En écho thématique à « La Pluie », texte tiré de Connaissance de l’Est de Claudel et publié hier dans cette "anthologie permanente" de Poezibao.
La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à
des allures très diverses. Au centre, c'est un fin rideau (ou réseau)
discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes
probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une
fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de droite et de
gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici
elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque
d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court
horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se
suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de
zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause
de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la
couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un
ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet
parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu'au sol où elle se
brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.
Chacune de ses formes a une allure particulière ; il y répond un bruit
particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi
précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur
d'une masse donnée de vapeur en précipitation.
La sonnerie au sol des filets verticaux, le glouglou des gouttières, les
minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert
sans monotonie, non sans délicatesse.
Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à
fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors
si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore :
il a plu.
Francis Ponge, Le parti pris des choses, suivi de Proèmes, Poésie/Gallimard, 1967, p. 31.
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