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25 septembre 1897/Naissance de William Faulkner

Par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours


  Le 25 septembre 1897 naît à New Albany, dans le Missouri (Mississippi), William Faulkner. Ci-dessous une page illustre de Monnaie de singe, le premier roman de William Faulkner.


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PER ARDUA AD ASTRA
  Donald Mahon, couché, éprouvait un paisible bien-être à sentir autour de lui le printemps invisible dont il avait perdu la mémoire, la verdure qu’il ne pouvait ni se rappeler ni oublier. Puis le néant dans lequel il vivait le ressaisit tout entier, mais sans lui laisser de repos. C’était comme une mer où il ne pouvait s’enfoncer complètement, d’où il ne pouvait davantage s’évader. Au matin succédait l’après-midi, puis la tombée du soir, le soir qui, pareil à un navire de rêve aux voiles teintées de crépuscule, descendait sur le monde pour s’enfoncer dans la nuit. Et soudain il s’aperçut qu’il quittait ce monde ténébreux, où il avait vécu pendant un temps qu’il ne pouvait se rappeler, pour retrouver le jour depuis longtemps révolu, qu’avaient déjà connu avant lui tous ceux qui ont vécu, qui ont pleuré et qui sont morts. Ce jour, qui lui redevenait présent, c’était son jour à lui, le seul : l’unique trophée qu’il avait pu arracher au Temps et à l’Espace. Per ardua ad astra.
  Je n’aurais jamais cru que je pouvais emporter tant d’essence, se dit-il, sans s’étonner d’être partout à la fois, et quittant un monde de ténèbres qu’il avait depuis longtemps oublié, et constatant que ce jour, qui lui était familier, qui lui appartenait en propre, approchait de midi. Il devait être environ dix heures, car le soleil n’avait pas encore atteint le zénith et était encore de quelques degrés en arrière de lui, puisqu’il voyait l’ombre de sa tête couper familièrement la main qui tenait le levier de commande, et l’ombre du rebord de la carlingue à ses flancs et sur ses genoux, tandis que le soleil venait frapper directement son autre main négligemment posée sur le rebord du fuselage. Même l’aile inférieure était partiellement recouverte par l’ombre de l’aile supérieure.
  Sans doute, il est dans les dix heures, se dit-il, avec le sentiment de se retrouver en pays de connaissance. Bientôt il regarderait l’heure pour être sûr, mais pour le moment… Avec la promptitude et l’habileté de l’expérience, il parcourut l’horizon d’un bref regard d’observateur, jeta un coup d’œil en l’air, vira légèrement sur l’aile pour voir en arrière. Rien d’inquiétant. Le seul appareil en vue était très loin sur sa gauche : un de ces lourds appareils d’observation qui travaillent pour l’artillerie. Au-dessus de lui, un rapide coup d’œil lui révéla un couple d’éclaireurs, et plus haut encore il devait y en avoir deux autres.
  On pourrait y aller faire un tour, se dit-il, son instinct l’avertissant que c’étaient des Boches, et il calcula s’il pouvait ou non atteindre l’avion de réglage de tir avant d’être vu par les éclaireurs qui assuraient sa protection. Non, je ne crois pas, pensa-t-il. Mieux vaut revenir. Le réservoir est bas. Il régla sa position sur la boussole.
  Devant lui et à sa droite, au loin, ce qui fut naguère Ypres ressemblait à la croûte fendillée d’une vieille blessure suppurante. Au-dessous de lui d’autres plaies brillaient au soleil, les plaies d’un corps qu’on ne peut pas laisser mourir… Il passa comme une mouette, solitaire et lointain.
  Soudain il lui sembla qu’un vent froid s’était mis à souffler sur lui. Qu’est-ce donc ? se dit-il. C’était le soleil qui subitement s’était retiré de lui. L’espace vide, le ciel étaient encore emplis de la douce lumière du soleil printanier, mais le soleil qui tout à l’heure le frappait en plein, avait été balayé par une main mystérieuse. Comprenant ce qui se passait et maudissant sa stupidité, il plongea à pic en glissant sur sa gauche. Cinq jets de fumée passèrent entre l’aile supérieure et l’aile inférieure et chacun d’eux se rapprochait de son corps, puis il sentit deux chocs distincts à la base du crâne et sa vue soudain s’éclipsa comme si on avait pressé sur un bouton. De sa main exercée il sut redresser habilement l’appareil, et sentant son Vickers repartir dans l’obscurité, il fit feu dans la douce lumière du matin marbrée des prémices du printemps.
  Sa vision lui revint, clignotante comme une lumière électrique dont le contact est mal établi. Il put voir ainsi tout près de lui l’entoilage piqué de trous, comme grêlé par une petite vérole mystérieuse et, tandis qu’il continuait à tirer vers le ciel, le cadran de son tableau de bord éclata avec un léger bruit. Il sentit quelque chose à la main, vit son gant déchiré, ses os mis à nu. Puis sa vue, de nouveau, s’éteignit, il sentit qu’il faisait des embardées puis qu’il piquait du nez, son ceinturon lui comprima brutalement l’abdomen. Il entendit alors quelque chose, comme si des souris lui rongeaient l’os frontal. Vous vous y casserez vos maudites petites dents, leur dit-il en ouvrant les yeux.
  Le lourd visage de son père était penché sur lui, pareil à la face de César assassiné.
  Il avait recouvré la vue et il se trouvait devant un vide plus profond que jamais, cependant que le soir, comme un navire aux voiles teintées de crépuscule, descendait paisiblement sur le monde pour entrer dans une mer sans fin. « Voilà comment ça m’est arrivé », dit-il en le regardant.
William Faulkner, Monnaie de singe [Soldier’s pay, 1927], Arthaud, 1948, pp. 330-331-332. Traduit de l’américain par Maxime Gaucher.


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  « Monnaie de singe (Soldier’s Pay), premier roman de William Faulkner, parut en 1927 aux éditions Liveright à New York avant d’être réédité par Garden City Publishing C° en 1937. Mais on peut supposer que l’ouvrage fut écrit, tout au moins conçu quelques années plus tôt, au lendemain de l’armistice, alors que l’auteur avait à peine plus de vingt ans et qu’il venait d’être démobilisé après avoir servi dans la R.A.F., comme son frère, pilote fameux dont les exploits lui inspirèrent Pylon (1935). Blessé au cours de ses vols, il aurait conservé, dit-on, certains troubles qui, selon W.-A. Deahofe*, expliqueraient la froide cruauté (cold ferocity), le caractère tendu (strained intensity) de ses derniers ouvrages. Nul doute qu’à son retour dans sa province lointaine parmi des indifférents ou, qui pis est, des curieux que la guerre n’avaient pas touchés, le jeune homme n’éprouvât l’éternelle déception du vrai combattant devant les égoïsmes et les mesquineries retrouvés. Le combattant, il nous apparaît à l’état pur dans cette page magnifique où Donald Mahon, au moment de mourir, recouvre sa lucidité pour revivre en détail ses dernières heures de vol, au-dessus de " ce qui fut Ypres ", le jour où il fut définitivement frappé. »
William Faulkner, Monnaie de singe, extrait de la préface de Maxime Gaucher, op. cit., pp. 8-9.


* W.-A. Deahofe, Thèse sur William Faulkner. Archives de la Bibliothèque de l’Université de Minnesota.




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