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Le retour de Nasser : un feuilleton à épisodes

Publié le 28 septembre 2008 par Gonzo

Les mois de ramadan se suivent et le goût du public arabe pour les feuilletons historiques ne se dément pas. Les grands succès de l’année passée furent une production syrienne Bâb al-hâra (voir ce billet), désormais dans sa troisième saison, et surtout une série sur le roi Farouk (celui que les Officiers libres allaient déposer en 1952). Et parmi ceux dont la presse arabe a beaucoup parlé cette année, figurent Esmahane, qui retrace la vie aventureuse de cette chanteuse de la première moitié du XXe siècle disparue dans un mystérieux accident de voiture, et Nasser, sur le leader de la révolution qui mit fin à une royauté égyptienne largement sous influence britannique.

Avant de rappeler les épisodes de la réalisation de ce feuilleton, il faut rappeler le contexte sociopolitique dans lequel sont produites et diffusées ces séries télévisées de ramadan. Esmahane aussi bien que Nasser, comme d’ailleurs les “grosses machines” de ramadan, sont du début à la fin des produits “panarabes” (voir cet article en arabe) : consommés par un public arrosé par les télévisions satellitaires reçues dans la région, ils ont, à l’autre bout de la chaîne, façonnés par cette donnée fondamentale, depuis le choix du sujet jusqu’à la production. Esmahane réunit ainsi une équipe largement tuniso-syro-égyptienne et, Nasser, égypto-syrienne.

Bien entendu, c’est autour de l’interprétation que propose le récit télévisé que se focalisent toutes les discussions. Largement repris par les télévisions du Golfe l’année dernière, et plébiscité par le public, Le roi Farouk avait suscité les commentaires acerbes de nombre d’intellectuels “de gauche”, ou encore “nationalistes”, qui voyaient dans cette opération une tentative éhontée de réhabilitation du dernier roi égyptien, et donc une attaque contre les acquis de la révolution de 1952 (voir cette diatribe de Saad Eddine Ibrahim سعد الدين إبراهيم, un célèbre opposant égyptien, qui accuse les Saoudiens de s’en prendre, à travers leurs feuilletons, à l’héritage révolutionnaire arabe!)

Naturellement, avec Nasser en vedette du ramadan de cette année, on pouvait s’attendre à l’inverse, les voix dites “réactionnaires” du monde arabe s’en prenant à une œuvre accusée de faire le panégyrique d’une figure très populaire dans le monde arabe mais dont l’action et le bilan demeurent très contestés, à commencer par la plupart des régimes actuels de la région. En réalité, les accusations de ce type ont commencé dès l’annonce du projet, à la fin de l’année 2007. Pour certains, les choix politiques des auteurs devenaient clairs dès lors que les dialogues étaient signés par Yusri al-Guindy (يسرس الجندي), une plume aux idées nassériennes bien connues, et la réalisation confiée à Basel al-Khatib (باسل الخطيب), de nationalité syrienne mais fils d’un célèbre poète palestinien.

Dès lors, la réalisation de Nasser était vouée à passer par une série d’épisodes, tous plus compliqués les uns que les autres. Cela a commencé par le choix du réalisateur lorsque le célèbre cinéaste Mohamed Fadel, lui-même auteur de Nasser 56, un long métrage qui a marqué à son époque (voir à la fin de ce billet), s’est répandu dans les journaux pour critiquer le choix d’un réalisateur syrien pour un feuilleton sur la biographie du grand homme de l’Egypte ! Quant au scénariste, bien qu’Egyptien, il n’était assurément pas digne d’habiter rue Nasser al-Thawra, “Nasser-la-révolution” !

En réponse au cinéaste qui avait été un moment pressenti pour le tournage semble-t-il, al-Khatib a alors déclaré que la figure de Nasser appartenait à toute la nation arabe, et singulièrement aux Syriens associés à l’Egypte, on s’en souvient peut-être, dans une éphémère République arabe unie (1958-1961) qui ne passe pourtant pas pour le meilleur épisode de la saga nassérienne ! D’ailleurs, pour incarner le regretté zaïm, al-Khatîb pensait en tout premier lieu à Jamal Sulaiman (جمال سليمان), acteur vedette des télés arabes, certes depuis peu installé au Caire mais tout de même… syrien !

En définitive, c’est un jeune acteur égyptien Magdy Kamel (مجدي كامل) qui a hérité du rôle, à la satisfaction de tous ceux qui ont vu le feuilleton semble-t-il. Pour autant, les ennuis n’étaient pas finis pour ce portrait de Nasser dont le tournage fut aussi facile en Syrie que compliqué en Egypte en raison d’autorisations à chaque fois presque impossibles à obtenir.

