70 ans. Déjà, seulement… Dans la magnifique « forêt du hêtre », dans cette campagne boisée de Weimar qui a tant inspiré Goethe et Schiller, les nazis ouvraient ce qui reste une indicible et inguérissable plaie d’Europe.
L’enfer a un nom sur Terre : l’inhumanité, ce produit de « l’humain trop humain », cet enfant du « monstre qui est en nous ».
A peine Patton était-il arrivé pour non libérer (le mot ne convient pas) mais pour ouvrir les portes de l’horreur que d’autres bourreaux, guidés par des idéaux trahis, occupaient les lieux : « Camp spécial n° 2 »…Buchenwald-Weimar : L’Europe dans ce qu’elle de pire et de meilleur.
Mémoire. Et transmission de la mémoire…
Des survivants, dont certains français, ont commémoré hier la construction du camp de concentration de Buchenwald, commencée voilà 70 ans. Des gerbes de fleurs ont été déposées en hommage aux 56.000 personnes assassinées à Buchenwald entre le 15 juillet 1937 et le 11 avril 1945, date de la l’évacuation du camp par l'armée américaine.
Le ministre des cultes de Thuringe a remis un livre comportant les noms de 38.000 victimes identifiées au président du Conseil central des Sinti et Rom allemands, Romani Rose, et au secrétaire général du Comité central des juifs d'Allemagne, Stephan Kramer. Le conseil municipal de la ville de Weimar, située à côté du camp, a réaffirmé dans une déclaration son engagement contre le racisme et l'antisémitisme, ainsi que pour le respect des droits de l'homme, la liberté et la démocratie.
Environ 250.000 personnes de 36 pays ont été déportées à Buchenwald entre 1937 et 1945. Le camp a d'abord reçu des opposants politiques au régime nazi, plus tard des juifs, des sinti et des roms, des homosexuels et des prisonniers de guerre soviétiques.
Peu avant la libération du camp et la fin de la guerre, plusieurs milliers de détenus furent emmenés sur les routes pour des marches forcées, où beaucoup trouvèrent la mort. Seuls 21.000 prisonniers assistèrent à l’ouverture du camp par les soldats américains, en avril 1945…
Cet anniversaire est bien sûr l’occasion de lire ou de relire Jorge Semprun et son « Ecriture ou la vie » . Œuvre d’Europe . « Comment vivre quand on revient du néant et comment écrire à partir de ce néant » ?
Extrait : « Et puis, de cette expérience du Mal, l'essentiel est qu'elle aura été vécue comme expérience de la mort…
Je dis bien "expérience"… Car la mort n'est pas une chose que nous aurions frôlée, côtoyée, dont nous aurions réchappé, comme d'un accident dont on serait sorti indemne. Nous l'avons vécue… Nous ne sommes pas des rescapés, mais des revenants…
Ceci, bien sûr, n'est dicible qu'abstraitement. Ou en riant avec d'autres revenants…
Car ce n'est pas crédible, ce n'est pas partageable, à peine compréhensible, puisque la mort est, pour la pensée rationnelle, le seul événement dont nous ne pourrons jamais faire l'expérience individuelle… Qui ne peut être saisi que sous la forme de l'angoisse, du pressentiment ou du désir funeste… Sur le mode du futur antérieur, donc…
Et pourtant, nous aurons vécu l'expérience de la mort comme une expérience collective, fraternelle de surcroît, fondant notre être-ensemble…comme un Mit-Sein-zum-Tode… »
Un livre qu’on lit et relit. En silence.