De l'architecture romane à l'art gothique

Par Manublog

Du hiératisme au réalisme. Ainsi pourrait se résumer l'évolution de la sculpture médiévale des arts roman puis gothique.

Comme l'architecture, la sculpture romane se caractérise par la grande diversité de ses styles. Toutefois, un dénominateur commun aux nombreuses sculptures romanes peut être identifié : le hiératisme. De ce point de vue, elle se différencie nettement de la sculpture gothique qui s'est voulue plus réaliste. C'est cette évolution stylistique qu'il est intéressant d'étudier.

Une sculpture architecturale

La sculpture romane est architecturale : elle est liée à l'architecture car les sculpteurs romans ne connaissent pas la ronde-bosse. La sculpture se trouve au niveau des chapiteaux. Les chapiteaux sculptés sont très fréquents dans la nef centrale, les collatéraux mais surtout à la jonction du chœur et du déambulatoire car à cet endroit les colonnes ne sont pas très hautes et les chapiteaux sont donc bien visibles. Les cloîtres sont aussi des lieux d'élection des chapiteaux sculptés pour la même raison.

Trois types de chapiteaux existent : les chapiteaux ornementaux portent des éléments du sculpture non figurative comme des feuilles d'acanthe stylisées par exemple ; les chapiteaux figurés montrent des animaux ou des humains mais sans raconter d'histoire ; les chapiteaux historiés en revanche sont le support d'une histoire comme par exemple un chapiteau de l'église d'Autun qui figure la visite des rois mages à l'enfant Jésus.

La sculpture romane est aussi très présente au niveau des façades. Les portails sculptés sont ainsi une invention romane. Pensons au portail de Moissac, dans le Tarn-et-Garonne. Les blocs qui composent le portail ont été préalablement sculptés avant d'être assemblés. Ainsi, les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse qui sont figurés sont en réalité vingt-quatre claveaux [1] différents.

Un art de l'allusion

La sculpture romane connaît de nombreux styles. Cela s'explique par le matériau utilisé. En effet, pour sculpter, il faut de la pierre. Or le transport coûtant cher, les carrières sont situées le plus près possible des ateliers de sculpteurs. Mais les pierres ont des caractéristiques différentes selon les régions, et de ce fait, sont plus ou moins faciles à travailler. Par conséquent, les artistes doivent tenir compte du matériau qu'ils ont à leur disposition : c'est la raison pour laquelle il existe une grande variétérégionale dans les styles.

La sculpture romane est narrative et symbolique. Elle vise aussi à émouvoir, à faire peur par exemple. Ainsi, à Sainte-Foy de Conques sont représentés des supplices destinés à effrayer les fidèles : un damné est pendu par les pieds tandis qu'un autre est écorché vif. La sculpture délivre aussi un message moral. À Moissac, est représentée la parabole du pauvre Lazare qui supplie vainement le riche de l'aider : le riche finit en enfer tandis que Lazare gagne le paradis. Le message est clair : l'avarice mène conduit à l'enfer.

L'endroit où se trouvent les sculptures dans l'église n'est parfois pas hasardeux : il existe un lien entre le lieu et le thème de la sculpture. Ainsi, les tympans ont une structure en arc de cercle propice à des compositions centrées. Or, généralement, une église étant orientée, le tympan est tourné vers l'ouest, là où le soleil se couche. C'est donc souvent l'occasion de représenter des Jugements Derniers pour faire un parallèle entre la fin des temps et la fin de la journée. On peut en admirer un exemple à Sainte-Foy de Conques. À Moissac, c'est l'Apocalypse qui est figurée sur le tympan.

Les sculpteurs n'ont pas beaucoup d'espace pour exprimer leur talent : un chapiteau ou un tympan leur impose un cadre bien défini duquel ils ne peuvent sortir. Par conséquent, ils utilisent des codes, des conventions que tout le monde comprend, comme les peintres romans. L'art roman est un art de l'allusion. Ainsi, à Autun, afin de signifier le temps long sur lequel se déroula la fuite en Égypte, l'artiste a figuré un âne levant la patte ainsi que quelques feuilles, qui sont autant de symboles traduisant l'idée d'une longue période. À l'époque, ils étaient compris de tout le monde.