Une fois le feuilleton achevé, la société (égyptienne) de production n’était pas au bout de ses peines car la plupart des grandes chaînes satellitaires arabes, à capitaux saoudiens comme on le sait, n’ont pas souhaité acquérir une série pourtant appelée à rassembler un public important. Une décision rapidement suspectée de reposer sur des motifs politiques, surtout au regard de l’empressement des mêmes chaînes l’année précédente pour la diffusion du Roi Farouk

Et ce n’est pas l’attitude de la télévision égyptienne qui devait dissiper de tels soupçons. En effet, quelques jours à peine avant le début de ramadan et le lancement des principaux feuilletons propres à cette période, la “commission des feuilletons de ramadan” faisait savoir qu’elle renonçait à Nasser, série bien trop sérieuse pour correspondre à l’esprit festif de cette période ! Pour suivre les épisodes de la vie du grand héros national, les Egyptiens devaient être abonnés à une obscure chaîne payante (et cryptée) !

Il faut tout de même beaucoup de mauvaise foi aux autorités égyptiennes pour prétendre, en arguant du fait qu’elles avaient produit naguère le film intitulé Nasser 56, que cette décision n’était en rien politique ! Dans la presse arabe, les commentateurs se sont tous accordés ou presque à dire que l’actuel zaïm de l’Egypte, déjà victime du succès du feuilleton sur Farouk l’année précédente, n’avait aucune envie qu’on fasse trop de comparaisons entre son propre charisme et celui de Nasser. Sans parler de l’image d’honnêteté que celui-ci conserve, et du souvenir que la population garde encore vivant de son action en faveur du développement de l’éducation et d’une meilleure justice sociale, alors que le personnel politique actuel se débat dans les scandales financiers et moraux (voir ce billet), relancés par la catastrophe récente qui a causé la mort (officiellement) d’une cinquantaine de citoyens victimes de l’incurie des autorités dans une zone pourtant appelée “Manshi’at Nasser” (à peu près “Quartier Nasser”).

Au final, le feuilleton, tout de même acheté par un bon nombre de chaînes arabes, aura été une des séries marquantes de ce ramadan. Moins par ses qualités - on lui reproche en particulier de traîner en longueur en raison d’un excessif souci documentaire - que par le tapage médiatique qui a accompagné sa réalisation et sa programmation.

En effet, après avoir enfin pu être diffusé, le feuilleton Nasser devait connaître un ultime épisode à sensation, à cause de la réaction des Frères musulmans, la principale force d’opposition (semi-légalisée). Traditionnels rivaux des courants nassériens, et victimes, à l’image du parti communiste égyptien de la répression, assez souvent féroce, du régime à la grande époque du nassérisme triomphant, les Frères musulmans ont exprimé, par la voix d’un de leur principaux leader (article en arabe), leur colère vis-à-vis d’un récit télévisé qui minimise le rôle qu’ils ont joué durant les années 1940 et 1950 lors des combats en Palestine et qui présente les dirigeants du mouvement de cette époque comme des opportunistes hypocrites, dénués de toute vision politique !

Un classique en somme, puisque la diffusion auprès du grand public d’une image critique des partis d’opposition islamiques est presque aussi vieille que l’utilisation politique des séries télévisées. Elle remonte vraisemblablement, dans ses formes actuelles, au début des années 1990 et à la diffusion d’un des premiers très grands classiques des feuilletons arabes, les fameuses Nuits de Hilmiyya (”Layali hilmiyya”). Cette saga d’une famille cairote mettait en scène quelques-uns de ces affreux barbus jusqu’alors soigneusement tenus à l’écart du petit écran national. C’était à peu près l’époque où, dans le cadre d’une vaste contre-offensive culturelle associant tous les appareils culturels égyptiens, l’acteur Adel Imam se lançait de son côté dans la réalisation de comédies qui tournaient en dérision la menace islamiste.

Sur Layali hilmiyya, et la politique des séries télévisées, il faut lire un classique de l’anthropologie politique arabe, The Politics of Television in Egypt, par Lila Abu-Lughod (University of Chicago Press 2004). En ligne, on peut lire New Approaches to Popular Culture in the Middle East and Beyond (University of California Press, 2000), d’un autre chercheur américain, Walter Ambrust, qui consacre un chapitre à Nasser 56, le (bon) film de Mohammed Fadel 1996 que vous pouvez visionner (sous-titres en anglais) en suivant ce lien si ce long billet vous a donné envie d’images…


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