Confondante, la discrétion avec laquelle les médias ont traité les résultats des élections sénatoriales de ce dimanche. Les plus hardis se sont risqués à parler d'une poussée de la gauche alors que, comme vous allez pouvoir le constater dans les lignes suivantes, il s'agit, sur les sièges à pourvoir, de la plus magistrale déculottée que nos pères de droite aient jamais subie. N'oublions pas que l'origine du mot Sénat est senex, qui nous a donné sénescence, et que ce nom désigne une assemblée de notables, d'anciens, de sages, appelée parfois, on ne sait pourquoi, Haute Assemblée. Eh bien, ce temple du conservatisme, ce rempart immuable de la droite vient d'enregistrer un choc que l'on nous a soigneusement caché.
Pour vous permettre de valider les nombres que je vais publier ici, je vous précise la démarche que j'ai suivie. J'ai tout d'abord écarté le siège obtenu par M. Tuheiava, un indépendantiste de Polynésie française, qu'on ne saurait décemment ranger ni à droite, ni à gauche. Il convient donc de ventiler 102 sièges déjà existants auxquels s’ajoutent 12 sièges créés soit, en retirant cet élu indépendantiste, 113 sièges. Pour ce qui est de la droite, j'ai décompté comme Élu UMP tout candidat avec une étiquette UMP ou UMP dissident, comme Autre Droite toute autre étiquette relevant de la droite. De même, pour la gauche, j'ai considéré Élu PS toute étiquette PS ou PS dissident, comme Autre Gauche toute autre étiquette relevant de la gauche.
En considérant les quatre groupes définis ici, j’obtiens les résultats respectifs suivants :
UMP AD PS AG
056 09 29 08 Sortants
-13 00 17 07 Gains
043 09 46 15 Élus
En regroupant ces groupes deux par deux, on constate que la droite régresse de 65 à 52 tandis que la gauche bondit de 37 à 61. Alors que la droite a perdu 20% de ses sièges, la gauche a vu le nombre des siens augmenter de 65%. Gageons qu’il eut fallut qu’elle doublât son effectif pour que nos médias si objectifs se risquent à parler de victoire.
Tout aussi pudique est la carte affichée page 11 du Monde du 23 septembre sous le titre « La majorité sénatoriale bascule à gauche dans dix départements » et signée Source Sénat, Infographie Le Monde. Cette double signature laisse planer un doute sur l’origine d’une légende assez discrète sur l’étendue de la déculottée que j’évoquais plus haut.
On peut en effet y lire, Reste à droite et Reste à gauche, sans indication du nombre de départements concernés. Comme ces nombres sont respectivement de quatorze et treize, cet oubli n’est guère significatif. Par contre, lorsqu’il est renouvelé avec les mentions Bascule à droite et Bascule à gauche, on peut être alerté, surtout qu’ici les valeurs respectives sont deux et dix. Vous pourrez m’objecter que le titre de la carte est éloquent puisqu’il fait bien référence aux dix départements passés à gauche. Soit. Mais cette mention Bascule à droite est des plus étranges. Il s’agit en l’occurrence de deux des sièges créés, ceux représentant des îles, et dont je reparlerai dans mon prochain billet. Étant donné qu’ils ont été tirés du néant, ils sont bien incapables de basculer où que ce soit. Tels des bébés-médicaments, ils ont été conçus pour venir au secours de leurs aînés. Parvenus à l’adolescence, ils se rebelleront peut-être contre leurs géniteurs mais, pour l’instant, ils sont élevés dans leur religion.
Le plus subtil est encore à venir, avec cette formule étrange : Devient égalité gauche-droite. J’ignore tout de ce que peut être un département qui devient égalité ! Touchante innocence qui permet de masquer le fait que, sur ces cinq départements supplémentaires pour compter désormais un nombre égal de sénateurs de gauche et de droite, quatre jouissaient jusqu’ici d’une majorité de droite.
Et voilà comment des médias impartiaux rendent compte des résultats d’une élection ! Dans mon prochain billet, je traiterai de la charcuterie appliquée aux élections.