Dans le cadre de l'étude du « paquet télécom », le Parlement européen s'est prononcé ce matin à une très large majorité en faveur d'un amendement qui compromet fortement le concept de riposte graduée tel que souhaite le voir voté le ministère de la Culture. Cet amendement, numéro 138, prévoit en effet qu'aucune restriction aux libertés et droits des consommateurs en matière d'information et d'expression ne puisse être prise sans l'intervention de la justice. Appliquée au domaine de l'Internet, cette proposition contrecarre l'idée même de suspension de l'abonnement à Internet d'un consommateur, l'un des piliers de la future loi « « Création et Internet ». L'amendement 166, qui condamne quant à lui le principe de filtrage des réseaux, a également recueilli les votes de la majorité des parlementaires.
« En vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire en application notamment de l'article 11 de la charte des droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement », énonce cet amendement, proposé par les députés Guy Bono et Daniel Cohn-Bendit.
« Cet amendement garantit que le projet de loi français sur la riposte graduée qui évacue l'autorité judiciaire au profit d'une autorité administrative ne pourra pas voir le jour en Europe. Il confirme ainsi clairement la résolution du Parlement européen du 10 avril dernier qui avait déjà soulignait que la coupure de l'accès à internet est disproportionnée », commente Guy Bono dans un communiqué émis à l'issue du vote. L'amendement 138 a finalement recueilli 573 voix pour, et 54 voix contre.
L'amendement 166 compromet quant à lui l'idée de filtrer automatiquement les réseaux pour y freiner la circulation de contenus soumis au droit d'auteur, une composante moins visible mais bien réelle des accords de l'Elysée passés en novembre dernier entre le gouvernement, les ayants droits et les fournisseurs d'accès à Internet. « Les états membres doivent s'assurer que toute restriction aux droits de l'utilisateur à accéder à du contenu, à des services ou à des applications, doit être appliquée par des mesures appropriées, en accord avec les principes de proportionnalité, d'efficacité et de dissuasion. Ces mesures ne doivent pas avoir pour effet d'entraver le développement de la société de l'information (…) et ne doivent pas interférer avec les droits fondamentaux des citoyens, y compris le respect de la vie privée et une procédure régulière », précise l'amendement 166.
Alors que l'on attend la première lecture du projet de loi Création et Internet, dite loi Hadopi, avant la fin de l'année, le cabinet de Christine Albanel risque de devoir revoir rapidement sa copie s'il ne veut pas présenter devant les Chambres françaises un texte diamétralement opposé aux conclusions du parlement européen. « On ne joue pas comme ça avec les libertés individuelles. Le gouvernement français doit revoir sa copie! », se félicite Guy Bono. Au niveau européen, le texte devra toutefois encore passer devant le Conseil de l'Union et la Commission européenne, qui pourraient se montrer plus conciliants à l'égard du modèle de riposte graduée à la française. Il reste également à s'entendre sur ce qu'englobe la notion de libertés individuelles lorsqu'on la rapporte à l'accès à Internet.