Article de Paul Cosquer dans Agoravox.fr
Le projet de loi de mobilisation pour le logement, déposé en conseil des ministres en juillet, n’a pas fini de susciter de vives critiques de la part des associations qui y voient un recul
important. Elles ont raison ! Le rapport du député Etienne Pinte, remis en toute discrétion au Premier ministre le 5 septembre, vient confirmer la réduction volontaire de l’effort
budgétaire en faveur du logement social.
Surveillez bien les trottoirs cet hiver, les sans-abri y seront plus nombreux ! Officiellement, la politique menée est supposée mobiliser pour le logement social. Dans la réalité, les crédits
sont réduits, bloqués, gelés, parfois même détournés (prélèvement par l’Etat des 800 millions d’euros supplémentaires dans les caisses du "1 % logement"). Les mesures efficaces sont écartées. A la
place, la ministre du Logement, Christine Boutin, impose ses mesures autoritaires dont celle qui consiste à vider de sa substance l’article 55 de la loi SRU (obligeant les
communes à respecter un quota de 20 % de logements sociaux). Rappelons que Sarkozy, ancien maire de Neuilly, s’est toujours assis sur cette loi.
1 - Le rapport Pinte ou l’art de prêcher dans le désert :
Commençons par examiner ce qui ne va pas selon le diagnostic posé par le député Etienne Pinte.
- Qui est Etienne Pinte ? Maire de Versailles (UMP) de 1995 à mars 2008, Etienne Pinte a mené une politique du logement très active dans sa ville. La Fondation Abbé
Pierre a reconnu ses efforts et a fait figurer Versailles en tête des bons élèves de son palmarès 2008 des "communes soumises à l’obligation de disposer de 20 % de logements sociaux d’ici 2020".
Etienne Pinte reste aujourd’hui député des Yvelines. Il est aussi parlementaire en mission auprès du Premier ministre sur la question de l’hébergement d’urgence et l’accès au logement des
personnes sans abris ou mal logées. C’est à ce titre qu’il a produit deux rapports. Dans le premier figuraient des propositions intelligentes qui ont donc été écartées. Le second rapport
est parvenu trop tard, Mme Boutin lui ayant grillé la politesse en faisant entériner son projet de loi en conseil des ministres le 27 juillet.
- Ce que dit en substance le second rapport pinte :
Le rapport Pinte demande de "consolider les efforts budgétaires de l’Etat en matière d’hébergement et de logement tant que la crise ne sera pas résorbée". "Nous ne construisons pas
assez de logements très sociaux, ou de logements adaptés aux populations les plus fragiles", dit-il encore.
Le rapport constate aussi que le compte n’y est pas et que le budget du logement de 2009 sera encore pire que celui de 2008 : il rappelle que, sur les 798 millions d’euros votés dans la loi de
finances pour 2008, seuls 643 millions ont été effectivement répartis tandis que le solde (155 millions) était officiellement gelé ou non utilisé.
Le rapport alerte sur les besoins : il chiffre à 1,256 milliard d’euros les crédits nécessaires au programme budgétaire "hébergement". Il demande également le maintien du financement
budgétaire des aides à la pierre à hauteur de la dotation votée en 2008, soit 800 millions d’euros.
Il émet un certain nombre de propositions très sensées dont une qui va complètement à l’encontre du projet Boutin, déjà ficelé, puisqu’il suggère fortement de "faire mieux appliquer
l’article 55 de la loi SRU" qui fixe le quota communal de 20 % de logements sociaux. Mieux ! Il n’hésite pas à proposer de rendre obligatoire, dans les communes en constat de carence au
regard de l’article 55, la réalisation d’au moins 30 % de logements sociaux. De même, il préconise d’augmenter les prélèvements financiers versés par les communes qui ne respectent pas les
objectifs de l’article 55.
2 - Le projet de loi de mobilisation pour le logement de Mme Boutin :
Disons-le d’emblée, Mme Boutin ne tiendra pas compte, pour son projet déjà validé en conseil des ministres, des propositions de son camarade député de l’UMP, pourtant expert
dans les questions de logement social et reconnu pour ses réalisations concrètes à Versailles.
Le premier rapport d’Etienne Pinte, remis le 29 janvier 2008, a bien servi de base à l’élaboration du "chantier national 2008-2012 pour les personnes sans abri ou mal logées". Il
s’agissait alors de mettre en œuvre un ensemble de mesures immédiates pour assurer l’hébergement d’urgence des sans-abri. Mais, ce plan intervenait aussi pour calmer les manifestations en faveur
des sans-abri de 2007. Une fois l’ordre public rétabli, l’art de la politique de Mme Boutin a consisté à tout faire traîner (en particulier la consommation des crédits) et à annoncer
spectaculairement des idées qui sont autant de non-réponses à la crise aiguë du logement, à coups de formules sarkozistes comme "mesures de rupture", "on va faire sauter des
tabous", "Une France de propriétaires" et de mesures magiques comme la maison pour 15 euros par jour.
Il serait trop long d’énumérer ici les préconisations du rapport Pinte écartées par Mme Boutin. Voir sur ce point le document de synthèse publié par le quotidien La Croix.
De nombreuses mesures du projet Boutin sont critiquées :
la remise en cause de l’article 55 de la loi SRU : les habitations en accession sociale à la propriété seront
intégrées dans le quota des 20 %. Déjà que Mme Boutin avait écarté d’un revers de main la proposition du premier rapport Pinte suggérant de donner aux préfets un pouvoir de substitution aux
maires en cas de non-respect par ces derniers du quota (avec droit de préemption) ;
la réduction à un an de la suspension de l’exécution d’une décision d’expulsion : les familles
expulsées iront grossir les rangs des demandeurs de logements sociaux ! ;
l’intermédiation locative : cette nouvelle formule qui permettra la sous-location par les HLM aux
personnes relevant du droit au logement opposable, mettra des familles dans l’insécurité puisqu’elles ne seront signataires d’aucun bail (remplacé par une simple convention
d’occupation).
Conclusion : cela va mal ! La part des dépenses liées au logement dans le budget de l’Etat est passée d’1,36 % à 1,11% du PIB entre 2000 et 2007 et le budget de la mission "ville
et logement" doit baisser de près de 10 % d’ici 2011. Les derniers chiffres de la construction montrent une baisse de 2,6 % des mises en chantier et de 10,7 % des permis de construire sur
les douze derniers mois. Le Conseil de l’Europe a condamné la France par deux décisions publiées le 5 juin, pour les lenteurs observées dans la concrétisation du droit opposable au
logement. La crise va renchérir le coût des crédits et donc faire obstacle à l’acquisition de propriété. Le nombre de sans-abri s’élève en France à environ 100 000. Il existe 600 000
logements indignes, 900 000 personnes sans domicile personnel et 3,5 millions de mal-logés. Pour sortir de cette situation, il faudrait construire 500 000 logements par an, dont 120 000 logements
sociaux, dit le rapport Pinte.
Indifférente à tous ces signes alarmants, la politique du logement de Mme Boutin poursuit son chemin. Sans états d’âme. Une non-politique du logement en fait !