Un autre igloo dans le camp de la Petite Ourse
Scène 15
Décoration beaucoup moins somptueuse que dans l’igloo précédent. Fourrures contre les murs, vague carpette par terre. Quatre lits de camp et une table. Halogène jetant une lumière cruelle sur les visages. Les prisonniers sont assis chacun sur son lit.
La Madone, La langoureuse Arielle, Rosie, Daktari
LA MADONE
Et c’est bien reparti pour un tour de manège.
En tous cas grand merci à nos fameux stratèges.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (A Rosie et Daktari)
Le fait est que vraiment, vous fûtes super nuls.
ROSIE
Sur la feuille pourtant c’était un bon calcul.
LA MADONE
Je demande à quoi sert d’avoir semé partout
Un mouchoir déchiré en minuscules bouts.
Crûtes-vous, tas de veaux, que c’était le hasard
Qui avait sous vos pieds fait pousser ce bazar ?
ROSIE
Nous avons vu trop tard ces signes évidents.
DAKTARI (se levant)
Eh, mais là ça suffit ! C’était un accident !
Nous n’allons pas passer notre temps, je l’espère,
A nous justifier* devant ces deux vipères !
Bon, l’attaque a raté, c’est un fait et alors ?
Positivons les faits : il n’y eut pas de morts.
LA MADONE
Il n’aurait plus manqué, afin que ça me navre,
Que vous eussiez jonché la route de cadavres !
A votre incompétence il faudrait ajouter…
DAKTARI (La coupant)
Mais qu’elle est donc rasoir ! Cesse un peu de parler !
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Crois-tu qu’en l’insultant, tu couvriras ta honte
Et fera oublier ce qu’ici on raconte ?
Les gardes sont ravis et se moquent de vous,
On se gausse partout, et pas même en dessous ;
Vous êtes la risée de l’armée toute entière
Et tu viens protester ? L’audace est singulière !
ROSIE
Que tu as de caquet ! Regarde ta coiffure :
Elle est dans un état !
DAKTARI
Quant à ces éraflures
Sur tes ongles nacrés, que peut-on en penser ?
(La langoureuse Arielle pousse un petit cri et sort un miroir de sa poche.)
LA LANROUREUSE ARIELLE (se regardant, puis examinant ses ongles)
Ah l’horrible destin ! Je suis toute amochée !
(Sourire de Rosie et Daktari, lequel se frotte les mains.)
LA MADONE
Diversion très commune et peu élaborée !
Pensez-vous un instant pouvoir faire oublier*
Votre incapacité à résoudre un problème ?
Comme vous êtes bas, ô faces de carême !
Incapables d’agir, et quand il faut gagner,
Vous laissez l’ennemi de vous, là, s’emparer !
Vous ressemblez vraiment à tout ce que vous êtes,
Forts en gueule c’est sûr, mais plus sots que des bêtes !
Vos discours incessants et vos nobles paroles
Se dissolvent bientôt devant quelques mariolles
Qui mieux que vous, oh oui, savent bien se placer
Et sans peine obtenir de quoi vous menacer.
Si encor vous aviez juste un peu de courage,
Juste un peu de respect pour tout votre entourage,
Pour ceux qui croient en vous, en votre compétence,
En votre habileté, en votre omnipotence,
Vous montreriez enfin, par un aveu modeste
De toutes vos erreurs, et par un si beau geste,
Qu’il est facile au fond, quand on le veut vraiment,
D’avoir une grande âme et de se montrer grand.
(Un silence. La porte s’ouvre, laissant le passage à la Petite Ourse et à sa suite.)
Scène 16
Les mêmes, plus la Petite Ourse et le reste de la compagnie.
LA PETITE OURSE
Ah, Madone sublime, il faut te remercier
Pour un si beau discours. Je voudrais t’embrasser.
DAKTARI
Vous n’étiez pas censée avoir tout entendu
LA PETITE OURSE
Pour un milliard d’euros, je n’aurais pas perdu
Un mot d’une tirade aussi bien envoyée.
Mes compliments, ma chère, ils sont pulvérisés.
Et pour bien achever cette belle déroute,
Nous allons de ce pas nous mettre tous en route
Pour le palais royal. Mon armée est fin prête.
Nous allons à ma sœur faire une grande fête.
Et pour que vous buviez jusqu’au bout le calice,
Là vous assisterez à un feu d’artifice
Qui sera de la guerre une superbe fin
Et me couronnera impératrice enfin.
(Elle fait signe aux gardes qui se jettent sur les otages et les font se lever sans ménagement.)
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Oh mais qu’il est brutal, ce garde mal léché !
LA MADONE (Au garde qui la maintient)
Ca ne te ferait rien de ne pas m’écraser ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE (Voix pleurnicharde)
Il faut me manœuvrer avec plus de douceur
Car je suis très fragile et de vous j’ai grand peur.
UN OURS
Cesse de minauder, vieil os décalcifié.
A ton âge, vraiment, si c’est pas à pleurer !
DAKTARI (A l’ours qui s’occupe de lui)
Lâche-moi donc les bras, que je te mette un pain !
UN SECOND OURS (en riant)
Le grand-père menace !
LA PETITE OURSE
Et il plastronne en vain.
Encor un coup, docteur, tu vas finir cardiaque.
Toi toujours si serein ! Peut-être un peu maniaque,
Mais qu’importe cela ?
(Pendant ce temps, Rosie la Terreur court dans l’igloo, poursuivie par un ours qui n’arrive pas à l’attraper.)
Que fait donc cette folle ?
ROSIE (tournant)
Non, vous ne m’aurez pas. D’ici, je ne décolle !
LA PETITE OURSE
Assommez-la, bon Dieu !
LA MADONE
Echappe-toi Rosie !
La porte est devant toi !
DAKTARI
Fonce encor et vas-y !
(Rosie sort en courant, suivie par quelques ours. Brouhaha. Puis Rosie rentre en courant, toujours suivie par les ours.)
ROSIE (tournant encore)
Une garde dehors attendait mon passage !
Je n’en peux plus, hélas ! Et puis, je suis en nage !
LA PETITE OURSE (exaspérée)
Mais va-t-on bien finir ce cirque de déments ?
Collez-lui une tarte ou brisez-lui les dents !
(On se jette sur Rosie et on finit par la clouer au sol.)
ROSIE
Ah les vaches m’ont eue !
LA PETITE OURSE
Mettez-lui un bâillon
Attachez-lui les bras ainsi que les jambons.
Là ! Quel calme soudain ! Je me sens étourdie.
Pourquoi faut-il d’ailleurs avec ces ahuris
Qu’un ordre si banal prenne ces proportions ?
Pour jouer les guignols ils sont vraiment champions.
(On pousse tout le monde dehors, y compris Rosie, ligotée comme un saucisson.)
(A suivre)