Quand j'étais petit, j'habitais l'avenue Ruchonnet et le balayeur de rue faisait partie, au même titre que le postier ou l'agent de police, du quartier. Il faut dire que ma maman y tenait le tabac-journaux et que la pause-café y était sacrée l'un succédant à l'autre pour s'envoyer, vite fait, un petit noir.
C'était l'époque où le balayeur de rue, qui ressemblait au sergent Garcia dans Zorro, poussait une énorme et pesante poubelle en fer, appelée tombereau, munie de grosses roues. Evidemment, vu le poids de l'engin et l'embonpoint de son pilote, ce dernier faisait de temps en temps une petite pause qu'il mettait à profit pour causer avec les gens du quartier ou pour remettre à l'ordre un gamin qui faisait une bêtise.
C'est ce que l'on appellerait aujourd'hui le " nettoyage urbain de proximité ".
Mais ce concept de proximité, s'il existe vaguement pour la police, n'existe pas pour le nettoyage des rues parce que le balayeur n'a plus à perdre son temps et l'argent du contribuable à causer avec les habitants. Le balayeur est là pour balayer. Il est là pour balayer et pour le faire proprement, respect de l'environnement oblige.
C'est pour cette raison que le Service des routes et de la mobilité annonçait fièrement la semaine passée s'être doté de nouveaux véhicules " propres ", c'est-à-dire des véhicules qui respectent les normes Euro en vigueur (n'est-ce pas la moindre des choses ?) et qui le manifestent ostensiblement en arborant un logo maison (un de plus) muni d'une fourmi " symbolis[ant] de manière conviviale les activités multiples et laborieuses de ce service pour la collectivité ".
Tiens, la convivialité fait son retour en force, mais à coup de logo. Pour la convivialité à coup de contact humain, il faudra repasser. C'est ringard, dépassé, d'un autre temps, pas rentable, pas moderne, incompatible avec l'équilibre des finances communales. Ce n'est plus qu'un souvenir de gosse ou de vieux.
C'est en tout cas ce que reconnaît publiquement le municipal responsable de la voirie qui, à une question d'un conseiller s'inquiétant du manque d'entretien d'une rue du quartier de Chailly, laissait échapper en substance lors du dernier conseil communal :
Avec la mécanisation, il n'y a plus la personnalité qui est dans la rue. Donc on la voit moins souvent puisqu'il n'y a plus personne de fixe dans les rues annexes. [...] Donc c'est vrai qu'il n'y a plus de lien direct entre la population et le balayeur, c'est plutôt une machine qui a remplacé ce fameux contact.C'est une machine qui a remplacé le contact humain, mais une machine à haute performance environnementale. Un environnement dont l'humain ne fait manifestement pas partie.
- Crédit photographique : ©Ville de Lausanne.
P.S. Il faut bien reconnaître que la mécanisation rend la vie des balayeurs de rue un peu plus facile, mais ...