Crise des subprimes: quelles réformes pour le système bancaire ? Quelle régulation ?

Publié le 25 septembre 2008 par Objectifliberte

Il semble que malgré de fortes réticences initiales, l'on s'achemine vers un vote à une courte majorité du plan Paulson de sortie de crise des subprimes, déjà analysé et critiqué ici, par le congrès. C'est donc le contribuable américain qui fera les frais de l'incurie des banquiers accrochés aux faveurs et subventions de l'état.

Pourtant, d'autres solutions de sortie de crise étaient envisageables et auraient dû faire l'objet de débats.


Court terme : permettre aux banques & acteurs financiers de rééquilibrer leurs bilans sans faire appel au contribuable

J'ai déjà eu l'occasion d'exposer une alternative au plan Paulson, émise par l'économiste de l'école de Chicago Luigi Zingales (maintenant disponible en page web): puisque l'état est obligé d'intervenir à cause de sa garantie sur les comptes bancaires individuels via le FDIC, autant qu'il le fasse intelligemment, par exemple en "forçant" une titrisation des actifs douteux.

En voici d'autres, qui pourraient d'ailleurs être utilisées conjointement:

> Allan Meltzer (Carnegie Mellon U.) pense que l'état, quitte à intervenir, devrait prêter l'argent du contribuable, pas le donner en échange d'actifs pourris qu'il risque fort de surpayer :

"if they're going to do something, then what they ought to do is make loans, which the financial institutions have to repay with interest. And if you think -- that's an idea which the Chileans have used in a bigger crisis than this for them in 1982, and it worked for them. People paid back the loans. They weren't allowed to pay dividends until they repaid the loans. They weren't allowed to take bonuses until they repaid the loans. I think that's the way -- if we're going to do this, then that's the way we should do it."

> Luigi Zingales, encore lui, avec son complice d'écriture Raghuram Rajan, complète sa proposition de titrisation avec la suggestion suivante :

"Raghuram Rajan and Luigi Zingales of the University of Chicago suggest ways to force the banks to raise capital without tapping the taxpayers. First, the government should tell banks to cancel all dividend payments. Banks don't do that on their own because it would signal weakness; if everyone knows the dividend has been canceled because of a government rule, the signaling issue would be removed. Second, the government should tell all healthy banks to issue new equity. Again, banks resist doing this because they don't want to signal weakness and they don't want to dilute existing shareholders. A government order could cut through these obstacles."

Il est délicat de juger la valeur de ces propositions hors une analyse aprofondie, mais elles ont le bon goût d'alléger la charge du contribuable. Contrairement au plan Paulson.

Porpositions à moyen et long terme: réformer le système bancaire en replaçant en son centre la responsabilité privée, y compris en cas de faillite

Le principal problème de ce plan est que rien ne semble prévu pour préparer l'après crise. Certes, l'administration Bush n'en a plus que pour quatre mois. Mais il aurait été bon que cette administration, laquelle, quelle que soit les responsabilités avérées des démocrates dans la débâcle (voir aussi ici), n'en a pas moins été celle qui était en charge de prévenir ce genre de crise, commence à poser les jalons d'une réforme en profondeur du système bancaire américain.Que cela ne nous interdise pas, d'ailleurs, d'en faire de même en Europe ou en France.

Or, il semblerait que Fannie Mae et Freddie Mac ne voient leur activité évoluer qu'en surface, et que l'on s'achemine surtout vers plus de régulations étatiques, dont nous avons pourtant pu goûter l'incroyable inefficacité, ou plutôt l'étonnante toxicité, quoiqu'en disent tous les antilibéraux du monde.

Une telle réforme doit à mon sens empêcher que l'état ait le monopole de la réglementation des institutions bancaires, car alors nous avons vu combien des intérêts peu scrupuleux pouvaient s'allier avec l'état pour s'exonérer des règles générales et spolier les groupes moins organisés pour se défendre contre cette prédation: fannie Mae et Freddie Mac étaient devenues de véritables officines d'enrichissement de leurs exécutifs, et les banques d'affaires aujourd'hui rachetées ou en difficulté avaient obtenu on ne sait trop comment des faveurs comptables de la SEC. Ces règles à géométrie variable en fonction de critères uniquement politiques, sans considération des notions économiques les plus élémentaires, ont en quelques années totalement déstabilisé le système financier mondial.

