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La société celtique

Par Amaury Piedfer
Qu'est-ce que l'Europe ? Quelle place y a occupé la Gaule, du point de vue de la civilisation ? Avant la modernité et l'occidentalisation, y-a-t-il une spécificité des sociétés européennes ? C'est en partie pour répondre à ces questions qui se posent à nous avec toujours plus de poids que nous vous proposons cette réflexion sur la société celtique antique, principalement pour la Gaule des IIIème-Ier siècles av. J.-C. Mais c'est aussi, bien sûr, plus simplement pour satisfaire notre soif de redécouvrir les racines de notre civilisation.
LA SOCIÉTÉ GAULOISE
Organisation de la société celtique

L’organisation sociale qui régissait la société celtique ancienne était basée sur sa division de type horizontal en trois classes, suivant la classification dégagée par Georges Dumézil pour les sociétés indo-européennes : la classe sacerdotale et religieuse, la classe guerrière et royale, et la classe productrice.
La classe sacerdotale comprenait les Druides, les Bardes et les Vates.
La classe guerrière et royale comprenait le Roi, les Chefs et les Guerriers.
Les Rois sont élus par leurs pairs. Il peut y avoir le roi d’un peuple, le roi d’une tribu, éventuellement un roi suprême (comme à Tara en Irlande. Voir aussi, toutes proportions gardées, compte tenu des circonstances, Vercingétorix).
Les Chefs sont des chefs de clan, de contrées ou de villages et peuvent être considérés comme des rois à l’échelon local. Ils ont un rôle de protection et de maintenance de l’ordre social.
Les Guerriers enfin, dont le rôle principal est le combat. C’est parmi eux que sont élus les Chefs suivant des critères de courage, d’art du combat, de volonté intelligente et de réussite. C’est d’ailleurs une constante : « le véritable critère de la valeur personnelle détermine la classe à laquelle va appartenir tel ou tel individu » et le fait que les enfants étaient confiés à des tiers pour leur éducation, suivant le système du « Fosterage » facilitait la pratique qui consistait à aiguiller l’enfant vers la classe correspondant à ses qualités propres.
La classe productrice comprenait les commerçants, les artisans et les agriculteurs :
Les commerçants connaissaient souvent le grec et le latin étant donnée l’importance des échanges. Leur rôle est loin d’être négligeable puisque les exportations de fer, d’étain et de plomb, de bijoux, de vêtements et de tissus, d’objets en fer forgé, de sellerie et de produits alimentaires sont particulièrement importantes.
Les artisans sont doués d’une grande habilité. Ils inventent et perfectionnent un grand nombre d’objets : émaux, tonneaux, charrues, moissonneuses, chars de guerre, savon, vêtements, cottes de maille. Les maîtres forgerons jouissent d’une grande considération. La place de l’artisan est devenue tellement éminente dans la société gauloise du Ier siècle que « l’outillage qui leur est propre est alors déposé dans la tombe à leur côté » (Alain Duval).
Les agriculteurs ont en charge l’alimentation qui provient d’une part des cultures (petits pois, fèves, lentilles, blé et autres céréales et légumineuses) et d’autre part de l’élevage (porcs et bœufs, moutons, chevaux et chiens).
On pourrait penser qu’en Gaule, la troisième classe est presque exclusivement composée des peuples autochtones, les envahisseurs celtes étant regroupés dans les deux autres mais Le Roux et Guyonvarc’h objectent : « cette illusion ne dure que le temps de l’examen : un élément allogène quand il ne maintient pas son autonomie politique et culturelle, se désagrège, se fond dans l’ethnie majoritaire au bout de deux ou trois générations" ». Le débat reste donc ouvert.


Essai de définition des trois classes de la société celtique

La société celtique, et rien ne peut nous laisser croire que la société gauloise échappe à cette définition, est une société de type horizontal où les trois classes sont considérées comme d ‘une utilité équivalente. Aucune n’est censée être supérieure à l’autre et chacune a son rôle à jouer au sein de la société, « chacune est indispensable à la vie commune ». Cette déclaration de principe est un peu tempérée par le fait que la hiérarchisation, au sein d’une classe, de ses membres en fonction de leurs mérites, entraîne, de fait, une hiérarchisation des classes les unes par rapport aux autres. Pourtant, aucune des classes ne peut subsister sans les autres et chacune d’entre elles a véritablement des obligations par rapport aux autres : la classe sacerdotale « doit » les sacrifices, la prédiction, le prophétie et la législation ; la classe guerrière et royale « doit » la protection du peuple et du territoire, la générosité et le partage, la noblesse de vie et de mœurs ; la classe productrice « doit » la production de la nourriture et des matières premières , la fabrication de tous les outils et matériaux utiles à la société et la commercialisation de ces produits.
Au niveau cultuel, chaque classe a ses dieux et sa démarche propres : la classe sacerdotale perçoit la divinité comme un reflet à s’approprier de la Sagesse, de la Connaissance et de la Science de ce qui est juste sur le plan de l’Esprit ; la classe guerrière comme donnant la force morale et physique, la bravoure ; la classe productrice comme apportant la santé, la fécondité végétale, animale et humaine, l’abondance, la sensualité et la beauté.
A la première classe pourraient correspondre Dagodevos, Sukellos, Taranis. A la seconde, Nodons, Nuada, Lug. A la troisième, Gobnios, Amaethon, Dagda (qui relève aussi de la 1ère), Brigit. Sans oublier que Lug et Brigantia patronnent et dominent les trois fonctions et qu’on peut aussi honorer une divinité selon les trois modes cultuels en raison de son triple aspect de Sagesse, Force et Prospérité.
Classes gauloises et classes indiennes
Selon Guyonvarc’h et Le Roux « dans la vision indienne du monde chacun est à sa place sans rien avoir à y redire, en fonction de sa nature propre, de ses origines et de ses capacités ».
Le système des castes a été établi pour assurer à chaque élément de population son gagne pain et la maintenance de ses croyances, de ses institutions civiles et sociales, de ses dieux, de ses fêtes et de ses coutumes. Ces castes correspondent aux quatre races apparues chronologiquement : la race blanche des Brahmanes qui « porte la responsabilité du devenir des autres races » (et qu’on rapproche bien souvent des druides), la race rouge des guerriers, la jaune des commerçants et agriculteurs, la noire des artisans. En revanche, les frontières qui les isolent sont beaucoup plus hermétiques que chez les Celtes puisqu’il est impossible de sortir d’une caste pour aller dans une autre.
Reflet du plan divin, les castes sont des couches superposées qui se partagent les différentes fonctions sociales et sont des entités à la fois raciales, familiales, religieuses et professionnelles. Enfin, et l’on se sent là aussi proche des conceptions celtiques, elles sont essentiellement définies en termes de devoirs bien plus que de droits.
Comment et sur quels critères étaient élus les rois