Un art austère, hiératique

La sculpture romane est soumise à l'architecture, tout comme la peinture est subordonnée au texte. Le trumeau du portail de Moissac par exemple est orné de trois couples de lions entrelacés. Ces animaux sont traités de manière ornementale car les couples forment des X. L'aspect ornemental pousse donc à déformer la figure, ce qui montre bien que la sculpture est soumise à l'architecture.

Mais surtout, comme dans la peinture, la sculpture romane est hiératique. On représente des sujets religieux donc sacrés. Le style est donc austère, sévère car le sujet est sacré. Ainsi, comme dans la peinture, la sculpture obéit à des règles, des conventions : à Vézelay, les plis des vêtements sont figurés en tourbillon par exemple. Les visages sont peu expressifs : à Moissac, le visage de Dieu est représenté de face, sans sourire de manière à inspirer la crainte. On se dégage du réel dans la mesure où on ne peut pas s'abaisser à prendre modèle sur la réalité de ce bas monde pour représenter des choses divines, sacrées. De même, les Vierges romanes ne reflètent pas les rapports d'une mère à son fils. Au contraire, elles sont très hiératiques : l'Enfant est figuré sur les genoux de sa mère, regardant le spectateur : sa mère présente on fils au spectateur.

Les sculpteurs romans, afin de se dégager de la réalité, utilisent donc à la fois un système de conventions, de codes, ainsi que la raideur majestueuse. Voilà pourquoi le style de la sculpture romane est très austère. Cela change avec l'art gothique, qui commence vers le XIIe siècle environ.

La sculpture romane se caractérisait par un grand hiératisme. Ainsi, la vierge romane était représentée en majesté, l'enfant Jésus assis sur ses genoux. Le lien de mère à enfant n'existait pas. La sculpture gothique va progressivement se détacher de l'art roman en évoluant vers plus de réalisme. Comment expliquer cette évolution ?

Des représentations plus réalistes

Il faut toujours garder à l'esprit que l'art, comme toutes les autres activités humaines, se développe dans un contexte précis, et que ce dernier l'influence. Le changement de style dans la sculpture médiévale est lié au contexte politique et religieux.

Les XIIe et XIIIe siècles sont ceux où se déroulent les croisades. Leur objectif est de délivrer Jérusalem et les lieux saints. Beaucoup de croisés évoluent ainsi dans le paysage où a vécu le Christ. Les évangiles acquièrent ainsi un caractère plus concret, moins abstrait. De cette manière, le Christ apparaît avec une dimension humaine. Les représentations seront donc plus humaines, donc plus réalistes.

Ainsi, dans la représentation d'un Jugement dernier, Jésus est figuré torse nu et les deux mains levées ouvertes pour montrer ses plaies. Le Jugement est associé à la Passion : on insiste davantage sur le pardon de Dieu. C'est une représentation plus rassurante que celles de l'art roman où le Christ était figuré avec les symboles de la justice médiévale, assis sur un trône et la main droite levée.

Autre exemple d'humanité : le trumeau (pan de mur entre deux embrasures au même niveau) du portail du bras sud du transept de la cathédrale d'Amiens. La Vierge est debout (elle a la forme verticale du pilier) et tient le Christ dans ses bras. La mère et le fils se regardent. Cela contraste totalement avec la représentation de la Vierge à l'enfant de l'époque romane.

À l'intérieur d'une cathédrale gothique, la sculpture se trouve principalement au niveau des chapiteaux. Mais un nouvel élément apparaît dans l'église et offre un support important à la sculpture : le jubé. Le jubé est une barrière qui sépare le chœur de la nef et qui renforce ainsi le caractère sacré du sacrifice de la messe. Mais la plupart des jubés ayant été détruits à l'époque moderne, c'est une part énorme de la sculpture gothique qui a disparu. Dans l'Ain, on peut cependant toujours admirer le jubé de l'église de Brou (Bourg-en-Bresse).

