d’engager nos forces là-bas. Et ce n’est pas faire insulte à nos hommes que d’exprimer les points qui posent problème car, si l’on ne sait pas les résoudre, des heures amères sont à craindre.
- La question des fins et des moyens :
Maintes fois posé, jamais réellement résolu, le problème de la définition d’une fin accessible et, conséquemment, de l’injection de moyens adéquats apparaît de plus en plus criant. Raids revient avec justesse sur les moyens, mais ne s’aventure pas sur le terrain, plus politique, de l’EFR.
Or, il semblerait que la Coalition, une construction stratégique déjà fragile par nature, nage dans un flou artistique où la définition d’un EFR est soit stérilisée par une carence chronique et assumée de moyens ; soit flotte dans un éther si inatteignable que les personnels, sur le terrain, l’ont perdu de vue depuis longtemps et improvisent, chaque contingent à sa manière, pour continuer à fonctionner tant que faire se peut. Avec, comme objectif principal semble-t-il, d’assurer en priorité leur propre protection. Un souci totalement légitime, mais une force contre-insurrectionnelle qui se préoccupe plus de sa sécurité que de celle des populations où elle évolue est dans une voie, disons, peu productive sur le long terme.
En fait, le citoyen (mais peut-être est-il dans l’erreur ?) ressent comme une cassure nette entre des décideurs politiques qui fixent des objectifs flous ou inatteignables et, dans le même temps, refusent même le strict nécessaire à la force, et des autorités militaires dirigeant des contingents fort disparates à tous les niveaux (équipements, effectifs, motivations, etc.) et qui ont parfois comme objectif principal de limiter la casse…
Sans doute est-il temps d’organiser une discussion franche entres les différentes parties prenantes sur les tenants et les aboutissants de ce conflit, le partage de responsabilité des divers intervenants, la réunion pragmatique et efficiente des moyens nécessaires et, pourquoi pas, la nomination d’une direction militaire commune à tous.
- La place de la France dans la guerre d’Afghanistan :
On peut être fier de l’action des soldats hexagonaux, penser que la lutte contre des mouvements armés à l’idéologie détestable est nécessaire, refuser le défaitisme prôné par certains partisans du « sauve-qui-peut » généralisé et permanent, sans pour autant mettre sa conscience dans sa poche et taire indéfiniment les questions qui fâchent.
Allons-y donc franchement : le renforcement du contingent français n’est-il qu’une façon de complaire à, disons, l’allié américain en vue de réintégrer la structure de commandement de l’OTAN en position avantageuse ? Est-ce pour cela que nous envoyons plus de nos braves, mais au compte-gouttes et à contretemps, un drone par ci, une paire de mortiers par là ? L’EFR de nos autorités politiques est-il la victoire contre l’insurrection afghane ou bien de se mettre dans les petits papiers du caïd de la cour de récré ? Si c’est la première option qui est la bonne, alors nous nous y prenons étrangement. Si c’est la seconde, honte à nous de permettre cela…
Il serait temps, là aussi, de sortir des poncifs et autres banalités de propagande (qui tombent à plat, d’ailleurs) pour aborder enfin les vraies questions et, surtout, mettre nos moyens en rapport avec nos ambitions. On peut être un bon allié sans pour autant tout accepter. La France peut dire clairement qu’elle consent à prendre une plus grande part du travail à sa charge, mais que cet effort ne se fera pas sans une définition claire de nos buts de guerre.
Les Américains ne sont ni des ogres, ni des imbéciles et ils sont sortis désormais de ce messianisme destructeur qui régnait juste après le 11 septembre et qui leur a fait commettre tant d‘erreurs. Fondamentalement pragmatiques, ils accepteront de discuter si nous savons faire valoir ce que nous pouvons leur apporter. Un allié suiviste et secrètement pusillanime sur le plan politique, aussi dévouées que soient ses troupes sur le terrain, ne leur est, finalement, que d’un médiocre intérêt si les paroles ne se traduisent pas en acte.
La promotion du général Petraeus, un homme qui connaît bien la valeur de la pensée stratégique française dans la guerre contre-insurrectionnelle, peut être une bonne occasion d’établir avec notre allié historique un dialogue constructif et enrichissant sur l’avenir de cette guerre.
- L’Afghanisation, oui mais laquelle ?
On peut comprendre les efforts de la Coalition, et particulièrement des Français, dans ce domaine : former au plus vite une ANA et une police afghane efficace pour pallier à notre manque d’effectifs et leur faire mener leur propre lutte. Pourtant, et malgré tous les efforts de nos « mentors », le résultat est au mieux médiocre. Les plus optimistes disent qu’il reste un long chemin à parcourir…
Et si, en fait, nous prenions le problème à l’envers ? Et si, au lieu de dépenser des sommes astronomiques et une énergie folle à vouloir transformer les afghans en une armée à l’occidentale qu’ils ne seront probablement jamais, nous reconsidérions nos priorités ? A savoir : aider tout d’abord la population à augmenter son niveau de vie au lieu de vouloir à toutes forces leur distribuer des armes et les faire défiler au pas ?
Nous devons peut-être en revenir aux fondamentaux de la « petite guerre » : sortir des bunkers, vivre dans les villages, réparer les routes, construire des écoles, assurer la sécurité des afghans, et pas seulement la nôtre. Le guerrier local n’est pas, ne sera jamais un soldat selon le terme que nous donnons à ce mot. En voulant faire les choses trop vite, nous finissons par mal les faire.
Là encore, et au vu des résultats obtenus en presque sept ans de guerre, il est sans doute temps de repenser nos modes d’action sur le terrain. Donnons plus de responsabilités aux afghans, oui, mais ne leur donnons pas l’impression que nous voulons simplement les mettre à notre place pour faire la guerre. Former des soldats, c’est bien, mais former des cadres civils locaux, c’est mieux. Le mentoring ne peut pas, ne doit pas être que militaire. Rappelons-nous Galula lorsqu’il disait que les actions militaires ne doivent représenter que 20% de celles des forces contre-insurrectionnelles.
Suivons-nous ces bons conseils ? Ou, pressés de partir, nous contentons-nous de former, plus ou moins efficacement, de la chair à canon pour nous remplacer dans nos fortins ?
Beaucoup de questions, donc, sans même parler du caractère culturel et ethnique bien particulier de la région, du rôle trouble du Pakistan, de la nature protéiforme de l’insurrection (parler seulement de « taliban » pour désigner l’ensemble des groupes armés ne semble plus guère avoir de sens), et j’en oublie…
Mais, encore une fois, ce n’est pas rendre service à la force de notre engagement là-bas, une volonté qui se joue autant si ce n’est plus dans nos foyers que sur le terrain, que d’éluder trop longtemps et trop souvent ces interrogations sincères.