La vengeance du pied fourchu : 14

Publié le 25 septembre 2008 par Porky

Comme vous avez pu le constater, vos héros favoris, j’ai nommé la Belle Missia et le Prince Lexomil, ne sont pas apparus sur vos écrans la semaine dernière.  N’allez pas en déduire que leurs aventures sont finies, loin de là. L’imagination du « blogger » a encore fait des siennes ce week-end. Mais cette… suspension de feuilleton est due à certaines personnes que je ne nommerai pas par égard pour leur dignité et qui m’ont chougné dans les oreilles qu’elles étaient complètement perdues « à cause des vacances ». (Je cite.) Ce qui signifie en clair que pendant le mois d’août, lesdites personnes m’ont délaissé pour aller voir ailleurs ce qui s’y passait. J’aurais pu me vexer de cette préférence. Néanmoins, comme je suis grand ET magnanime, j’ai bien voulu leur laisser le temps de rattraper leur retard de lecture, d’où cette interruption de service indépendant, vous l’avez compris, « de notre volonté ». Ce laps de temps a certainement dû être suffisant. ( !) Donc, nous reprenons la suite de nos récits et s’il y a encore des « personnes perdues », qu’elles sautent dans le train en marche…

 

 Le soir même, alors que les convives finissaient de digérer béatement le banquet de midi, deux silhouettes quittèrent le village et s’aventurèrent dans la montagne, bien qu’un orage menaçât à tout moment d’éclater. Ces promeneurs imprudents n’étaient autres que Missia et Martin, grimpant en silence vers le refuge d’Asphodèle afin d’interroger à nouveau la vieille sorcière.

Missia était de plus en plus troublée. D’abord par l’affaire du collier (bien que l’explication de Louis l’eût vaguement rassurée), et ensuite par l’étrange réflexion du jeune homme concernant les apparences. Qu’avait-il bien pu vouloir dire ? Etait-ce un simple conseil ? Un avertissement ? Et dans quel but avait-il prononcé ces paroles ? Le visaient-elles directement lui et Sigrid ? Ou bien Catherine, ou quelqu’un d’autre ? Missia avait l’impression que Louis était au courant de certaines choses la concernant et que l’apparition du couple dans le village n’avait rien de fortuit. Qui étaient-ils, au fond, ces deux jeunes gens ? Ils n’avaient que très peu parlé d’eux. On savait seulement que lui « était dans les affaires », qu’il gagnait « beaucoup d’argent » (renseignements claironnés par Madame la Mairesse), et qu’elle « ne faisait rien du tout », se contentant de « dépenser ce que son mari gagnait ». C’était plutôt vague. On ne savait même pas le nom de l’entreprise, et encore moins ce qui permettait à Louis de « faire des affaires ». Le commerce, avait-il dit en riant. Le commerce de tout et n’importe quoi. Et puis, il avait changé de sujet.

« Je n’aime pas ça du tout », murmura tout à coup Missia alors qu’ils approchaient de la cabane d’Asphodèle. Un violent coup de tonnerre ponctua la fin de sa phrase. « Je t’avais dit qu’il fallait attendre demain, rétorqua Martin. Nous risquons de nous faire foudroyer et noyer dans les minutes qui viennent. » « Hein ? fit Missia, comme absente. Oh, je ne parlais pas de l’orage, c’est secondaire ! » « Bien sur, bougonna Martin. Attends de te trouver dessous, tu verras si c’est secondaire. » La jeune fille secoua violemment la tête. « Martin, ne sois pas bêtement matérialiste. Je pensais à Louis et à Sigrid. Ils me déplaisent de plus en plus. » « Ils sont pourtant charmants, objecta Martin. Et ta sœur les adore », ajouta-t-il malicieusement. « Raison de plus pour se méfier. Catherine aime tellement jouer les grandes dames qu’elle ferait des manières devant le diable lui-même. » « Hmmm… Tu crois que Louis est Satan déguisé ? Et Sigrid son âme damnée ? Auquel cas, chapeau, on leur donnerait le bon dieu sans confession. » « Arrête de plaisanter, c’est sérieux. Personne ne sait qui ils sont réellement. Ses affaires, tiens ! Il prétend qu’il a un bureau à la ville. Mais où ? Pourquoi n’a-t-il pas donné l’adresse quand Philippe la lui a demandé ? » Martin resta un moment silencieux. « Ce ne doit pas être difficile à vérifier, dit-il. Après-demain, je dois me rendre à la ville pour acheter un nouveau matériel de tonte. J’essaierai de vérifier s’il y a bien quelque chose au nom de… Au fait, comment s’appelle-t-il ? » « Et voilà le hic ! s’écria Missia. On l’ignore. On ne connaît que leur prénom. Et ne me dis pas qu’il suffit d’aller demander au facteur, c’est déjà fait, ils ne reçoivent aucun courrier. Tu ne trouves pas ça étrange, toi ? Et il n’y a pas de nom sur la porte des Eglantiers. » « Ce sont peut-être des revenants… » avança Martin sans réfléchir et une bourrade dans les côtes le remit sur le droit chemin de la pensée.