Un exemple original de sculpture intérieure est à admirer dans la cathédrale de Reims. Le revers de la façade est couvert de niches à l'intérieur desquelles se trouvent des statues.

L'extérieur des édifices reflète quelques innovations gothiques. D'abord, la statue-colonne : c'est une statue taillée dans la même pierre que la colonne. Ensuite, sur les façades des cathédrales est représentée une galerie des rois dont l'ambiguïté tend à assimiler les rois de France aux rois de l'Ancien Testament.

Une iconographie entièrement religieuse

L'iconographie dans la sculpture gothique est entièrement religieuse. Certes la galerie des rois aux façades des cathédrales peut faire allusion au roi de France. Mais le roi est tout de même un personnage religieux.

Il est possible de dégager cinq grands thèmes de la sculpture gothique. La représentation du Christ met en rapport les deux avènements de Jésus. Souvent, sur le portail central est figuré le Jugement dernier et sur les deux portails correspondant aux collatéraux, la naissance du Christ. L'Apocalypse est figurée sur la façade occidentale car c'est à l'ouest que le soleil se couche : la fin de la journée est mise en parallèle avec la fin des temps [2].

Le deuxième grand thème se retrouve dans les noms de certaines cathédrales : Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Reims... L'art gothique accorde une très grande place à la vierge Marie. Le culte marial au Moyen Age est très répandu.

Les saints ayant illustré leur diocèse constituent un troisième thème de la sculpture gothique. Le thème du temps se traduit par la représentation des douze mois de l'année. L'objectif est de montrer que le temps appartient à Dieu. Enfin, dernier thème de la statuaire gothique, l'Église et la Synagogue sont incarnées par deux jeunes femmes. L'Église est représentée les yeux ouverts tenant un calice, symbole de la foi. La Synagogue est figurée les yeux bandés avec une lance brisée : la lance qui était au service de Dieu n'a plus d'utilité car les juifs ont refusé de voir le Messie en la personne du Christ.

Le sourire de l'ange de Reims

L'évolution stylistique qui a poussé l'art gothique vers un plus grand réalisme dans les années 1240 s'est faite progressivement. Quatre grandes étapes peuvent être identifiées pour la retracer.

La première se caractérise encore par des représentations conventionnelles et par la frontalité des figures. La deuxième, vers 1170, désigne ce que l'on appelle le « style de Senlis ». En effet, c'est à Senlis que se sont manifestés les premiers mouvements dans les statues et les plis des vêtements. Vers 1200, les plis sont plus proches du naturel, les membres entrent en mouvement. Mais c'est un style antiquisant : les personnages sont dans des toges à la romaine. Les sculpteurs regardent l'antiquité plutôt que la nature, à cause de certains préjugés.

La dernière étape se situe aux alentours de 1240. Cette fois, on copie vraiment la réalité. Les personnages sont représentés comme des gens du Moyen Age. Ainsi, dans l'une des niches se trouvant au revers de la façade de la cathédrale de Reims, un chevalier est représenté en train de communier : il a les mains jointes, sa tête est tournée vers le prêtre qui lui tend l'hostie. Le corps est donc en mouvement. Et la tenue du chevalier est constituée du haubert [3] et de la tunique dont les plis sont très réalistes. Sans oublier l'épée dans son fourreau qui pend sur le côté.

Enfin il est impossible de parler de Reims sans évoquer le fameux ange de l'Annonciation qui sourit à la Vierge Marie. Car le réalisme gothique s'intéresse aussi à la psychologie. On représente aussi les expressions des personnages.

Le réalisme qui voit le jour dans la sculpture gothique dans les années 1240 n'est cependant pas total : on ne représente que de belles formes, que des êtres humains parfaits.

 


[1] Un claveau est le nom donné à chaque pierre qui compose une arcade, un arc ou une voûte.

[2] La plupart des églises sont orientées (littéralement : tournées vers l'orient, vers l'est). Le chœur, le lieu sacré de l'église, est tourné vers Jérusalem. La façade est donc occidentée (tournée vers l'ouest, où le soleil disparaît à la fin de la journée).


[3] Le haubert désigne la cotte de maille.