Après vous avoir longuement fait découvrir, depuis le
mardi 29 avril dernier, la troisième salle du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre; après avoir, tout au long de ces mardis de septembre, évoqué la vie de Jean-François
Champollion à partir d'une visite estivale au musée qui lui est partiellement consacré à Figeac; après avoir terminé cette
évocation en quatre "épisodes", mardi dernier, par la création de salles égyptologiques au Louvre - le Musée
Charles-X de l'époque -, quel plus bel enchaînement, et surtout quel plus bel hommage rendre à l'Historien d'art qu'il fut que celui de revenir à l'élément constitutif de ce blog, à savoir la
description, salle après salle, vitrine après vitrine de ce département ?
Je vous propose donc aujourd'hui, ami lecteur, d'entamer la visite de la salle 4 consacrée aux travaux des champs. Et d'immédiatement découvrir la partie la
plus célèbre du
MASTABA
D'AKHETHETEP
(E
10 958 A)
"Ce samedi 28 mars 1903
Monsieur le Directeur,
Deux mots seulement pour vous annoncer la bonne nouvelle.
J’ai enfin un magnifique tombeau.
Hier vendredi, je suis allé, comme je vous l’avais écrit, à Saqqarah. Trois tombeaux
avaient été déblayés pour être soumis à mon examen : deux étaient d’un intérêt moyen; le troisième était au contraire d’une grande beauté : style et variété des scènes, perfection de l’exécution,
état de conservation, toutes les qualités étaient réunies pour faire de ce monument une pièce digne de notre Louvre ... La grande affaire maintenant va être de l’extraire, de le débiter
en «tranches» et de l’emballer de la façon la plus minutieuse, et je n’épargnerai
rien pour cela. Chaque bloc après avoir été retaillé de manière à perdre une notable partie de son poids inutile sera emmitouflé dans un épais vêtement d’ouate et mis en caisses dans de bonnes
planches. Je vais présider à tout cela moi-même ... "
Ces quelques phrases annonçant à Albert Kaempfen, Directeur des Musées nationaux, la
découverte du mastaba d’Akhethetep et son arrivée imminente au Louvre sont signées de Georges Bénédite, Conservateur adjoint au Département des Antiquités égyptiennes entre 1887 et
1904.
D’abord remonté en 1905 dans un rez-de-chaussée situé au-delà des guichets du Carrousel, il sera de nouveau démonté en 1932 afin de venir s’installer (probablement de manière définitive) dans cette salle 4 dont nous entamons la visite aujourd’hui, en bordure de la Cour Carrée. Bizarrement, lors de cette opération, deux blocs inscrits couronnant la double fausse-porte ont disparu.
Avant de vous faire découvrir ce joyau du musée, j’aimerais ici préciser ce qu’est exactement un mastaba. Le terme vient en fait de la langue arabe moderne et définit les banquettes que l’on peut encore voir de nos jours devant les maisons villageoises égyptiennes. C’est ce vocable que l’égyptologue français Auguste Mariette (1821 - 1881) retint pour qualifier les tombeaux de l’Ancien Empire, tout étonné qu’il fut de la ressemblance entre les deux silhouettes.
Depuis lors, entrée d'autorité dans le vocabulaire archéologique, cette appellation désigne donc les tombes que, par pur privilège pharaonique, les membres de la famille royale et un nombre considérable de hauts fonctionnaires se firent construire à l’époque dans le désert occidental.
Il suffit, pour nous convaincre de cette profusion, de jeter un oeil sur le dessin ci-dessous
réalisé par l’égyptologue français Jacques de Morgan (1857 - 1924) quelque six ans avant la découverte de celui du Louvre : tous les petits carrés rouges représentent en fait l’emplacement
des mastabas connus à l’extrême fin du XIXème siècle.
(Je rappelle que le simple mortel ne bénéficiait que d’une anodine fosse creusée
à même le sable et qu’il ne recevait ni culte ni offrandes quelconques.)
Ce que les archéologues appellent mastaba n’est en réalité que la superstructure apparente du tombeau : il faut en effet savoir que le défunt reposait dans un caveau
souterrain au fond d’un puits muré, parfois à plus de trente mètres de profondeur.
Et c’est à l’intérieur de ces massifs visibles, alignés le long des rues de la cité des morts entourant la pyramide royale, accessibles aux parents du défunt et aux prêtres ritualistes, que se trouve la chapelle dans laquelle était célébré le culte funéraire proprement dit. Cette chapelle peut soit consister en une simple niche dans laquelle une stèle rappelant le défunt a été déposée, soit en une pièce de petites dimensions comme celle présentée ici. Toutefois, parmi les centaines de mastabas que recèle le site de Saqqarah, certains se composent de plus de vingt pièces, les plus beaux étant ceux de Ti (Vème dynastie) et de Mérérouka, vizir de Pépi Ier (VIème dynastie).
(Tous deux sont proposés, parmi d'autres, sur l'excellent site d'OsirisNet : il
vous suffit, ami lecteur, soit de cliquer sur l'icône en haut à droite de cette page pour y accéder; soit, ci-après, sur le nom de chacun des deux vizirs pour uniquement visionner ce
qui concerne Mérérouka et/ou Ti.)
La chapelle funéraire d’Akhethetep reconstituée dans cette salle suggère parfaitement, avec son profil trapézoïdal, la silhouette des "banquettes" formant la
superstructure des tombes privées de l’Ancien Empire.
Construite dans ce calcaire fin typique de Toura, une des carrières les plus exploitées, à 18 km au sud du Caire, sur la rive droite du Nil, elle était située à l'est de
la chaussée conduisant à la pyramide d'Ounas, souverain de la Vème dynastie, au sud-ouest du complexe de Djeser, pharaon de la IIIème dynastie.
C'est à l'automne 1996, lors de la sixième campagne de fouilles menées sur le site de
Saqqarah par les archéologues du Louvre que furent mis au jour les vestiges d'un immense mastaba de calcaire blanc d'où provenait la chapelle décorée d'Akhethetep exposée dans cette salle.
Jusqu'à cette date, aucun document d'archives n'en avait livré ni le plan ni l'emplacement exact; et depuis bien longtemps, sable et déblais accumulés en avaient effacé la trace.
Les découvertes faites sur ce site au fil des différentes campagnes de fouilles ont permis de déterminer que la chapelle du Louvre constituait le point véritablement
central d'un vaste complexe funéraire aux très nombreuses chambres dont les murs sont conservés sur une hauteur de plus ou moins cinq mètres.
D'après les évaluations menées in situ, il aurait présenté une façade de quelque 32 mètres de longueur pour 16 mètres de côté. C'est à
l'arrière que se trouvait le puits du mastaba : quand le sable en fut retiré, les archéologues purent déterminer qu'il était de plan carré (2, 16 m), et profond d'une vingtaine de mètres. Il
donnait bien évidemment accès au caveau proprement dit, plus ou moins rectangulaire (5, 10 x 4, 80 m), de seulement 1, 85 m de haut dans lequel se trouvait toujours une cuve de sarcophage en
granite.
En outre, mais vraisemblablement abandonnées loin de leur emplacement d'origine par d'indélicats pillards pris sur le fait, trois
statues en calcaire d'Akhethetep lui-même, d'environ un mètre, malheureusement pour nous toutes acéphales, ont été mises au jour par cette équipe du Louvre dirigée à l'époque
par Madame Christiane Ziegler.
Mardi prochain, ami lecteur, nous nous inviterons à l'intérieur de la chapelle d'Akhethetep.
(Andreu/Ziegler : 1997, 5-17; Ziegler : 1993, passim et 1997 4 : 227-45)