Les grands axes de la réforme devraient à mon sens être les suivants, quand bien même les détails de la mise en oeuvre de telles orientations doivent être évidemment peaufinés, et quand bien même d'autres peuvent avoir des propositions encore meilleures, je ne prétends pas être un spécialiste pointu de la mécanique bancaire ! Exigence de transparence, concurrence, responsabilité privée et état cantonné au rôle d'arbitre par le biais de sa branche judiciaire, en sont les piliers.

  • Restaurer la co-responsabilité des banques et des déposants quant à la solvabilité des établissements, en levant tous les obstacles juridiques à la création d'un système  d'assurances privées des comptes bancaires en concurrence les unes contre les autres, soit interbancaires (souscrites par les banques), soit assurancielles (souscrites par les déposants) - Supprimer le FDIC et tout organisme de garantie publique des comptes, dont l'existence pousse les managers de banques à l'irresponsabilité et l'état à ouvrir la bourse des contribuables.
  • L'état ne peut à la fois être régulateur par l'action du pouvoir judiciaire et opérateur par la possession d'entreprises publiques ou para-publiques. Ce mélange des genres est systématiquement générateur de dérives, comme on l'a vu en France avec le Crédit Lyonnais. Fannie Mae et Freddie Mac doivent disparaître du paysage bancaire mondial.
  • Obliger les banques à intégrer à leur bilan toutes les opérations actuellement hors bilan qui impliquent un engagement financier de l'établissement, et naturellement supprimer tout encouragement de l'état à maintenir la présence de ces opérations hors bilan, comme il l'a fait avec Fannie Mae et Freddie Mac. D'une façon générale, il faut réclamer des banques la publication de comptes absolument honnêtes, et laisser une justice totalement indépendante sanctionner les abus. C'est une base du droit de propriété à laquelle il convient, pour un tribunal, de se référer, même en l'absence de norme détaillée.
  • Il faut en contrepartie cantonner la SEC à la surveillance des fraudes boursières (manipulations de cours) mais ne pas lui demander d'être à la fois législateur et contrôleur des ratios de  solvabilité des sociétés cotée.
  • Supprimer tout obstacle à la cartellisation des actionnaires minoritaires afin de rendre plus difficile, pour des dirigeants de grande banque peu ou pas actionnaires de leur groupe, d'arbitrer en faveur de leurs bonus annuel contre l'intérêt de leurs actionnaires. Plutôt que de limiter les bonus par la loi, ce qui est contreproductif, il faut augmenter les moyens de coercition des actionnaires sur les dirigeants insuffisants.
  • Supprimer toute forme d'approbation publique des agences de notation, dont l'on a vu qu'elle a débouché sur la formation d'un oligopole peu performant protégé artificiellement de la concurrence de nouveaux entrants, et en contrepartie, exiger des assureurs des banques qu'ils publient en continu leur rating interne et la prime d'assurance de chaque banque assurée, avec des critères définis en langage intelligible. Bien sûr, l'assureur devra, s'il le souhaite, se réassurer auprès de réassureurs entièrement privés (comme Münich Re ou équivalents), l'état se désengageant de toute forme de garantie.
  • De fait, les assureurs et les banques devront travailler de concert pour définir les ratios prudentiels permettant à la fois de permettre aux banques de faire travailler l'argent (c'est leur métier) et aux assureurs de minimiser leur risque. Le tout dans une transparence sinon parfaite (cela n'existe pas), du moins très forte, tant les notations que les critères devant être publics.
  • Retrouver une fiscalité des gains en capital suffisamment neutre pour permettre aux banques de refinancer une plus grande partie de leurs opérations de crédit par des apports en capital plutôt que par le placement de dettes obligataires, ce qui améliorerait considérablement leurs ratios de fonds propres. Ce point, développé entre autres par l'économiste Philippe Nataf, fera l'objet de notes ultérieures.
  • Ne pas subordonner l'action des banques à des objectifs politiques. Ne pas leur imposer de quotas de crédits accordés à des pauvres, des noirs, des gros, des énarques ou que sais-je encore. Pas de CRA, pas de fausse solidarité forcée. Une banque doit pouvoir jouer son rôle prudentiel en dissuadant une personne objectivement peu solvable d'obtenir un crédit de longue durée sans être accusée de racisme ou de discrimination. 
  • La loi doit laisser les banques libres du choix de leur business model, soit diversifié, soit spécialisé. Les "barrières étanches" ne doivent concerner que les départements d'analyse et de trading.

