Privée de toute connexion internet pendant un temps qui s’annonce long, je stocke les notes dans les tréfonds du disque dur et vous les envoie au hasard de mes nomadisations wi-fi.
Jeudi 25 septembre
Sieurdeulonhéfendeurdeumérin
Rituel des rentrées scolaires : la petite fiche de présentation. Autant de fois qu’ils ont de profs, sur des demi-pages A4 ou sur une jolie fiche sortant toute chaude de la photocopieuse qui a eu tout l’été pour reprendre des forces, les marmots racontent : nom, prénom, classe, date de naissance (c’est écrit sur la liste d’appel, mais c’est pas grave, les profs adorent les redondances), professions des parents (warum ?), prénoms des frères et sœurs (why ?), profession envisagée (pour se rendre compte mais un peu tard qu’on a raté sa voie ?). A quoi bon ce tas de paperasses qui passe le reste de l’année au fond d’un placard, puisque de toute façon, dans les services de l’administration du bahut, il y a un pedigree bien suffisant de chaque minot ? Parce-que ça se fait depuis toujours. Parce-que pendant ce temps-là on ne fait pas cours, et c’est toujours 10 minutes de gagnées (multipliez ce chiffre par trois pour les classes de 6è). Parce-que ça permet de pister les illettrés absolus, ceux qui écrivent comme des cochons, et les minettes qui font des petits ronds à la place des points sur les “i”. J’ai cessé ce rituel : au prix du papier, faut pas gâcher, sauvons la forêt, que diable !
J’ai cessé, mais du temps d’avant quand j’étais jeune et que j’œuvrais dans des bourgades charentaises, je m’y collais sans aucun scrupule, et, oui, j’avoue, je savais qui avait papa à la maison pour cause de chômage, et grand frère en taule pour cause de jeunisme aggravé par voiture volée.
La rubrique que je préférais, surtout avec les sixièmes, c’était “quel métier voudrais-tu faire ?”. C’était invariablement archéologue (on connaissait ses Indiana Jones par cœur en ce temps-là), champion de foot, mannequin (pour les filles un peu rondes), ou maîtresse d’école (fayotage !). Puis certains ne mettaient rien, savaient pas trop bien écrire. Et l’un d’eux, grande tige poussée trop vite et sorti du primaire parce-qu’on ne peut pas décemment y rester jusqu’à 13 ans, me dit : “madame, ça s’écrit comment sieurdeulonhéfendeurdeumérin ? passke c’est ce que je veux faire comme métier et je sais pas comment ça s’écrit”. Tu peux pas faire Zorro ou Superman, comme tout le monde, me dis-je en moi-même. Mais là, j’étais mal. Quel mot tu dis ? “ sieurdeulonhéfendeurdeumérin”, sans articuler davantage. “Euh … tu l’écris comme tu le sens, c’est pas un test d’orthographe”.
En salle des profs, je narre l’aventure et interroge le gens du coin, le prof né là, avec la goutte de cognac en guise de baptême. “Ben tu sais pas ce que c’est qu’un scieur de long et qu’un fendeur de merrain ? Ils veulent tous faire ça, dans la famille Zorbette, ça n’a pas d’avenir, mais c’est comme ça”. La tempête de 1999 n’était pas encore passé par là, et l’avenir, ils l’ont eu, les travailleurs de la forêt. Tant mieux pour ce petit Zorbette-là, sans doute.
A bientôt pour de nouvelles aventures …
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