Lundi sera-t-il un “lundi noir” ? / par Alain Sueur

Que se passera-t-il si le plan de sauvetage du système financier américain n’est pas approuvé par le Congrès d’ici lundi ? Eh bien probablement un lundi noir sur les marchés…

La faillite de Washington Mutual aurait probablement pu être évitée si un plan avait été signé hier. Mais la panique en son absence prend de telles proportions que le retrait des dépôts a atteint des sommes incompatibles avec la poursuite de l’activité de l’établissement. Pronostiquons que si un plan n’est toujours pas décidé lundi prochain, ce genre de comportement va se répandre. Et d’autant plus vite que, par la théorie des chaises musicales, nul ne voudra être le dernier à sortir.

Outre les faillites de banques, les sociétés industrielles et de services, qui vivent sur le crédit bancaire, seront de plus en plus affectées dans les semaines à venir. D’abord sur l’oxygène du financement; ensuite sur leurs ventes mêmes. Les faillites d’établissements financiers entraînent du chômage qui se répand comme la poudre dans l’économie qu’on ose à peine qualifier de “réelle” tant tout est lié. La réalité moderne, c’est l’interconnection, et ce que fait l’un retentit sur ce que fait l’autre.

Dans de telles circonstances, le dollar - cette image mondiale de l’Amérique - risque d’être violemment affecté. Sa chute entraînera de nouvelles dépréciations d’actifs dans les banques étrangères et dans les réserves en dollars des pays émergents. Et de considérables difficultés pour les Etats-Unis à refinancer leur dette. Tout en les empêchant de jouer une fois de plus la locomotive qui tire le monde par sa consommation.

La Chine, qui avait déjà pris un air pincé pour rappeler la morale de Confucius face aux appétits inconsidérés des traders américains (”des cochons devant une auge”), pourra peut-être jouer un autre jeu. Après tout, elle est de plus en plus impliquée directement dans les sociétés américaines, via ses fonds souverains. Elle peut rallier sans problème nombre de pays rebelles à la tutelle de New York et de Washington : le Venezuela, la Bolivie, le Soudan, l’Iran. Pourquoi pas la Russie, tactiquement intéressée à “se venger” du camouflet géorgien ? Pourquoi pas une France volontiers anti-américaine et populiste, si la crise s’aggrave ?

Mais pourquoi donc un plan Paulson aménagé ne pourrait-il pas être signé d’ici lundi ? Peut-être le sera-t-il, si la raison l’emporte. Mais il est une raison autrement puissante que l’intérêt général : la politique.

Les Etats-Unis se trouvent malheureusement en campagne électorale et l’enjeu est autrement plus fort que d’habitude, du fait que l’un des candidats est Noir. Nous ne sommes pas seul à penser qu’un tel candidat peut changer l’image de l’Amérique et faire oublier au bout d’un certain temps l’ère désastreuse de George W. Busch, sa guerre sur mensonge, l’occupation absurde de l’Irak, son refus de discuter de quoi que ce soit sur le climat, son laisser-faire en finance irrationnelle. Mais l’Amérique profonde est réticente envers la nouveauté et envers le lobby des juristes de Washington comme des traders de New York. Les sénateurs républicains (qui doivent être renouvelés pour partie à l’occasion de l’élection présidentielle de novembre) reçoivent nombre de courriels incendiares contre le plan Paulson.

D’où la tactique conseillée à Mc Cain : tergiverser. Si des aménagements allant vers la position des conservateurs Républicains limitent les conséquences du plan sur les ménages classe moyenne, c’est bien; si la crise échappe aux pompiers pyromanes pour dégénérer en panique comme dans les années 30, alors qui mieux que le vétéran Mc Cain aura l’image de recours et de Sauveur que réclamera l’Amérique durant ce mois d’octobre propice à tous les krachs ? Tout se joue à quelques voix et cela peut payer.

C’est pourquoi il n’est pas inutile de penser que tout puisse aller plus mal lundi - si aucun plan de sauvetage n’est décidé d’ici là. Wait and see.