Beware of the Bolivian cavalry
La crise financière s’étend comme une peste, la puissance américaine vacille, et avec elle l’équilibre du monde. Jean-Michel Aphatie, qui, pour montrer sa binette au Grand Journal de Canal+, n’en reste pas moins un des éditorialistes les plus fins de ce pays, nous rappelle ce matin dans son blog (Une civilisation en crise, 26/09), que nous vivons tous, humains de la planète, dans le même bateau. Il pose crûment la question des conséquences : si les Etats-Unis ne peuvent pas soutenir à la fois (c’est ce qu’il pense) le sauvetage de leur économie (mille milliards de dollars reste une belle dépense, même pour l’Empire) et le maintien de leurs deux expéditions coloniales en Irak et en Afghanistan, alors la crise des subprimes peut bien être à l’origine d’un retournement complet de la situation géopolitique mondiale.
J’ai tendance à croire également que nous ne sommes pas à l’abri d’un changement radical. Européens, Occidentaux, nous sommes habitués à dominer le reste du monde (c’est ce que nous faisons depuis la Renaissance). De plus, nous sommes en paix depuis 1945 et, en deux générations, nous nous sommes habitués à cela aussi, à un tel point que nous croyons que l’Histoire est finie. Or l’équilibre actuel repose sur la puissance économique et militaire américaine, véritable armée mondiale, présente sur tous les continents, sur tous les océans et dans l’espace (rappelons que les Etats-Unis dépensent autant pour leurs armées que l’ensemble des autres pays du monde réunis).
Toute la question que les media globalisés posent ces jours-ci est de savoir si la crise financière est une vague assez grande pour abattre le colosse, s’il est possible de réformer le système pour éviter la répétition de telles crises, et s’il ne faut pas “moraliser” ce même système pour le rendre plus juste. Malheureusement, l’essentiel est une crise différente, qui, elle n’est pas subite mais couve à feu lent depuis des décennies, et qui conditionne largement la suite de l’histoire : l’épuisement de la planète.
A quoi bon sauver le système économique mondial, et partant la stabilité géopolitique du monde, si nous courons de toute façon vers la catastrophe à toute vapeur?
Un excellent documentaire suisse diffusé récemment sur Arte (Cruel sera le réveil - le crash pétrolier) nous montre comment l’humanité a vécu au-dessus de ses moyens en finançant son développement démographique et technologique, depuis 150 ans, par le recours à une énergie quasiment gratuite, mais qui s’épuise. En particulier, le recours au pétrole a permis la révolution démographique des années 1960, qui a permis l’explosion de la population mondiale. Or, l’absence d’une solution toute prête de remplacement implique des conséquences que nous ne sommes pas prêts non plus à gérer. Qui sait par exemple que sans pétrole, la Terre ne pourra nourrir que 1,5 à 2 milliards d’humains ?
Il est largement temps de réfléchir sérieusement à un certain nombre de questions fondamentales et d’y répondre avec des actions concrètes, pas seulement dans un pays, mais à l’échelle mondiale.
Peut-on continuer à faire comme si l’expansion continue de la population humaine n’était pas un facteur ?
Peut-on se passer encore longtemps de réfléchir à des solutions de long terme au lieu de céder à tous les lobbies au jour le jour, et de réagir aux crises quand elles sont déjà là ?
Peut-on continuer par exemple à investir 70% des fonds de recherche européens dans le nucléaire alors que cette énergie est peu fiable, dangereuse, extrêmement polluante et soumise, plus que d’autres, aux effets du dérèglement climatique ?
Les décideurs politiques et les commentateurs font penser à la fin du film Butch Cassidy and the Sundance Kid, quand les héros éponymes se penchent sur une falaise à cent mètres au-dessus d’un torrent et en se demandant s’ils vont vraiment sauter, car ils risquent de se noyer. C’est la chute qui vous tuera…
La meilleure issue possible à la crise actuelle, si tout se passe bien, sera de réparer effectivement le système financier et de perpétuer le status quo. Si on ne prend pas conscience par la même occasion que les questions principales sont la justice sociale, et surtout l’équilibre global entre l’homme et la planète, le remède ne sera qu’une illusion temporaire. Il ne nous restera qu’à dire, “en somme, Docteur, je meurs guéri!”*. Il ne faudrait pas que le bateau dans lequel nous vivons tous ne devienne, à la faveur d’un prochain cyclone, le radeau de la Méduse.
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* Comme Fontenelle, sur son lit de mort.
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