"Faits d'école" La suite dans les idées, sur France Culture, mardi 26 aout 2008.
Une émission avec François Dubet qui fait paraître en septembre 2008 un livre Faits d’école , Patrick Rayou co-auteur avec Dominique Gelin et Luc Ria de Devenir enseignant. Parcours et formation (Armand Colin 2007), avec Isabelle Danic et Julie Delalande de Enquêter auprès d'enfants et de jeunes. Objets, méthodes et terrains en sciences sociales (Rennes : PUR, Didact Education, 2006) et avec Agnès van Zanten de Enquête sur les nouveaux enseignants. Changeront-ils l’école ? (Paris : Bayard 2004) et Pierre Merle auteur notamment de L'élève humilié et Les notes. Secrets de fabrication aux PUF. Il vient de publier une bibliographie : Robert Merle. Une vie de passions (Ed. de l'Aube)
La sociologie de l’école fait partie du noyau central de la sociologie française, aussi est-elle régulièrement mise sur le devant de la scène médiatique, comme c’est le cas avec cette émission de radio. Les travaux de Bourdieu et Passeron ont marqué ce champ, mais comme le rappelle François Dubet, la sociologie de l’école ne peut pas se limiter au point de vue selon lequel « la société ne fait pas tout et que l’école joue elle-même un rôle dans la production des inégalités ». Il a été lui-même à l’initiative d’un changement de point de vue sur l’école, changement essentiel car il concerne à la fois le regard des sociologues et des acteurs de l’école. Dubet fut un des premiers en France à prendre en compte l’effet propre des établissements sur la trajectoire des élèves, mais cependant les véritables précurseurs en la matière se trouvent du coté de la sociologie de langue anglaise (rapport Coleman). Il reconnaît que la sociologie de l’école des années 1970 et 1980 a produit des résultats que la communauté scientifique considère aujourd’hui comme des acquis.
L’école est un domaine de recherche privilégié des sciences sociales, en témoigne le Dictionnaire de l’éducation dirigé par Agnès Van Zanten qui mobilise plus de 200 chercheurs de langue française. Ce foisonnement de recherches et d’approches ne correspond pas cependant à un éclatement des savoirs. Au contraire, Agnès Van Zanten interrogée au début de l’émission insiste sur les convergences entre les théories. Mais alors, la question est de savoir pourquoi les acteurs ne croient ou n’appliquent pas les recommandations des sociologues. Dubet répond triplement à cette question. Premièrement les acteurs, enseignants, élèves et parents ont de bonnes raisons de ne pas croire, ce que leur disent les sociologues car ils ont une perception tout simplement autre de la réalité. Ainsi, un enseignant qui exerce depuis 30 ans en classe de seconde a très certainement vu le niveau de ses élèves baisser, car il n’a pas les mêmes élèves aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Alors que 12 % d’une classe d’âge accédait au lycée dans les années 70, ce taux est aujourd’hui d’environ 80 %. Deuxièmement, il arrive que les acteurs aient intérêt à ne pas écouter les sociologues. Ainsi, les enseignants en tant que profession, et parfois en tant que parents auraient intérêt à croire dans les mérites de l’école, envisagée alors comme « un îlot de pureté », le mal venant exclusivement de la société. Du coup, pour certains acteurs il vaudrait mieux ne pas savoir ce qu’ont à dire les sociologues du fonctionnement de l’école. Comme le note Sylvain Bourmeau, la pratique enseignante repose sur une conviction, parfois proche de la croyance, qui peut être mise à mal par les théories sociologiques. Troisièmement, les sociologues ont aussi des intérêts ou ils peuvent, toujours d’après Dubet, être victimes de scientisme, et croire qu’une bonne sociologie de l’école doit naturellement déboucher sur sa mise en application politique. Or l’école est un enjeu de lutte entre une multitude de groupes sociaux et le jeu de la démocratie explique que les préconisations des sociologues ne soient pas appliquées.
Pierre Merle, professeur en IUFM précise également que la connaissance en sciences sociales est fondamentalement mouvante et peut faire l’objet, à moyen terme, de revirements importants, car les conditions sociales et la méthodologie des sociologues changent. On comprend que dans ce cas les politiques soient réticents à débloquer des fonds pour des résultats qui aboutiront plus de 20 ans après.
La question de la crise et de la réforme de l’école et du modèle qui la sous-tend est ensuite discutée. Les invités sont unanimes pour pointer le manque de courage des politiques dans les réformes successives du système scolaire. Dubet analyse cet immobilisme, qui existe tant à droite qu’à gauche, en raison de la multiplicité des acteurs et des enjeux que cristallise l’école. Chaque groupe social a le sentiment d’avoir davantage à perdre qu’à gagner à une réforme de l’école, ce qui au final débouche sur des politiques inadaptées, qui entretiennent l’idée d’une crise d’école. Pour Dubet, l’école est un des derniers lieux où persistent les notions de classe sociale et de lutte des classes, avec des dominants parfaitement conscients des leurs intérêts. Pierre Merle explique que finalement le débat sur la crise du fonctionnement de l’école est vain, s’il ne prend pas en compte de façon plus globale la manière dont se construisent les inégalités au sein de la société.
La question de la transformation du public du fait de la massification scolaire d’une part et du déclin d’une légitimité statutaire des enseignants est abordée. Patrick Rayou note que les élèves aujourd’hui n’acceptent pas de laisser une partie de leur personnage social en dehors de la salle de classe. Les enseignants ont alors à fonder leur propre légitimité et prendre en compte les expériences multiples de leurs élèves.
François Dubet conclut sur la légitimité d’un projet réformiste capable de rendre
l’école meilleure. Pour lui la réforme de Xavier Darcos ne va pas dans ce sens puisqu’elle concentre l’année scolaire sur un nombre réduit de jours, ce qui va à l’encontre de la prise en compte
des besoins de repos des enfants.
par Benoit