Les grands auteurs, qui prennaient le temps du voyage, l’ont toujours dit… Lorsque l’on part, l’on s’emmène toujours avec soi… et finalement on ne voyage pas tant pour se fuir, mais bien plutôt pour se trouver… Le temps du retour passé, Matyas revient peu à peu sur ses rencontres et tire les enseignements de son périple… Aujourd’hui il se livre à coeur ouvert, revenant sur une impression en particulier… véritable réflexion sur les origines et l’identité.
Alors que j’ai repris ma petite vie en France après mon périple parmi les Sàmis, un souvenir de là-bas refait surface. Un peu trop personnel à mon goût et un peu éloigné de l’écologie, j’avais omis de le raconter alors qu’aujourd’hui cet évènement m’apporte des clés indispensable pour continuer mon projet.
Je suis assis sur une table. Il fait beau. Je suis volontaire sur le Festival Markomeannu. Devant moi plus d’une cinquantaine de Lavvùs Sàmi (Teepee) fument, alors que leurs habitants sont allongés sur des peaux de rennes à l’intérieur ou dans l’herbe dehors.
Je suis assis sur une table. Je mange. Je viens de finir mon boulot : j’ai ramassé les papiers au milieu des lavvùs. Un homme s’asseoit en face de moi sur le banc. Il mange aussi. A coté de nous, des gens, des maisons avec de l’herbe sur le toît, des Goahtis (igloo Sàmi), des enfants. Il fait beau. Nous mangeons.
Alors que je finis de saucer mon assiette, il me parle. “Har det fint ?”.
Oui c’était très bon. Nous parlons. Il me raconte. Il a 50 ans, il travaille dans l’archipel des Lofoten en tant que constructeur, ingénieur. A ses “heures perdues” (quelle expression bizarre !), il chasse le phoque pour le manger, pour vendre sa peau et sa chair, pour offrir. Il s’appelle Kjell (prononcez Chell).
Kjell me raconte qu’il a découvert il y a peu de temps dans les archives, que ses origines n’étaient pas Norvégiennes mais Sàmis, chose très courant. Un jour, il était sur son petit bateau, avec son fusil, il s’est approché d’un groupe de phoques et a tiré. Il a rapporté chez lui 3 phoques qu’il a dépecés et découpés. Il a ensuite cuit quelques morceaux, s’est assis à sa table, chez lui, et les a mangés.
C’est à ce moment que c’est arrivé : il s’est arrêté de manger et à regardé fixement devant lui. Ce qu’il venait de faire aujourd’hui lui semblait étrange, décalé et primitif. Après son travail, il était allé chasser un phoque et l’avait mangé. Comment et pourquoi faisait-il cela ?
C’est ce jour-là que Kjell a décidé de faire des recherches, de savoir qui il était vraiment et pourquoi il avait ces instincts de chasseur. Sur la côte de Laponie, il n’y a aujourd’hui que très peu de pêcheurs de phoques, et encore moins pour un usage personnel. Il a donc découvert soudainement ses origines : il est Sàmi.
Nous avons alors beaucoup discuté. Il m’a raconté avoir été proche de Chamanes (la tradition religieuse ancestrale Sàmi est bien plus active que l’on ne pense) avec qui il a réalisé l’importance des connexions inter-générationnelles : nos ancêtres, nos ailleux, notre famille, nos grands-parents sont là, en nous.
La chose m’a parue comme une révélation. Je me rappelle la jeune Marja, priant à chaque branche cassée et cultivant avec fierté la Sàmi en elle. J’avais été très surpris de découvrir ces jeunes Sàmis beaucoup plus proches de leurs racines que je ne le pensais et quelques amis Amérindiens m’avaient aussi dit que les jeunes générations semblaient avoir conservées, alors que vivant dans un contexte occidentalisé, leur mode de pensée et leur fierté d’appartenance à leurs ancêtres.
Quoi de plus normal finalement, puisque nous avons leur “chair”, et le temps - tel qu’on le matérialise aujourd’hui - est, on le sait, une notion beaucoup plus complexe qu’une simple question d’horloge.
Alors je lui ai parlé de ma famille. Je lui ai expliqué qu’en France nous avons aussi différents peuples qui avaient, il n’y a pas si longtemps, une langue et une culture radicalement différente de la culture Française. Je lui ai raconté les Bretons, le peu que j’en sais. Je me souviens de ces vacances chez ma grand-mère, dont les expressions étaient en Breton et dont l’unique langue à été, pendant longtemps, le Breton. Les souvenirs sont revenus de bien loin…de bien plus loin encore. Je me souviens aussi que petit j’avais un peu “honte” d’être breton parce que pour moi c’était des gens têtus qui revendiquait une improbable et stupide indépendance diplomatique.
Je lui ai raconté que pendant la guerre, le Breton était la langue du chien, que nous étions avant appelé Celte, et que nous étions nomade en Europe. Je lui ai raconté ne pas être allé en Bretagne depuis longtemps et lui ai dit que ça me manquait.
Nous avons encore discuté. Il m’a invité à venir chasser le phoque en hiver aux Lofoten et nous nous sommes salué. Lorsque je l’ai quitté, une phrase qu’il m’a dite a résonné en moi longtemps : “pense à tes ancêtres et tu sentiras qu’ils sont là et te font sentir plus que jamais à ta place sur Terre“.
J’ai beaucoup réfléchis suite à cette entrevue. En effet, depuis petit, je ne me sens pas Français, j’ai souvent cru que c’était une fuite, mais j’ai réalisé ce jour que je ne suis pas Français ! La langue Française n’est pas ma langue maternelle, le mode de penser Français n’est pas le mien, mes ancêtres avaient d’autres coutumes et mode de vie que l’uniformisation nationaliste dans lequel on essaye de me faire rentrer depuis mon enfance…
Je suis donc revenu en France avec ce sentiment, excitant et inédit, bouleversant aussi : je suis Celte.
Et vous ?