Et voilà mon homme me ramène un livre témoignage d’une école alternative, "Totto-chan, la petite fille à la fenêtre" de Tetsuko KUROYANAGI, lui précautionneux dans les chemins alternatifs, juste au début du sentier.
*source illustration de Chihiro IWASAKI (dont certaines illustraient le livre dans sa version japonaise)
Nous suivons les souvenirs autobiographiques de la jeune Totto-chan (à prononcer Tot-to-tchan), plus connue sous son nom d’adulte, Tetsuko KUROYANAGI, femme célèbre de la télévision japonaise. Elle aurait pu devenir une méchante fille, mais, renvoyée de sa première école primaire, elle se retrouve dans l’école TOMOE de Mr Sôsaku KOBAYASHI.
Les chapitres, très courts, se suivent comme dans un journal intime, le style est décousu, quelque fois un peu trop candide mais l’enthousiasme a été au rendez-vous. Entre des anecdotes d’enfant, la pédagogie de cette école pas comme les autres, des années 1940, même vue à travers le prisme des souvenirs d’une gamine de 6 ans, est tellement fraiche, vive et différente. Oui, j’aurais aimé, après ce récit, quelques prolongements, quelques éléments pédagogiques supplémentaires. De quoi relier les actes avec une vraie prise de conscience. Le travail sur la pédagogie reste entier.
*source, un Tomoé trouvé par NukeD4
A de nombreux niveaux, cette école m’a fait rêver. Au premier lieu, une géographie différente : un portail fait de deux arbres bien vivants, une pancarte avec un symbole, le Tomoe; des salles de classe dans des wagons, une salle principale sous un hall comme vrai lieu de rassemblement, d’amusement et de partage. Puis des mesures bien acrées dans une pédagogie souple, respectueuse et proche du quotidien. Dans ce cadre scolaire, les élèves apprennent autant des cours, dont le programme nous est que peu indiqué,
que du quotidien : la cuisine, la nature, les émotions de la vie, les arts. Chacun peut donc avoir un savoir à transmettre, à son niveau.
L’approche par la rythmique est la ligne directrice de cet enseignement. Le Directeur, Mr KOBAYASHI, est un fervent enthousiaste de la pédagogie JACQUES-DALCROZE. Musicien lui-aussi, il reprend alors les exercices de ce chansonnier suisse célèbre, se les approprie et en invente d’autres pour répondre à la demande des élèves de son école. Cette partie est si passionnante qu’elle fera l’objet d’un autre billet.
De nombreux gestes dévoilent aussi une vraie démarche pour être à l’écoute des enfants. Une mise en position dans les attitudes : il ne suffit pas de se pencher mais il faut se mettre à la hauteur des enfants, yeux dans les yeux. Une écoute attentive, respectueuse et intéressée des propos de l’enfant. Une vraie démarche de responsabilisation et d’autonomie : l’enfant peut faire des erreurs, si elles ont une raison d’être pour eux, il leur était permis de la terminer, à partir du moment où ils résolvaient eux même leur problème et réparaient les dégâts causés. Une vraie prise en compte de l’investissement des enfants dans leurs actes, même maladroits ainsi Totto-chan achète une écorce de santé (vraie duperie de marchand ambulant) pour connaître avec joie la bonne santé de tous ses amis, « facticement affichée » par la non-amertume de ce bout de bois : l’amitié prime à la désillusion de la vie. Une vraie compréhension de ce qu’est un enfant : une concentration diffuse, des vêtements pour se salir, une curiosité réelle, un être de mouvements à la géographie illimitée (besoin d’espace, de choix du lieu de concentration, besoin de bouger …). Nous prenons aussi une vraie leçon de remise en place de nos priorités : la pose des limites diffère donc des autres écoles. Une autre optique pour moi aussi. Avec un superbe exemple d’"affalage" de corps sur le sol de la salle commune, pour apprendre la musique, le rythme et non les portées, une craie à la main : ils écrivent partout sur le parquet et font le ménage consciencieusement après.
L’accueil du handicap se veut aussi comme une assimilation réelle et non une pierre d’achoppement. L’attitude en cours n’est pas figée, d’autres espace de connaissance laissent aussi le corps à sa liberté : par terre, accroupis, allongés, assis, chaque enfant choisit sa position. La nudité à la piscine est utilisée pour rendre les enfants identiques dans la communauté des enfants. Des attentions sont encore plus louables : une Fête des Sports où les exercices sont créés de telle façon que le handicap d’untel le privilégie (une confiance en soi enracinée dans la prime enfance pour surmonter les obstacles de la vie d’adulte).
La place des arts est primordiale, placée comme une expression de soi et non un exercice de cours : prise de parole à l’oral sans jugement possible (pas de présentation d’un devoir mais bien une oralité sur ses propres intérêts), poésie au quotidien, chant tous les midis. La bibliothèque est elle-aussi un espace différent : ouverte à tous, où toute lecture est bienvenue (pas de cloisonnement), où le silence n’est pas de rigueur et où le partage peut être direct.
Les balades et activités collectives sont importantes : campings, pique-niques, vacances et pèlerinages. Une manière de privilégier les rapports aux autres, les amitiés, la solidarité par l’exemple et la prise de confiance par les actes.
Sans compter que les parents de Totto-chan avaient cette ouverture d’esprit propre à laisser s’épanouir leur fille : compréhension de l’attention fluctuante d’un enfant, prise en compte de ses envies selon son investissement, sensibilité aux attitudes des enfants…
Une vraie ouverture sur une école qui met en branle tous les repères de ses consœurs au Japon (et en France) : « Ne transformez pas les enfants pour qu’ils entrent dans un moule, avait-il [Mr KOBAYASHI] précisé à son équipe d’enseignants. Laissez-les s’épanouir naturellement. Leurs rêves dépassent les limites de vos projets éducatifs. » Ou comment reprendre une des institutrices dans sa cuisine et non en salle des professeurs devant ses collègues. Ou considérer le cycle primaire comme le plus important pour les bases de l’adulte… hum j’y ai vu des soupçons de concordance avec Maria MONTESSORI, dont je parlerais plus avant.
*source Chihiro IWASAKI (je ne m’en lasse pas)
Pour en revenir au « roman », voici quelques avis, un très complet en pédagogie, entre hyperactivité, programmes et remise en cause d’un enseignement conformiste ici, les attentes d’une débutante en enseignement là ou encore un "cercle des poètes disparus en primaire", un avertissement à la course à la performance ici. Puis d’autres avis ici, là et là.
Allez une petite illustration et un extrait là, une poupée Totto-chan ici et une comparaison entre notre « Petit Prince » et leur « Totto-chan » proposée ici, deux lectures essentielles à leur niveau, où reviennent le héros, un enfant, où les adultes sont compréhensifs, où les thèmes sont aussi similaires même si l’auteur de cette comparaison en oublie encore avec des différences aussi. Cet exercice de style a une vraie valeur en ce sens qu’un livre comme celui-ci est une vraie ode à relecture, à pédagogie nouvelle…et dire qu’il y eu un film, dirigé par Kazuki OMORI, « Totto Channel »…