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Zone est sans conteste un des livre majeur de cette fin d'année, c'est le roman le plus incarné, mais aussi le plus dense et le plus achevé. en un mot comme en cent, c'est le livre à ne pas rater ces temps-ci.
Le roman est le monologue intérieur d'un homme, un agent des renseignements français en exercice depuis une dizaine d'années, sa zone d'influence est le grand bassin méditerranéen (de l'Algérie au Moyen Orient), il y récolte des informations, ce n'est pas James Bond, c'est plutôt une oreille qui écoute et collecte des informations dans les points chauds de sa zone pour les transmettre aux autorités françaises. C'est tout ce matériau, accumulé dans une valise, qu'il compte vendre aux services secrets du Vatican, pour lui permettre sous une nouvelle identité de disparaître de et dans sa zone.
Le monologue intérieur est fait d'une seule et même phrase et finalement, ce qui pourrait passer pour une gageure stylistique un peu pesante devient par l'action du romancier une vraie réussite tant elle est une voix envoutante semble d'entrée se dégager des pages, la phrase d'un homme fatigué par le poids du monde, et l'ardeur guerrière qui règne dans sa zone.
Enard joue sans cesse sur des motifs circulaires et linéaires sans les faire s'opposer; à travers son personnage, il nous propose un voyage dans la mémoire (circulaire) en train (linéaire) dans un espace donné : sa zone, en l'occurrence le grand bassin méditerranéen (circulaire). Pourtant, le voyage intérieur est tout entier tourné vers le monde (mouvement linéaire), un monde en guerre, instable, un monde sans cesse en mouvements (tour à tour linéaire et circulaire).
Enard arrive à échapper à la tentation de la spirale que l'on retrouve souvent dans les romans de mémoire, il donne à son personnage un vrai but et par là même il en donne un à son lecteur, il ouvre une porte sortie.
Le roman est placé sous la tutelle des grands romans non seulement du XXe siècle, mais aussi des grandes œuvres de la littérature occidentale, de Homère à Butor. Roman guerrier autant que confession troublée d'un enfant de cette fin de siècle en perdition.
La maîtrise du monologue intérieur est impeccable, le lecteur capte très vite une voix et entre dans le jeu du narrateur, dans les méandres de sa propre pensée. Une pensée qui semble s'élaborer sur le moment; pourtant c'est une illusion et on retrouve ici la l'emprise totale d'Enard tant sur son sujet que sur son objet.
Zone est fait d'un matériau si dense qu'il semble en devenir infini, le roman se déploie comme le fait la mémoire, par touches, par juxtapositions ou associations d'idées, le lecteur se met véritablement à habiter la zone mentale du narrateur.
Zone n'est pas une confession que l'on nous murmure à l'oreille, il s'opère quelque chose de plus intérieur, de plus fort, c'est un roman qu'on se met à entendre dans notre tête, Mathias Enard établit une connexion directe avec son lecteur, c'est là aussi le tour de force du roman.