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La fiancée du pirate

Publié le 26 septembre 2008 par Porky

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En 1969, un film sortait sur les écrans après avoir triomphé à Venise : ce film allait faire un certain bruit dans les milieux du cinéma, parmi le grand public et inquiéter quelque peu la censure… C’était La Fiancée du pirate, film signé Nelly Kaplan avec l’inoubliable Bernadette Lafont dans le rôle principal.

Qu’avait-il donc de si particulier ? Rien, à part le fait –majeur- qu’il mettait en exergue l’hypocrisie et la bassesse d’une société villageoise bien pensante et frôlait l’immoralité la plus totale.

Nelly Kaplan mettait en scène la vengeance d’une jeune fille, orpheline pauvre, vengeance montée de toutes pièces contre les notables d’un village, égratignant au passage la tartufferie et la médiocrité de toute une classe sociale. Selon ses propres termes, le film est l’histoire « d’une sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs car c’est elle qui les brûle ».

L’action du film se situe dans le village de Tellier –nom inventé mais qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher du titre de la nouvelle de Maupassant, La maison Tellier, rapprochement on ne peut plus justifié par la suite. Marie et sa mère, nomades, pauvres et marginales, ne possédant en tout et pour tout qu’un bouc noir, se sont installées dans une cabane misérable à l’orée du village et ont été « adoptées » par les notables du village qui leur font cependant payer au prix fort leur « hospitalité » : à elles les travaux les plus durs, les plus salissants, les plus rudes, bref, ceux que personne ne veut vraiment faire. Bien entendu, le prix ne s’arrête pas à ces corvées, les notables, hommes comme femme (Claire Maurier, géniale dans le rôle d’une fermière lesbienne) profitant physiquement des « charmes » de la mère et de la fille.

Un jour, la mère se fait écraser par un chauffard prétendument inconnu qui a pris la fuite. Les notables déclarent que le décès est une mort « naturelle ». Aucun d’entre eux ne veut se risquer à voir ouvrir une enquête par les gendarmes : on risquerait alors de découvrir dans quel semi esclavage tout le village a tenu les deux femmes. C’est, pour Marie, la goutte d’eau qui fait déborder le vase : la vengeance est en marche.

D’abord, elle se met en « grève » de toutes les corvées qu’on lui imposait ; ensuite, plus question de livrer ses charmes gratuitement : si les notables veulent continuer à profiter d’elle, il faudra payer chaque passe, et au tarif le plus élevé. Enfin, lesdits notables ont tout intérêt à s’exécuter s’ils ne veulent pas que Marie aille révéler leurs turpitudes à leurs épouses. Et voilà ces médiocres hobereaux de village bien embêtés : mais ils sont trop « accros » à Marie et ont trop peur du chantage pour refuser « l’arrangement ». Ils payent donc, de plus en plus cher, car Marie monte ses tarifs un peu plus chaque fois.

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Narguant ceux qui l’avaient autrefois humiliée, Marie amasse une petite fortune qu’elle dépense en objets futiles et inutiles mais modernes, autre moyen de faire bisquer les villageois. C’est ainsi qu’elle achète un magnétophone dont elle n’hésite pas à se servir, enregistrant toutes les confidences qui lui sont faites sur l’oreiller.

Et puis, un dimanche matin, elle se rend à l’église où tout le village est rassemblé pour entendre la messe, dépose le magnétophone à un endroit où personne ne peut le prendre, le met en marche. Les confidences et les médisances enregistrées éclatent dans l’église comme un coup de tonnerre, et chacun est obligé de les écouter jusqu’au bout puisque le magnétophone est inaccessible. L’hypocrisie, la mesquinerie de tous ces respectables paroissiens –curé y compris- est dévoilée au grand jour. Fous furieux, les villageois se ruent dans la cabane de Marie pour lui régler son compte : en vain, car la cabane est en feu et Marie est déjà partie, sa vengeance étant accomplie. Ne restent plus que les objets amassés au-dehors en d’étranges sculptures que la foule détruit avec rage : dernière ironie du film, car les petits hobereaux détruisent ce que leur argent a servi à acheter.

Les leçons qu’on peut tirer de ce film portent sur plusieurs domaines : moral, bien entendu, puisqu’il s’agit de montrer comment la « France profonde » exploite sans vergogne la misère ; féministe, bien sûr, puisque est dénoncé le dernier avatar du « droit de cuissage » médiéval, droit que s’arrogent les notables sans un brin d’hésitation. Politique, à plusieurs niveaux : sur la porte de la cabane de Marie est placardée une affiche revendiquant la contraception expliquée à tous ; Marie encourage Julien à ne plus se laisser brutaliser par Irène, la fermière lesbienne pingre qui l’exploite sans cesse et le paye à coups de fouet ; la prostitution se voit là justifiée et est considérée comme une arme redoutable envers ceux qui obligent certaines femmes à s’y livrer. Poétique, enfin, car Marie dispose les objets qu’elle achète en sculptures étranges, véritables symboles de l’art brut. Enfin, il y a les dialogues savoureux, les répliques au vitriol, le jeu des acteurs : le film a la portée d’une satire, drôle et cruelle en même temps.

Avec La fiancée du pirate on n’est pas si loin que ça de Brecht et de L’Opéra de quat’sous… Au contraire. D’abord le titre du film est celui d’une chanson de l’opéra (voir l’article sur Lotte Lenya.) dans laquelle, comme Marie, Jenny rêve de se venger de ceux qui l’humilient. Ensuite, la chanson que l’on entend tout au long du film, composée par Moustaki, est chantée par Barbara : « Moi, je m’en balance… » Or, « le chant de Barbara » est aussi le titre d’une autre chanson de L’Opéra de quat’sous.

Cadeau : voici la bande annonce du film : on y voit, trop vite, hélas, les scènes les plus importantes. Et surtout (cadeau pour Solko) on y entend l’intégralité de la chanson.

 Merci à Wikipédia pour une certain nombre de renseignements.


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