La royauté n’est pas un mandat héréditaire mais c’est bien souvent dans une descendance royale que le roi est choisi par les guerriers de sa classe. Il doit être le guerrier le plus fort et le plus courageux, le chef le plus avisé et le plus chanceux car il doit être le régulateur de la société, son distributeur et son protecteur et le garant de la fertilité de la Terre, de la fécondité du bétail comme de celle des hommes. Il doit par ailleurs énoncer « la Loi fidèle à l’enseignement Traditionnel » et assurer « les décisions politiques et l’obligation du succès militaire ».
En Irlande, la pierre apportée de Falias par Morfessa, dite Lia Fail, avait le pouvoir, par son cri, de désigner le futur roi suprême.

Prérogatives et devoirs de la classe sacerdotale

En règle générale, les membres de la classe sacerdotale doivent être des gens de bien (« les plus justes »), les gardiens des lois, du droit et de l’organisation sociale, des gens de Vérité et de Science (« les très savants »).
Les Druides arbitraient, légiféraient, enseignaient, soignaient et conseillaient. Ils parlaient avant le roi. Et comme ils assuraient la liaison entre les hommes et les Dieux, ils officiaient lors des cérémonies religieuses, pratiquaient les sacrifices et, éventuellement, consultaient les oracles. Ils étaient exempts d’impôts et pouvaient, s’ils le voulaient, ne pas porter les armes.
Les Bardes étaient des poètes, des artistes, des légistes et des historiens. Conservateurs de la mémoire des événements, ils devaient apprendre des milliers de vers par cœur . Ils devinrent plus tard les ménestrels et les troubadours.
Les Vates assistaient les Druides dans les cérémonies. Devins et médecins, ils faisaient des incantations, pratiquaient les arts magiques et participaient aux sacrifices.

Les fautes graves

Les trois fautes du Druide sont la satire injuste, le mensonge (car il ne doit pas faire de tort indûment), l’usurpation du pouvoir temporel (car il doit rester à sa place) et l’adultère (car il doit être exemplaire de bonne moralité). A la troisième faute la mort est le châtiment.
Le Roi est puni de mort s’il ne réussit pas à défendre son peuple contre l’ennemi ou s’il tente de s’emparer des biens de son peuple (par l’institution du Vergobret, il échappera à cette dernière responsabilité et les terres, à l’origine propriété des dieux deviendront, par appropriation, propriété des rois et des chefs et d’usufruitier, celui qui l’exploitait deviendra plus tard un serf). La punition peut sembler lourde mais il faut bien avoir conscience que dans la conception celtique, le Roi, en enfreignant les règles, est allé contre l’Ordre de l’Univers, il a rompu l’ordre humain et l’ordre social et ce désordre a des retentissements aussi sur les saisons et la fécondité : « les terres ne portent plus de moissons, les rivières ne donnent plus de poissons, les forêts de glandées ».
Le Chef ou le Guerrier risque la mort ou l’exil s’il fait preuve de lâcheté devant l’ennemi ou/et devant la mort. L’abus de pouvoir, la cupidité, l’accaparement personnel (du butin par exemple) et la luxure (quand elle est « débauche débilitante ») sont les autres fautes qu’il lui vaut mieux éviter.
Le producteur enfin s’expose à de graves châtiments s’il se laisse aller au vol ou à l’intempérance.

Et pour terminer, il convient de rappeler que quand leur sentence arbitrale n’était pas suivie d’effets, les druides interdisaient aux coupables le droit de sacrifier aux dieux, ce qui les retranchait de la société et coupait tout lien entre eux et la divinité.
Bibliographie :
Revue : Druvidia
Jean-Louis Brunaux, Les Gaulois, Guide Belles Lettres, Paris, 2005.
César, La Guerre des Gaules, Livre de Poche, Paris.
Alain Daniélou, Les Quatre Sens de la vie, Ed. Du Rocher, Paris, 2000.
Alain Duval, Les Gaulois, Hachette, Paris, 1982.
Henri Hubert, Les Celtes, Albin Michel, Paris 2001.
F. Le Roux et C.-J. Guyonvarc'h, La société celtique, Editions Ouest France, 1991.
Omios.

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