C’était maintenant la nuit noire. Martin et Missia ne distinguaient rien du chemin qu’ils suivaient. Mais l’un comme l’autre connaissaient à fond tous les sentiers de la montagne et auraient pu s’y diriger les yeux fermés. D’ailleurs, une lumière leur indiqua bientôt qu’ils arrivaient à destination. Assise sur le seuil de sa cabane, Asphodèle regardait les éclairs qui déchiraient le ciel à intervalles irréguliers. Une lampe tempête, accrochée à un clou sur la porte de la cabane, éclairait faiblement sa silhouette.

Elle ne parut aucunement surprise de les voir. Et ils n’eurent même pas besoin d’expliquer les raisons de leur visite. « Asseyez-vous, dit-elle simplement en guise de bonsoir. Le temps est compté car l’orage sera sur nous dans moins d’une demi-heure. Vous venez vous renseigner sur ce couple dont on parle tant au village, n’est-ce pas ? J’ai interrogé les Pierres. Elles n’ont rien dit de plus que ce que vous savez déjà. » « Et… Le rêveur de l’Enfer ? » demanda timidement Missia. « Lui non plus n’a rien à révéler. Les rêves de son maître ne lui parviennent qu’à travers un brouillard impénétrable. Seul en émerge l’image du collier d’émeraudes. Encore et toujours. » Missia frissonna. « Comment puis-je me protéger d’un danger alors que j’en ignore tout ? » chuchota-t-elle. « Ta sœur a un collier d’émeraudes, répliqua Asphodèle. Donc, prends garde à elle. » « Mais Catherine n’a rien d’une diablesse ! s’écria Missia. Enfin, pas de cette nature ! » « Satan est rusé, dit Asphodèle. Et pour que le Rêveur ne puisse intercepter ses songes, il faut qu’il ait eu recours à toutes les forces de l’enfer. Méfie-toi d’elle, c’est le dernier conseil que je peux te donner. » « Le dernier ? dit Martin, étonné. Vous ne voulez plus que… » « Ma volonté n’entre pas en ligne de compte, répondit paisiblement Asphodèle. Les Pierres n’ont rien dit quant à votre avenir, mais elles m’ont révélé que ma mort était très proche. Aussi n’ai-je rien à ajouter. Un être humain peut, sans le vouloir, sans le savoir, être l’instrument du diable. Ne sors jamais sans protection, Missia. La statue au-dessus de la porte de ta maison… »

La foudre s’abattit soudain sur un rocher, à une centaine de mètres de la cabane, et le fit voler en éclats. Asphodèle n’acheva pas sa phrase. Elle se leva, saisit la lampe tempête et sans un mot de plus rentra dans la cabane.

« Catherine ! murmura Missia, stupéfaite. C’est… C’est invraisemblable… » « On réfléchira plus tard à ce problème, dit Martin en l’obligeant à se relever. Filons vite d’ici, ou bien nous connaîtrons l’enfer avant notre heure. »

(A suivre)