La crise ? En dehors du secteur financ

Publié le 26 septembre 2008 par Hrvatska

La crise ?

En dehors du secteur financier, la crise n'a pas encore véritablement déployé ses effets en Croatie. Parmi plusieurs raisons, il faut sans doute y voir le fait que la saison touristique vient tout juste de s'achever. Le tourisme représente une bonne part du PIB du pays (18% en 2007), et il crée évidemment un gros afflux de devises. Une autre raison peut être liée à l'inflation qui est supérieure aux taux d'intérêts. A tort ou à raison, les personnes qui ont les moyens d'épargner ne semblent pas juger que ce soit très utile dans ces conditions et c'est pourquoi tout part dans la consommation. N'étant pas économiste peut-être que les vraies raisons sont à chercher ailleurs. En tout cas, ici à Zagreb, je peux témoigner que les magasins ne désemplissent pas.

Et pourtant la crise sera brûtale. C'est comme un flot qui monte et qui promet des dégâts. Pour l'instant l'atmosphère et un peu irréelle et elle me fait songer au chapitre XX du "Pont sur la Drina", un classique d'Ivo Andric, seul écrivain yougoslave à avoir obtenu le Nobel de littérature.

Dans ce roman, dont l'action se passe en Bosnie, l'auteur décrit dans les chapitres précédents l'arrivée des Autrichiens qui avaient modernisé le pays et y avaient apporté une certaine prospérité lui ayant fait défaut auparavant. C'est ce qu'il nomme la période de l'occupation.

En revanche dans le chapitre XX, on assiste à un retournement complet de la situation. Les conditions changent sur la scène internationale ; d'ailleurs la déflagration de la Première Guerre mondiale n'est plus très éloignée. Pour Lotika, tenancière d'un hôtel, rien ne va plus.  

"Les spéculations de Lotika n'allaient guère mieux que les affaires de son hôtel. Dans les premières années de l'occupation, il suffisait d'acheter n'importe quelles actions de n'importe quelle entreprise pour être sûr d'avoir bien placé son argent, la seule incertitude étant l'importance des bénéfices. Mais à l'époque, l'hôtel venait juste d'ouvrir et Lotika ne disposait ni de suffisamment d'argent liquide, ni du crédit dont elle jouit par la suite. Et lorsqu'elle eut enfin et l'argent et le crédit, la situation sur les marchés avait changé. Une de ces grandes crises qui reviennent de façon cyclique avait frappé la monarchie austro-hongroise à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les valeurs de Lotika s'étaient mises à valser comme poussière au vent. Elle pleurait de rage en lisant chaque semaine le Merkur de Vienne, avec les derniers cours de la Bourse. Tous les revenus de l'hôtel qui marchait encore bien à l'époque, ne suffisaient pas à combler les trous dus à la chute générale des valeurs. Elle eut alors une grave dépression nerveuse qui dura deux longues années. Elle était comme folle de douleur. Elle parlait avec les gens, mais n'écoutait pas plus ce qu'ils disaient qu'elle ne réfléchissait à ses propres paroles. Elle les regardait sans les voir, car elle avait sans cesse devant les yeux les rubriques du Merkur, imprimées en caractères minuscules, qui devaient lui apporter le bonheur ou le malheur. C'est alors qu'elle se mit à acheter des billets de loterie. Puisque tout n'était qu'une affaire de chance et de hasard, autant aller jusqu'au bout. Elle jouait à cette époque à toutes les loteries possibles de tous le pays. Elle réussit même à se procurer un quarté de la grande loterie espagnole de Noël dont le gros lot s'élevait à quinze millions de pesetas. Elle tremblait à chaque tirage, pleurait devant les listes des numéros gagnants. Elle priait Dieu qu'il se produisît un miracle et que son billet lui rapportât le gros lot. Mais elle ne gagnait jamais."

Source : Ivo Andric - Le Pont sur la Drina - Belfond, 1994, pp 324-325. Traduit du serbo-croate par Pascale Delpech.