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Yémen : Après le divorce, l'école pour Nojoud.

Publié le 25 septembre 2008 par Delphineminoui1974

La cloche vient de sonner. Uniforme vert flambant neuf et cartable à l'épaule, Nojoud peine à cacher sa grimace de bonheur en pénétrant dans la cour de sa nouvelle école. « Je n'en ai pas dormi de la nuit », sourit-elle, en jouant nerveusement avec les franges de son foulard blanc.

Cette rentrée des classes, la petite yéménite de 10 ans l'attendait avec impatience.

Mardi dernier, elle a enfin retrouvé les bancs de l'école (voir la vidéo que j'ai prise ci-dessus) comme des milliers d'enfants de son âge, après de longues vacances d'été. Mais pour elle, cette rentrée en deuxième année d'école primaire a une signification bien particulière : celle d'un retour à une vie normale après avoir été mariée de force par ses parents, en février dernier, à un homme de vingt ans son aîné, qui abusa sexuellement d'elle et l'empêcha de poursuivre sa scolarité.

Nojoud revient de loin. Deux mois après ses noces précoces dans un pays où plus de la moitié des filles sont mariées en dessous de l'âge de 18 ans, elle fut la première à oser se réfugier au tribunal pour demander le divorce. Et l'obtenir ! Un acte de bravoure qui défraya la chronique, au printemps dernier, et qui attira l'attention de la presse internationale (dont, entre autres, Le Figaro et France Info).

Aujourd'hui, la petite héroïne au visage de poupon aspire à redevenir une fille comme les autres. Tout simplement. « Je veux faire des dessins, apprendre l'arabe, le coran, et les mathématiques. Quand j'ai quitté l'école, je savais compter de 1 à 100. Je veux maintenant apprendre à compter jusqu'à un million ! », me raconte-t-elle avec un soupire de soulagement.

Elle a bien cru qu'elle n'y arriverait jamais. Depuis son divorce, certains cousins voient d'un mauvais œil qu'elle sorte seule dans la rue. Une question d'honneur, disent-ils. Quant à ses parents, tous deux analphabètes, ils n'ont jamais fait de l'école une priorité. La moitié des 15 frères et sœurs de Nojoud ne savent ni écrire ni lire, et passent leurs journées à vendre des chewing-gums aux automobilistes qui attendent au feu rouge, en échange de quelques pièces de monnaie.

Et puis, la notoriété acquise lors de son combat lui a également joué des mauvais tours. Comme c'est malheureusement souvent le cas dans certains pays sous-développés, certaines ONGs locales et internationales s'empressèrent de s'associer à la cause de Nojoud pour redorer leur image de marque, sans se mobiliser concrètement pour lui trouver une école adéquate et la soutenir psychologiquement dans sa réintégration. Une association locale fit même longtemps blocage pour l'envoyer dans une école privée.

C'est finalement grâce au dévouement de Shada Nasser, son avocate, et d'une activiste des droits des femmes, Eman Mashour, que Nojoud a pu rejoindre les bancs de la petite école publique du quartier de Rwadha, situé sur la route de l'aéroport de Sana'a, non loin de sa maison, et qui accueille chaque année quelques 1 200 élèves. « Nous avons estimé plus raisonnable qu'elle n'aille pas dans une école privée, comme le souhaitaient certaines organisations, pour éviter qu'un fossé culturel ne la sépare des autres filles », me confie Shada.

Mais là encore, de nouvelles barrières se sont dressées sur sa route. Une institutrice préalablement concertée s'est d'abord opposé à l'inscription de la petite, prétextant ses craintes de voir Nojoud avoir une mauvaise influence sur ses camarades, « parce que, vous comprenez, hum, elle a eu des relations sexuelles dont elle risque de parler aux autres ». Sans compter les obstacles imprévisibles, comme ces nouveaux check-points de l'armée yéménite, symbolique de l'insécurité croissante du Yémen, qui trouvera son illustration, dès le lendemain, dans l'attentat meurtrier contre l'Ambassade américaine, en plein cœur de Sana'a.

« Je n'en reviens pas qu'on y soit finalement arrivé », murmure Eman Mashour, avec un grand sourire.

Devant un parterre de petites filles, Njala Matri, la directrice s'empresse de faire les présentations. « Tu es la bienvenue. J'espère que tu te sentiras comme à la maison », entonne-t-elle, en incitant les élèves à aller s'asseoir derrière leurs pupitres, dans une des dix salles qui encadrent la cour de récréation. Quand je la retrouve un peu plus tard dans son bureau décoré de fleurs en plastic, elle me confie les difficultés de sa tâche dans un pays où près de la moitié des filles ne vont pas à l'école et où l'analphabétisme reste un fléau difficile à combattre et qui ne fait pas partie des priorités du régime.

D'après les organisations yéménites de défense des droits des femmes, les mariages précoces sont une des causes de l'absentéisme à l'école. Un avis partagé par Njala Matri. « L'année dernière, une de nos élèves a interrompu subitement ses études, à l'âge de 13 ans. Plus tard, j'ai appris qu'elle s'était mariée. Et aujourd'hui, elle a un bébé », dit-elle.

Au Yémen, l'âge légal du mariage est fixé à 15 ans, mais la loi est suffisamment vague pour permettre aux parents de marier leurs filles avant, à condition qu'elle y soit « physiquement prête ».

Pour Housnia Al-Kadri, directrice du centre de recherche sur les femmes, à l'université de Sana'a, « le récent divorce de Nojoud a néanmoins permis de briser le silence sur ce sujet, et nous permet aujourd'hui de relancer notre bataille en faveur d'une augmentation de l'âge du mariage ». Une demande, déposée au Parlement avant l'été, devrait être à nouveau examinée dans les mois qui viennent.


En attendant, dit-elle, l'histoire ultra médiatisée de Nojoud a eu le mérite de pousser d'autres jeunes mariées à se rebeller, elle aussi, les traditions en vigueur. Au cours de ces trois derniers mois, deux autres filles ont entamé des procédures de divorce : Arwa, 10 ans et Rim, 13 ans. En Arabie saoudite, un tribunal est également en train d'examiner une demande de divorce d'une fillette de 8 ans, mariée à son insu par son père à un quinquagénaire.
Le carillon de l'école retentit à nouveau. La récréation est terminée. Drapée dans son voile noir, Najmiya, l'institutrice fait signe aux quelque 40 élèves de baisser d'un ton pour pouvoir commencer les cours.

« Pour commencer, qui veut réciter la première sourate du Coran ? », demande-t-elle.

Son regard se pose immédiatement sur Nojoud, installée au troisième rang, à côté de deux nouvelles camarades, et qui s'est empressé de lever la main.

« Nojoud ? », reprend-elle.

La petite se lève, prend une grande respiration, et commence à scruter sa mémoire en récitant les versets du Coran appris l'an passé.

« Bravo. Que Dieu te protège ! », applaudit l'institutrice, en encourageant les autres petites filles à en faire autant.

Le sourire aux lèvres, Nojoud reprend alors place derrière son pupitre.

« C'est un jour merveilleux», dit-elle. « Je suis heureuse ! ».

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 Nojoud, enfin de retour à l'école. Crédit photo : Delphine Minoui.

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 Au parc d'attraction, avec sa petite soeur Haïfa. Crédit photo : Delphine Minoui.

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Nojoud aspire à redevenir une petite fille comme les autres. Crédit photo :Delphine Minoui.


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