Sur scène, j'ai vu sans doute la plus grande gigue à frange dévorant le visage, depuis les donzelles de Au Revoir Simone, lors de certaine soirée aux Dock des Suds, dissimulée à grand peine derrière son Korg.
En formation resserrée, batteur à capuche et guitariste plus capodastre, Marie enchaîne les chansons de son 2ème album, qu'on devine intimiste à défaut de l'avoir écouté, mais avec tout de même certaines sonorités indés - on pense au Broadcast des débuts- et la Von Poehl touch, que l'on sent inévitablement. Sous des dehors parfois mal assurés - une voix parfois hésitante et à la limite de la justesse, Marie se met le public dans sa poche, et c'est mérité pour toutes les raisons évoquées plus haut ! On note tout de même cette agaçante façon de traduire tout ou partie des titres de ses chansons. Prends ton envol et assume tes textes, Marie, traduis-les en français !
Mais le maître de cérémonie reste à venir. Sous un décor sobre mais flashy - l'arc-en-ciel de la pochette en mode néon, et derrière une savante entrée en scène en ombres chinoises, Thomas Dutronc investit la seine avec son groupe manouche (dont 1 corse !), et c'est quasi d'entrée un hommage à Django Reinardt que le quintette envoie ! Enchainé au morceau-titre de son premier LP, Thomas montre très vite le ton du spectacle, lequel, à l'ancienne et tel que pouvait en délivrer des Henri Salvador, fourmillera d'interludes chansonniers. Dans l'ordre, sketches et envolées anti-capitalistes, piques à Sarkozy (le fichier Edwige), impros, pots-pourris ET medleys (!) se succèdent à un rythme effréné !
On notera ainsi un réjouissant enchaînement disco ("Billie Jean", "Alexandrie Alexandra", "Y.M.C.A"), les déjà tubes ("Jeune, Je ne Savais Rien", "J'aime Plus Paris), une improbable impro de chant corse, une jam endiablée sur la B.O des Triplettes de Belleville que Thomas partage donc avec son pote Mathieu Chédid - et ce n'est pas là la moindre des similitudes des univers de ces 2 artistes, si l'on fait exception de la qualité de chant indubitablement meilleure chez notre expert ès-guitare manouche....
Deux constantes en tout cas : la jubilation d'être là et de jammer, de rivaliser d'inventivité avec ses amis musiciens, tous plus virtuoses les uns que les autres - cet affolant violoniste qu'est Pierre Blanchart qui donne dans le Concerto Brandebourgeois de Bach ! - le tout, dans le même esprit qui les anime vraisemblablement lorsqu'ils se retrouvent tous dans la cave ! Le plaisir de jouer, tout simplement !
L'on se demande alors que ce qui a pu pousser le rejeton Dutronc à défricher le format pop et à se lancer "dans la carrière", tant il semble qu'il est le même musicien que celui dont on entend parler depuis une bonne dizaine d'année, à savoir qu'il a le profil du musicien aguerri de séance qui n'a pas le profil a priori pour se mettre en avant comme il le fait si bien depuis Comme un Manouche Sans Guitare (2007). Seul un producteur, un marchand du temple particulièrement avisé a du trouver les mots pour donner au rejeton Dutronc l'envie de donner ce tour à sa carrière !
Deuxième remarque : pour les fans transis du père (et de la mère) que je suis, il est assez stupéfiant d'observer, outre un évident mimétisme de silhouette et de traits, que Thomas possède cette même élégance, cette manière racée ainsi que ce timbre reconnaissable entre mille, pour chanter de façon distanciée ces textes à la fois drôles, touchants et sarcastiques - sur lui-même et ses contemporains !
Qu'adviendra-t-il de la carrière de cet artiste ? Lui seul le sait, car les armes de séduction pour réussir, il possède. Mais lorsque le monde de la pop parfois si frelaté viendra éventuellement à l'incommoder, et que la tentation de jammer et de se repositionner en retrait redeviendra la plus forte, il endossera à nouveau les atours de musicien simplement brillant et exigeant, capable de transcender et de vulgariser sa passion tangible pour Django pour le plus grand nombre !
Et le vaste public rock et pop d'avoir enfin mis des notes et un visage sur le nom culte de Django Reinhardt !