(Folio n° 4561)
Bienvenue dans l'atelier de M. Albert, rue de Turenne dans le IIIème arrondissement de Paris. Ces trois vestes et les autres confectionnées dans l'atelier doivent leur nom de baptême à Madame Léa - la femme de M. Albert -, qui se charge de nommer chaque vêtement de chaque collection. Et en cette année 1949, la nouvelle collection portera les noms des chansons préférées de Madame Léa.
Seulement, comme chaque année, il arrivait dans la collection que des vestes ne soient jamais vendues, parce que non commandées par les revendeurs. Elles restaient ainsi, accrochées à leur
Première étape dans leur nouvelle vie : la transformation de l'amertume d'être laissées-pour-compte en un privilège. Car, que deviennent les vestes quittant le confort de l'atelier ? Elles partaient vers une autre vie, inconnue, dans un endroit que tout le monde à l'atelier nommait la rue, la ville et dont aucune ne revenait. Comme elles sont attentives au moindre mot, à la moindre discussion, elles enregistrent toutes les expressions utilisées dans l'ateleir de M. Albert. Paroles d'hier et d'aujourd'hui, d'espoirs, de sentiments et d'existence. Et ces trois vestes, très perspicaces, sont intimement persuadées qu'elles sont désignées pour transmettre l'histoire de ceux qui leur avaient donné la vie. "Elles écoutèrent les histoires qui tenaient compagnie : des histoires de guerre et des recettes de cuisine, des histoires de bal du dimanche et des histoires de ciel bleu et du temps qu'il faisait. Des histoires de mariage, de photographies de vacances à Berck-plage, des histoires de grève et de carnets scolaires et de prix des légumes et la couleur des voitures et celles de l'arc-en-ciel et l'histoire du lapin sortant d'un chapeau".
Nos trois vestes de "Laissées-pour-compte" de Robert Bober sont aussi vivantes que des personnages de roman. Elles éprouvent des sentiments humains au travers de leurs aventures et de leurs découvertes tels que la joie, la peine, la peur, le plaisir, l'angoisse, l'émotion ou encore la mélancolie. Si elles jouent sur la gamme des sentiments, il n'y a pas que cela dans ce joli roman. Au détour d'une page, d'un paragraphe, on retrouve le décor des music-hall d'avant et d'après-guerre, avec les vedettes de l'époque et leurs airs à la mode. Sans vraiment le vouloir, on se revit l'atmosphère de Bobino, de l'Alhambra, de l'ABC ou du Bataclan.
"Laissées-pour-compte" est un livre rafraîchissant, gai, coloré et optimiste alors qu'il raconte des histoires que l'on subodore difficiles, dures, éprouvantes pour la plupart des personnes humaines du roman. Tout n'est que supposé, instillé sans jamais être clairement affirmé. C'est un roman rempli d'humanité, de chaleur et de souvenirs émouvants. Et on se prend à fredonner quelques chansons entre les pages ...