Cinq disparus célèbres, cinq portraits et des concommitances que l'écriture de Claude Pujade-Renaud fait revivre de fort jolie manière.
Qui sont ces célèbres et chers disparus? Michelet, Stevenson, Schwob, Renard et London, cinq écrivains qui ont marqué chacun à leur manière leur temps et leur époque. Cinq disparus et donc cinq veuves, dépositaires d'un héritage éternel et précieux: les écrits de leurs époux, leurs regards sur le monde et la société de leur époque, une photographie autant personnelle qu'universelle.
Ils ont voulu capturer le temps et l'espace par leurs pérégrinations à travers le monde: les voyages au long cours sur les océans ou à travers l'Histoire.
Claude Pujade-Renaud montre combien il est difficile pour celle qui reste, pour le veuve, d'être le gardien incontesté du grand homme qui est parti. En lisant ces cinq récits, on remarque que les veuves se font toutes détester par les exégètes de l'oeuvre de leur époux: elles accaparent, édulcorent ou même pire détruisent les traces écrites laissées par l'écrivain. Elles ont un double fardeau à porter: la disparition de l'être aimé et la vindicte de l'entourage éditorial. Elles ne se connaissent pas, ou alors ont entendu des choses et d'autres au sujet des compagnes des écrivains disparus, mais elles sont les témoins des moments intimes de leur compagnon, de leurs secrets. Parfois, en lisant les carnets intimes de leur grand homme, elles découvrent des aspects bien inattendus de celui qui partagea leur vie pendant des années!
Claude Pujade-Renaud fait parler ces cinq femmes, leur fait raconter leur Michelet, leur Stevenson, leur Schwob, leur Renard ou leur London, celui de tous les jours, lorsque le masque tombe. Elles furent passionnées, aventurières ou encore maternelles et sensuelles. Certaines ont eu des enfants, d'autres la blessure secrète et douloureuse de ne pas en avoir eu. Certaines ont pris la plume pour écrire Leur grand homme au risque de s'attirer les foudres des comparses de ce dernier. Ont-elles vécu leur vie comme elles l'entendaient, sans être étouffées par la grandeur de leur compagnon? Ont-elle réussi une vie professionnelle où elles se sont épanouies? L'une fut actrice de théâtre renommée, les autres souvent partagèrent l'appel du large avec leur homme, une autre fut une mère de famille et une épouse parfaite, cachant sous une apparente simplicité une sensibilité et un regard critique élaboré. Elles allèrent, toutes, jusqu'au bout aux côtés de leur grand homme, sans fléchir devant l'adversité: ainsi Fanny Stevenson accompagnant l'exil douloureux mais nécessaire de son époux jusqu'au moment de l'agonie.
Lorsqu'elles ouvrent la boîte aux souvenirs, étrange boîte de Pandore, certains moments de la vie de leur grand homme sont embarassants et ternissent un peu l'image que l'on se fait d'eux...le mythe en devient-il moins beau? On pourrait le croire, je pense tout simplement que cela donne une image plus humaine de ces prodiges de la création. Leurs faiblesses ne font qu'ajouter à leur aura: en fermant le livre de Claude Pujade-Renaud, une seule envie assaille le lecteur, la lecture ou la relecture des écrits de ces grands auteurs.
"Chers disparus" est le roman des voix des femmes qui ont vécu aux côtés d'auteurs immenses, vivant les affres de la création, la difficulté d'écrire, et affrontant, avec courage, le charisme de leur compagnon qui une fois disparu ne leur appartient plus. On les aime, on les plaint ou on les déteste (c'est vrai que l'on désapprouve le geste terrible de Mme Renard qui brûle des pages et des pages du journal de son mari!) mais on ne peut que les admirer d'être restées sans fléchir aux côtés d'hommes entièrement pris par leur créativité, leurs angoisses, leurs maux ou leur épouvantable caractère.
Un livre où l'écriture sert l'émotion et le courage inébranlable de ces femmes qui envers et contre tout tiennent à l'image de l'être aimé. Un voyage dans l'intimité du quotidien, dans l'intimité de la création, dans le jardin secret des auteurs qui ont su faire rêver le monde.
L'avis de Sentinelle