La traque

Par Pandora

Il la possédait enfin la contemplant avec l’excitation du chasseur à qui la proie qu’il vient de tirer va se dévoiler. Le stylet doré, sorti de son étui, était posé sur le bureau et il ne tenait plus qu’à lui de découvrir enfin ce que les documents contenaient. Mais il goûtait la saveur de ce moment, lui qui avait commencé ses recherches près de dix ans auparavant, quasiment une décennie.

Qui n’a pas connu les affres d’une telle quête ne peut pas comprendre ce sentiment de soulagement mêlé pourtant d’un peu de regret pour cette page de sa vie qui se tourne.

Il saisit enfin la grande enveloppe qu’il rapproche de sa lampe à huile faisant danser les éclats de lumière sur le papier craquelé pour y déceler des secrets qui y auraient été cachés. Il tirerait plus tard les lourds rideaux de velours prune et laisserait entrer le soleil pour rechercher d’autres signes. Il admire le grain délicat du papier jauni sur lequel il est marqué en pleins et déliés, d’une encre brillante dont la couleur est devenue violette sous l’effet des années, « Maître Corzilius, Bois des fées » et au dos de l’enveloppe le cachet de cire rouge dans lequel on devine encore l’empreinte d’une tête de licorne. Le secret était bien caché.

C’est désormais d’une main tremblante qu’il prend le stylet pour décacheter l’enveloppe et en retirer les 5 fragiles feuilles grises de papier de soie qu’elle contenait enfermées depuis si longtemps. L’excitation le gagne et sa respiration s ‘accélère, quelques perles de sueur commencent même à poindre sur son front malgré la fraicheur de ce matin d’automne anglais. Il éloigne d’une tape le chat efflanqué noir qui dormait jusque là sur le bureau mais dont les ronronnements incessants l’empêchent de se concentrer sur ce moment qu’il attend depuis tellement longtemps. Depuis qu’il a entendu parler de cette enveloppe à une réception donnée dans le manoir voisin par Lady Pinkypew, une originale qu'il pensait accrocher à son tableau de chasse avant qu'elle ne l'humilie en se refusant à lui. Elle avait montré à ses invités divers objets plutôt excentriques, à l’image de leur propriétaire, qu’elle achetait aux enchères et dont elle faisait collection. Il se souvenait particulièrement du plongeoir miniature fabriqué spécialement à l’usage de la perruche d’un ancien maharaja, tout en ors et en pierres précieuses, du fusil pacifiste dont le canon, bouché, réservait de mauvaises surprises à son utilisateur ou du sextant spécial naufragé volontaire qui ne permettait de balayer que 30 degrés d’angles. Lors des discussions, la lady avait parlé avec ferveur et envie de l’enveloppe qui était désormais en sa possession mais qu’elle–même convoitait en vain depuis tant d’années.

Pensez-donc, il allait enfin découvrir le secret de la Fée Lyscitée, cette recette qu’elle avait fait parvenir au mage Corzilius. La fameuse et succulente "Licorne aux herbes de la forêt". Et peu importait qu’il ne puisse jamais la mettre en œuvre par extinction de l'ingrédient principal, le chasseur qu’il était se félicitait de posséder bientôt la proie qu'il convoitait depuis si longtemps. On avait vu tant de femmes se donner à un homme pour un bijou, il serait bientôt le premier à qui une femme se donne pour une recette !
[Exercice d'écriture avec des mots imposés proposé par faux rêveur pour écriture ludique. Les mots étaient les suivants:
documents, encre, 30 degrés, huile, plongeoir, gris(e), feuille, stylet, perle, soupir, saveur, connaître, maître, réception, anglais, fée, prune, rouge, fusil, éloigner, danser, lumière, soleil, décennie, ronronnement
ils y sont tous ;-) ]