Compétition entre normes privées contractuelles

Ainsi, sous la surveillance conjointe des actionnaires et des déposants, sans parachute public, le marché décidera quelles normes représentent les meilleurs compromis entre nécessaire prise de risque (il faut bien gagner de l'argent) et indispensable prudence.

Ce concept de concurrence entre normes privées contractuelles, le rôle de l'état se bornant à faire respecter ces contrats normatifs et à juger les fautes commises, n'est pas familier. Il fut pourtant la norme au temps de "la banque libre", au XIXème siècle. Simplement, à cette époque, l'information ne circulait pas aussi bien et vite qu'aujourd'hui. Ce fonctionnement est à mon sens infiniment supérieur à l'édition d'une norme rigide par l'état, dont nous avons vu qu'elle encourageait les stratégies de contournement (création de dérivés complexes que les fonctionnaires ne peuvent pas suivre), et la recherche éhontée d'exemptions et de passe droits.

J'invite ceux que le concept de normes privées concurrentielles intéresse à redécouvrir cet excellent texte de Christophe Goossens,  avocat à Bruxelles, prononcé suite à l'affaire Enron lors d'un événement organisé par l'institut Hayek.
Un tel système ne serait assurément pas parfait -- mais aucun système ne peut prétendre l'être --, mais il replacerait clairement les responsabilité de la gestion des instruments monétaires et financiers entre des mains qui, clairement, n'auraient aucun intérêt à le voir tomber, ni à se montrer négligent à son égard. Les faillites de banques pourraient se produire, car l'être humain est faillible quel que soit le système qui l'encadre, mais l'assurance privée concurrentielle limiterait considérablement les risques de contagion systémique, et l'absence de garantie publique obligerait les actionnaires et les déposants à ne pas se reposer sur le plus inapte des gardiens du temple, l'état, et à exercer un contre pouvoir effectif sur la direction des établissements bancaires.

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A long terme

Enfin, le système monétaire international  me paraît devoir évoluer. Comment ? Je ne sais aujourd'hui. Mais dans ce domaine comme ailleurs, laisser la concurrence entre monnaies s'instaurer pour permettre aux usagers de la monnaie, c'est à dire nous tous, de sélectionner les instruments monétaires les plus susceptibles de conserver leur valeur paraîtrait sain, même si c'est conceptuellement hardi.  Il est temps que banquiers, économistes et politiciens éclairés proposent des voies permettant de sortir des errances monétaires actuelles qui divisent la valeur des monnaies par deux tous les vingt à quarante ans et qui permettent des phases de création monétaire déconnectées sur de longues périodes de la création de valeur réelle par les agents économiques.

Une telle réforme ne peut être implémentée que si elle est largement comprise de l'opinion: il ne faut donc pas rêver d'un grand chambardement monétaire demain. Mais assurément, l'ère de la monnaie purement fiduciaire monopolistique doit être remise en cause.
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Naturellement, l'on ne peut être que très pessimiste sur la capacité des dirigeants de ce monde de changer de paradigme réglementaire. Nous nous acheminons plûtot vers un renforcement des usines à gaz de type Bâle II, de nouvelles agences publiques de "régulation" des "méchants marchés", et autres fausses bonnes solutions qui ne feront que préparer les crises futures.

Cela ne doit pas empêcher d'essayer de faire entendre une voix différente.

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